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Le coin philo de PG
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  • Diverses réflexions à caractère philosophique de la part d'un non-philosophe, et qui ne sont pas des leçons ! Ce blog de Patrice GOEURIOT contient des textes originaux sur le thème de la philosophie qui demandent l'autorisation de l'auteur pour être cités.
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La femme voi(io)lée

 

Pat TIOCOEUR

 

  La femme v o ilée

 

 Editions "Société des Ecrivains"

 

 

A toi M….pour ce que m’a donné sans jamais vouloir prendre…..

 

et pour les jeunes filles musulmanes, avant qu’il ne soit trop tard !


 

 

 

Avant-Propos

 

 

 

 

Ce livre n'est ni tout à fait écrit comme un roman, ni un essai, pas non plus un journal personnel, c'est un cri du cœur, c'est un hymne à l'amour, c’est aussi un exutoire. Il ne se veut pas littéraire mais philosophique ; il veut, au travers parfois d'une certaine poésie, aborder des réflexions sur le sens de la vie, sur les religions, sur les cultures, à partir d'une tranche de vie effectivement vécue. C'est une atmosphère racontée dans laquelle le "je" se substitue parfois au "il".

Ce livre en partie romanesque,  prend source dans une histoire d’amour réelle qui, compte-tenues des circonstances, a induit naturellement un questionnement sur la conscience. Inévitablement une interrogation sur le sens de l’existence s’est posée. Ainsi en partant d’un état de conscience issu d’une culture donnée, cette histoire d’amour  est l’occasion d’un cheminement vers une autre idée de ce que peut être la conscience.

C'est aussi un livre non d'espoir mais d'Espérance. Espérance que l'Amour, valeur fondamentale pour l'Humanité, s'impose au-delà des cultures ou religions dès lors qu'il est authentique. Puissent, les femmes musulmanes, en particulier, être touchées par ce cri, pour les faire sortir de la prison d’esprit dans laquelle elles ont été mises.

Il ne s'agit pas là d'une découverte, des auteurs illustres ont traité le sujet de l’amour impossible, il ne s'agit que d'un exemple vivant de la légende qui perdure au-delà de l'évolution des esprits toujours longue à s'établir.

 

Le moi profond

 

 

 

Le sens de sa vie n'est pas la découverte de son moi profond comme on pourrait le croire, c'est le façonnage de ce moi profond duquel va découler la relation que l'on a avec les autres. L'inné ne donne que des orientations sur le sens que l'on donne à ses actes, l'élaboration du moi profond courbera la trajectoire en fonction de ce qui sera découvert dans ses capacités insoupçonnées initialement. Ce cheminement se fait par initiatives personnelles et s’enrichira bien davantage par ce que l'on peut recevoir des autres.

 

Parmi tous les autres il y a toi et peut-être toi aussi... C'est-à-dire une personne élue; l'élection de cette personne se fait par des mécanismes compliqués et explorés par nombre de psychologues, psychiatres et philosophes. On peut se faire une image - une modélisation diront certains - qui n'explique rien mais qui donne les mécanismes qui seront à la base du choix.

Chaque individu doit être considéré comme émetteur et récepteur. Qu'émet-il et que reçoit-il ? Il ne s'agit pas d'ondes au sens physique du terme, mais pour plus de compréhension on parlera tout de même d'ondes. De l'état de connaissance, conscient ou pas, de son moi profond seront diffusées des ondes à destination de ceux que l'on croise. Qu'en font-ils ? Ces ondes après filtration due à leur culture, leur personnalité, seront ainsi amorties et leur faculté de pénétration en sera diminuée, voir annulée et il en ressortira alors de l'indifférence. Mais voilà, nous pouvons aussi être atteints par elles. Autrement dit, il peut se faire que l'on reçoive une perception intense de l'autre, ce pourra être alors le rejet ou tout au contraire ce que l'on appelle l'Amour. Le rejet n'a pas bien d'intérêt, concentrons-nous sur l'amour. Ainsi nous recevons une image virtuelle de l'autre qui interférera avec notre sensibilité pour en faire une image de la réalité que l'autre représente à nos yeux. Le germe de l'Amour est alors en nous mais son développement, donc sa réalité, ne prendra de sens que par les conséquences de cette conscience amoureuse. Cocteau disait : « l'amour n'existe pas, seules les preuves d'amour existent ».

 

L'amour se reconnaît par la lumière qui d’un seul coup illumine son moi profond pour mieux le façonner. De l’interaction de cette lumière avec ce que l’on est à cet instant, naît un individu enrichi dont le comportement va alors évoluer. L'amour crée l'amour à condition qu'il s'agisse bien d'amour.  Il va sans dire que l'on ne chérira jamais assez celle (celui) qui vous apporte cette lumière, et donc que dorénavant cet être si cher sera l'objet de toutes les attentions. La reconnaissance de l'amour se fera donc par la mesure de ce qu'on a envie de donner à celle (celui)  qui a permis ce nouveau façonnage de son moi profond. Cette flamme sans poids est pourtant une force. Une force qui pousse à donner davantage de soi-même. On découvre alors une énergie, une imagination que l'on ne pensait pas posséder et que l'on utilise en particulier, mais pas exclusivement, à destination de la source de lumière salvatrice.


Les filtres

 

 

 

Le sens de sa vie et le sens de la vie peuvent évidemment converger, mais il relève de deux questionnements différents. Le sens de sa vie est donc le façonnage de son esprit, le sens de la vie est une question qui a trait à la religion. Que l’on pense ou non que notre vie ait un sens, une raison, relève de la croyance. Elle est négationniste et il n'y a alors pas de grand ordonnateur ; ou bien religieuse, et une volonté divine est à la base de l'existence de l'Homme. La nature des filtres qui sont ainsi mis en nous sera évidemment différente selon la croyance que nous avons. Et l'on peut assurer que ceux issus de la religion présenteront des  imperméabilités sévères. La religion a codifié le comportement humain pour avoir plus d'emprise sur les hommes diront les uns, pour orienter les hommes dans le même champ magnétique que Dieu, diront les autres. Rigueur et interdits jalonnent le parcours pour éviter les brebis égarées, quoi qu'il en soit.

 

Pascal était plutôt de ceux qui, ayant reçu une culture religieuse, avait conservé dans son comportement nombre de préceptes qui lui avait été enseignés, même s'il ne se reconnaissait pas dans la pratique religieuse actuellement. Il ne se reconnaissait pas non plus vraiment dans ce que l'on appelle la libération des mœurs. À son avis on avait mélangé à cette occasion un peu  tout. Ainsi, peut-être par manque de richesse de vocabulaire…., on avait mis l'amour à différentes sauces si bien qu'au bout du compte le goût de l'amour se retrouvait dilué voir anéanti au point de ne plus le reconnaître ou bien d'être mystifié par un ersatz d'amour. Mais, l'amour ne conduit-il pas tout droit dans un lit ? Alors, cela ne revient-il pas au même ? La libération des mœurs n’est  en fait que la démystification de l'acte sexuel qui devient alors une simple recherche de jouissance instantanée personnelle ou partagée.

 

En installant leurs filtres dans le cœur des humains les religions ont fait en sorte de faire croire qu'une seule lumière pouvait pénétrer dans celui-ci de façon à ce qu'une relation bijective unique puisse s'y installer. L'amour ne peut être qu'unique, toutes autres relations sont interdites au nom de cette fidélité. Fidélité qui vient à propos pour culpabiliser celui qui pourrait être tenté. Cette tentation remettrait en effet en cause sa reconnaissance en la lumière qu'il avait su initialement recevoir. C'est donc interdit !

Pascal respectait cette notion de fidélité scrupuleusement non pas comme une obéissance à quelque chose, fût à une règle divine, mais par respect, par amour simplement pour celle qui lui avait envoyé une immense lumière. Il reconnaissait avoir eu de la chance de l'avoir rencontrée. Elle le changeait, non par prosélytisme mais par amour, il se sentait changé et cela lui convenait. Elle, elle répondait parfaitement à ce que son Sauveur lui avait demandé: "aimez-vous les uns les autres". Son cœur était grand et son attention pour les autres était immense. Son amour pour lui cristallisait sur lui l'expression effective et concrète de l'amour qu'elle était capable d'avoir pour les autres et qu'elle leur manifestait par des attentions aussi fortes que pudiques. Il admirait cette capacité d'amour pour tous et exultait de l'amour particulier qu'elle lui réservait. La fidélité n’était donc nullement forcée mais force est à l'amour qui le maintenait sans effort dans cet état accepté.

 

Conscient de son humanité, tout homme doit se définir un comportement, des limites. C'est la pose des fameux filtres qui vont l’aider à maintenir le cap choisi. L'espace de liberté ainsi défini, il n'y a plus souvent l'opportunité de s'interroger à nouveau sur les limites de cet espace. Pascal ne supportait pas l'immobilisme, l'évolution de l'humanité depuis la dérivation des grands singes montrait le chemin du changement nécessaire, de l'adaptation indispensable. Il était dévoreur d'espaces, qu'ils soient ceux que lui offrait la nature ou bien ceux de l'espace virtuel dans lequel son esprit vaquait. Fort de cela, il pouvait penser au quasi même moment qu'un système doit être élaboré pour être source d'efficacité, et ne pas supporter de se laisser enfermer dans un système quelconque par peur de sclérose.

 

L’amour profondément partagé avec son épouse, allait se manifester en l'occurrence comme un dissolvant inconscient de ses filtres, accroissant de fait l'espace de sa liberté intellectuelle. Il allait même s'interroger sur cette pose de filtres et sur leur nécessité, voire sur la contradiction qu'ils pouvaient engendrer.

 

Trajectoires croisées

 

 

 

Aujourd'hui Pascal recevait des candidats à la préparation d'une thèse. Il avait à peine une demi-heure pour exposer le sujet, intéresser le postulant et recueillir des informations sur lui. Le choix est toujours difficile pour des personnes qui ne sont pas formées pour cela et il se fait sur des intuitions plutôt que sur des certitudes forgées dans une méthode.

Après une attente certainement fiévreuse dans le couloir, elle pénétrait dans le bureau et entrait avec elle, la lumière. Une pointe de timidité se dégageait à peine de sa démarche distinguée. Son visage pâle barré d'une paire de lunettes à monture noire était splendidement éclairé d'un sourire sincère dessiné par des lèvres légèrement gonflées. Le buste résolument droit de ceux qui sont déterminés, laissait entrevoir une merveilleuse féminité. Mais, il ne s'agissait pas d'un concours de beauté et cette impression physique n'entamait pas la résolution de Pascal à examiner sereinement ce qu'elle avait en elle. En dehors de sa formation initiale, qu'il avait découvert en lisant son C.V., il voulait savoir à quelle personnalité il aurait à faire. Pascal n'était pas homme à entraîner des personnes qui n'adhéreraient pas à son message. C'est pour cela qu'il prenait beaucoup de temps à parler de sa manière d'encadrer les travaux. Sans confiance il était incapable de faire ressortir le meilleur de l'autre, c'était une de ses nombreuses failles. Toujours est-il que la sincérité ne se feint pas et une harmonie de corps et d'esprit se dégageait d’elle, instantanément il le percevait. Il y avait encore de nombreux candidats à auditionner, mais ce serait elle, si elle le voulait.

Il fallait en effet concordance du désir du candidat pour le sujet et du choix des recruteurs. Le résultat tomba et laissa un rictus satisfait sur la bouche de Pascal sans que ses collègues ne s'en aperçoivent. Ce sera donc elle, il s'empressa de le lui faire savoir. Deux trajectoires aléatoires venaient d'entamer un rapprochement sans que ni l’une ni autre ne le sachent.

 

Mouna était marocaine mais cette nationalité n'avait naturellement aucune incidence sur le choix. Elle était musulmane et en France ne portait pas le voile, et Pascal ne connaissait pas sa religion. Cette inculture, il la corrigea au cours d'un voyage professionnel avec elle. Il s'enquérait de quelques informations qui l’aideraient à la comprendre, plus tard il approfondirait le sujet. Bien que n'exerçant pas directement la direction de son travail, il avait de nombreuses occasions de la rencontrer. Une grande pureté ressortait de son sourire et de son regard, il l’avait rapidement remarqué, mais cette beauté elle ne l'exploitait pas de vile manière. Lui, se surprit plusieurs fois à accrocher son regard, il était si doux et si intense. Il le ressentait aussi un peu magnétique. Ce magnétisme n'était pas délibéré de sa part, ce n'était pas dans sa culture d'agir ainsi. Si de surcroît elle s'apercevait qu'il la regardait, elle en souriait magnifiquement avant de retirer ses yeux pudiquement. Il en fut ainsi de longs mois durant lesquels il sentait de plus en plus le besoin de rechercher ce regard. Il sentait germer en lui le désir de la mieux connaître, de se rapprocher d’elle. Tout ceci sans qu’il y ait une incidence quelconque sur sa façon d'être. Elle était droite et souriante, elle était rigoureuse et amicale, elle était belle mais ne cherchait pas à le mettre en valeur. Petit à petit, sans qu'il le fasse délibérément et sans complicité de sa part, il recevait des ondes d’elle qu'il se mit à décrypter progressivement.

Pascal est resté ainsi longtemps dans cette atmosphère brumeuse où des sentiments fantomatiques succédaient à des visions réelles. Que voyait-il s’avancer vers lui enrubanné d’interdits, de principes, de remords, de questions ? Était-ce une sirène qui vous attire dans l’abysse ? Était-ce une frêle flamme qui éclaire l'inconnu ? Il ne comprenait rien à ce spectacle tout en ombres chinoises, mais quand il ressortait du théâtre il se sentait troublé, puis inquiet, puis torturé. Il se demandait pourquoi tant de souffrances. Il ne les avait pas recherchées, elles semblaient lui être imposées. Les choses se mettant en ordre dans son esprit, il s'aperçut bien vite que son cœur était la raison de cet état torturé. Son cœur soutenait ferme qu'il devenait amoureux d'elle, son esprit ne voulait rien entendre et lui ordonnait de se calmer. Mais, il est de ceux qui sont « cœur » avant d'être « esprit » et le combat ne faisait que commencer, le cœur devait convaincre l'esprit. D'autres longs mois se succédèrent sans apporter la solution, mais le front avançait en faveur du cœur. La tempête était féroce et dévastatrice, tout y passait, c'était un violent examen de conscience comme rarement on doit en avoir dans une vie. Comment se faisait-il qu'un être qui n'a rien demandé, qui n'a rien suggéré, fasse un tel cataclysme dans une conscience ? Pourquoi sans ne rien faire, venait-elle bouleverser un ordre conscient bien établi et qui n'était d'ailleurs pas subi ? Sa force venait de la pureté qui émanait d’elle et qui lui donnait une légitimité dans ce chambardement. Elle ne disait rien et lui cherchait des réponses à des questions qu'elle n'avait pas posées. Qui était l'auteur de ces questions ? Qui le poussait à raffiner sa conscience ? Qui lui disait que la lumière jaillirait de ses souffrances ? C'était un accouchement délicat, il fallut les forceps pour accueillir l'homme nouveau et il restait encore beaucoup à faire pour qu’il prît toute la dimension de ce qu'il était devenu. À cet instant il découvrit le pur amour. Non pas qu'il ne connaissait pas l'amour, il avait la chance d'en partager un d’exceptionnel, mais il n'avait pas encore compris totalement l'incidence de l'amour dans la trajectoire terrestre de l'homme, dans la force transcendantale qu'il représente. Une seconde lumière venait de s'allumer dans son cœur. Elle allait désormais éclairer et façonner son moi profond au même titre que celle qu'il avait heureusement reçue de son épouse. Il avait réussi à admettre cette dualité et il était bien décidé à n’exclure personne et à trouver de l'amour à leur donner à chacune.

Il n'avait jamais soufflé mot de tout ceci, elle ne se doutait de rien. Il n'osait aller à l'encontre de ce qu'il pressentait: la force de sa foi qui balise rigoureusement son chemin.

 

C'était un soir, peu avant Noël. Sous les assauts d'un travail qu'il ne lui rendait pas les résultats qu'elle méritait, elle craquait. On l'aurait fait à moins. Il servit de confident mais fût laminé par sa détresse. Elle ne méritait pas cela et ce fût le déclic dans l’aveu de son amour. Il profita de la St Valentin pour lui écrire un poème et lui transmettre une diapositive sur laquelle il avait placé une balance, c'était leur signe astral, une flamme sur un plateau, et accompagnée de ce texte : « une flamme ça n'a pas de poids, ça ne rompt pas l'équilibre, ça n'exclut personne, mais sa lumière est une force ». Il y avait là un résumé de  toute sa philosophie de l'amour. Elle trouva ce texte très joli et qui plus est, pensa même qu'il s'agissait d'une citation. Il lui en n'expliquerait le sens bien plus tard.

 

Premier aveu

 

 

 

Mardi fut une journée remarquable. Le lendemain je me suis donc réveillé léger, soulagé d’un poids immense que je portais en moi. Ma joie est enfin de pouvoir t'offrir cette année supplémentaire de contrat pour consolider ton dossier. Mais je voudrais revenir sur cette énergie qui m'habitait au cours de ces dernières semaines, énergie qui allait nous conduire à cette victoire.

Je suis un homme comblé, car à la lumière que je recevais déjà de Dany, la tienne est venue s’y ajouter pour mieux éclairer mon cœur et mon chemin. Tu n'avais rien dit, tu n'avais rien demandé et pourtant je recevais un message original et personnel émanant de toi, c'était une lumière additionnelle destinée à m’aider davantage. Je n'aurais jamais assez de tendresse à votre égard pour vous remercier de ces lumières; mais je compte bien ne pas vous épargner, ni l'une ni l'autre, de tout ce que j'ai encore à vous donner.

 

J'ai découvert que l'amour, le vrai, ne se substituait pas à l'amour. Que l'amour devait être vécu et qu'il pouvait s'additionner à celui que l'on donnait déjà! Mieux même, l'amour pour l’une à renforcer mon amour pour l'autre. Mon cœur a subitement autant qu’inopinément grossi, pour trouver à vous donner, à vous donner mieux.

 

Nous sommes nés un jour et son lendemain, mais avec de nombreuses années d'écart et je conçois qu’il ne soit pas aisé de recevoir un message d'amour de quelqu'un qui pourrait être son père. C'est évidemment ce que j'ai longtemps pensé. Mais, l'amour étant un don que l'on fait à autre, il s'en fiche bien de l’âge des personnes qu'il touche. Cet amour est un don du ciel et faut le vivre car c'est aussi le don de soi à autre, pour l'autre sans aucune arrière-pensée, à condition qu'il s'agisse bien d'amour.

 

Je t’invite à recevoir cet amour dans le plus pur respect de l'équilibre de nos vies antérieures et présentes. Je voudrais tant que cette petite flamme soit aussi pour toi une lumière supplémentaire qui éclaire ton chemin. Je sais déjà qu'elle compte pour toi car au détour de l’une de mes  maladresses verbales tu t’inquiétais de penser qu'elle aurait pu s'éteindre le temps d'un week-end.

L'amour est l'état le plus fort que l'homme puisse rencontrer, laissons-le faire.

Aujourd'hui je me permets de t’écrire : je t’aime. Je garderai évidemment un comportement très discret mais saches que chaque matin quand je te tendrai la main  pour te saluer, c'est en fait  un baiser que je déposerai sur tes lèvres, comme le papillon qui effleure la rose de son aile timide.


L’inaccessible étoile

 

 

 

La nuit enveloppait peu à peu de son obscurité les forêts et les vallons tandis que la voûte céleste lotoise s’éclairait doucement. Bientôt des millions d'étoiles rivalisaient les unes les autres pour se faire remarquer de moi. Scintillant mieux que l'autre, elles cherchaient toutes à attirer mon attention. J'étais émerveillé devant cette infinité.

 

Mais il n'y en avait qu’une, qui là-bas, aux confins de l'horizon noirci, invisible de tous, captait entièrement mon attention. C'était mon étoile, oubliée de tous les observateurs du ciel, mais qui devenait tout à coup l'objet de toutes mes attentions. J'avais l'impression qu'elle ne brillait que pour moi, illusion d'une sensibilité exacerbée.

Je lui tendais les bras pensant que mes doigts pourraient l’effleurer. Dans le silence de la nuit, à peine dérangée par le hululement d’un hibou je criais mon amour. Comme Icare, je me sentais pousser des ailes qui devaient me conduirent tout près d’elle, pour l'admirer encore et mieux.

Mes incantations étaient pourtant vaines. Même la force de mon amour ne peut venir changer l'inexorable orbite d'une étoile, laquelle était fixée bien avant que je la découvre. Le Maître de l'univers lui a défini sa trajectoire, et l'attraction de mon amour n'avait aucune chance de courber sa voie. Il me semblait tout de même percevoir un petit saut de lumière que je recevais comme un signe indiquant que ma voix avait traversé l'immensité du désert céleste et que les ondes étaient arrivées à destination. Mirage de la nuit...

Mais mon étoile restait muette. La lumière de ma petite flamme était-elle perçue ou ignorée ? Une zone d'interdiction magnétique éliminait-elle toute manifestation amoureuse ou bien éteignait-elle la réponse indue ?

S'agira-t-il d'un amour platonique ? Des mots seraient-ils interdits et les regards filtrés ?

Mais toutes les étoiles ont une face cachée. Là-bas derrière, à l'abri des regards, il y a ton jardin secret et je désirerai être ton jardinier pour y cultiver secrètement d’immenses champs d'amour que j'ai déjà semés. Caché dans un recoin de l'univers trouverons-nous le moment de librement nous parler ?

 

J'ai ouvert mon cœur sans calcul et mes sentiments sont désormais étalés là, tout nus mais authentiques. La nuit se fait encore plus noire et mon étoile plus brillante et toujours mystérieuse. Je ne cherche pas à troubler le vœu du Grand Ordonnateur. Je ne cherche qu'à vivre ce que je crois être le plus important pour l’Humanité, je veux dire l'amour. Le mien est peut-être inattendu, non conventionnel, irréaliste, mais il est là et ne vivra vraiment que le jour où un petit signe lui indiquera qu'il a été perçu tel qu'il est, et qu'il est lui-même source d'amour.

Fini ce simple halot diffus que je reçois, que toute la lumière me parvienne après que le voile attaché soit enfin arraché.


L’Ange, le messager de Dieu

 

 

 

Tout homme s'inquiète de la signification de sa vie et aussi de l'orientation de cette vie. Il peut s'en remettre à des intermédiaires pour lui définir son comportement. Le Bien et le Mal se trouvent ainsi bien circonscrits et l'interrogation est alors bien limitée; il y a des préceptes et on peut s'en tenir là pour avoir bonne conscience.

Pour sa part Pascal conçoit que ces préceptes puissent effectivement venir délimiter l'espace d’action, mais leur conservatisme lui faisait peur. Il ne s'agit pas non plus de s'adapter à des modes et régulièrement de réviser le code de bonne conduite pour l'actualiser facilement aux nouvelles mœurs. Il s'agit d'une interrogation personnelle de sa conscience pour l'obliger à faire un retour sur elle-même, et qu'elle seule décide de la position à adopter devant un problème. Ce n'est pas quelque chose qui se décide à la va-vite, il s'agit d'une analyse rigoureuse de toutes les conséquences qu'un acte peut avoir. Et, comme il est impossible d'imaginer toutes les possibilités, il faut rechercher à examiner soigneusement celles qui se sont manifestées, en toute  loyauté !

C'est  un exercice où la lumière peut provenir d'ailleurs que de son moi. Mais il faut alors imaginer cette lumière pour savoir s'il ne s'agit pas d'un ersatz d'éclairage, validé par quelques faiblesses personnelles. Faire son examen de conscience n'est pas chose facile, c'est aussi devenu une chose rare qui expliquerait peut-être certaines manifestations humaines d'aujourd'hui. Les religions nous parlent de cet examen, mais mal ! Aussi est-il devenu archaïque dans notre société contemporaine.

Faire partie de l'humanité, n'est pas de réaliser la simple existence de l'homme et de la femme, c'est une construction de l'homme et de la femme. C'est sa construction personnelle.

 

« Toi mon Ange, messager de Dieu, messager involontaire mais choisi de lui, que tu sois chérie. Dans ma quête de conscience tu es venue éclairer ma vie et anéantir les obscurantismes qui me séparaient de la Vérité. Tu m'as apporté la signification définitive de ce que doit être l'amour. Après un long cheminement sur les interrogations de ma conscience, tu as percé le mystère de l'amour. Tu m'as révélé la finalité de l'existence, tu m'as fait fort dans ma conscience. Je sais désormais ce qu’aimer doit être. L’amour ne peut être que pur,  pour qu'il puisse être permis. Un coup de cœur n'est pas de l'amour, ce n'est qu’une poussée hormonale.

Je pense que tu m'as révélé à la réalité de l'amour, tu m'as transmis le sens de l'amour tel qu'il est inscrit dans les Ecritures. Cette connaissance ultime ouvre un espace libre d'interdictions. Le message était initialement un feu vert à l'expression de sentiments encore dissimulés. Il s'éclairait peu à peu au fur et à mesure de l'exercice de ma conscience. Aujourd'hui il me dit : « Votre amour est pur, vous avez atteint l'esprit de ce que je voudrais que soit l'amour; alors aimez-vous ! Si le désir de vous embrasser vous gagne, embrassez-vous, ce ne sera que l'expression de votre amour. L'amour n'est pas un calcul. Si vos corps désirent se mettre à l’unisson de vos cœurs, alors aimez--vous ! Transmettez-vous la tendresse que vous nourrissez pour l'autre au nom de l'amour pur qui est le vôtre.

Cette signification profonde et unique de l'amour, tu en étais le messager. Je veux t’en faire partager sa compréhension. Je t'aime voilà tout. »

 

Elle ne l'entendait pas ainsi et le lui fit savoir. Ces pensées amoureuses ne pouvaient être d'actualité pour elle. Il n'était même pas possible que la question puisse être posée. Sa religion ne badinait pas avec ces choses-là. Tout cela lui était interdit même à l'état de pensée. Elle n'y songeait donc pas et avait été gênée de lire ces phrases. Elle lui permettait d'avoir de l'affection et rien d'autre. Il était peut-être quelqu'un de particulier qui lui écrivait poétiquement, mais voilà tout.

 

L’impasse

 

 

 

Il était là, assis face à la mer. Des vagues clapotaient sur des rochers mi-émergés. Il faisait beau, le ciel était bleu comme celui de son cœur depuis plusieurs jours. Il ne se passait pas une heure sans qu'il ne pense à elle qu'il avait laissée là-bas avec tous ses tracas. Il en était certain, désormais elle faisait partie de lui pour l'éternité. Cette séparation avait totalement révélé cette certitude. L'ensemble de sa vie serait dorénavant gouverné par l'amour qu'il comptait bien donner. Il avait eu la chance d'être révélé au pur amour, il en tirerait toutes les conséquences pour sa conduite future.

Dans ce cœur allégé, il écrivait d'indélébiles mots. Il cherchait dans cet amour, les phrases qui répondraient à l’inquiétude de Mouna. Il savait qu’au fond d’elle, elle ressentait l'amour qu'il lui manifestait mais elle ne pouvait y répondre sans se confronter à ce qui lui semblait être une impasse. À part recevoir ce qu’il lui donnait, elle ne pouvait pas aller au-delà. Et puis, n'était-ce pas de toutes façons la chronique d'une mort annoncée ? Dans quelque temps ils seraient irrémédiablement séparés, pourquoi donc emprunter cette impasse ?

 

Marchant désormais sur la plage, il cherchait l'argumentation au nom du pur amour et donc refusait toute facilité. Ce jardin amour qu’il lui proposait, elle n'osait en franchir le portillon d'entrée à cause d'abord de sa fidélité qu'elle se devait à son mari. Il y avait d'ailleurs une symétrie dans leur position à ce sujet. Mais, le message divin n'était pas du laxisme, c'était le déclic d'un véritable examen de conscience. Il n'était pas question que leur amour se substitue à celui qu'ils vivaient harmonieusement chacun de leur côté. Ce qu'il ne fallait pas, c'est que l'autre soit oublié, soit trompé. Pour qu'ils ne le fussent pas, il fallait donc qu'ils ignorent l'existence de cet amour. C'est l'inquiétude de voir l'autre s'éloigner qui rend malheureux. Il était hors de question que l'amour détruise l'amour, mais ceci devait aller dans les deux sens. Le message qu'elle lui avait involontairement apporté était que l'amour devait se vivre à condition que ce soit un pur amour. Les tempêtes, ouragans et torrents de larmes, mais aussi orages avec éclairs, qu'il vivait depuis des mois, ont finalement débarrassé l'horizon, la lumière salvatrice est venue avec ce message. L'amour était donc pur. Et l'amour qu'ils pouvaient se porter ne les enrichissait-il pas l’un l’autre ? C'est de leur construction individuelle qu'il s'agit, celle que Dieu demande de faire sur cette terre. La messagère n’était pas la pomme du péché, mais l’Ange annonciateur du rôle que devait avoir l'amour dans leur vie. Si l'équilibre est gardé, leur amour doit vivre, il ne sera pas ravageur mais constructeur.

 

Le second point qui annihilait la survie de ses sentiments était religieux. Le Coran n'autorise rien en dehors du mariage à l'instar de la religion catholique d’ailleurs. Il n'y a qu'un seul Dieu et différentes religions se disputent le meilleur moyen d'arriver jusqu'à lui. Sa lumière nous serait assurée que si nous suivons un chemin  particulier qui d'ailleurs n'est pas forcément le même suivant la religion. Il est évidemment concevable que des repères nous aident dans notre vie, mais avant tout, la vie c'est la construction de sa vie, en conscience. Dieu ne cesse de nous parler d'amour, le Prophète, j'en suis sûr, doit aussi y inviter tous les musulmans. L'amour pur entre une femme et un homme est l'expression même de la signification de la vie; nous sommes invités à sa table et nous devons honorer notre hôte. Les religions ne peuvent pas exprimer toutes les situations, elles n'expriment que des règles générales qui permettent de ne pas trop s'écarter du chemin. Mais l'appel au pur amour ne peut être sacrilège, il est même certainement béni de l'autorité suprême.

 

S'asseyant à nouveau, il regardait le manteau noir de la nuit, surgissant de l’onde, envelopper progressivement son horizon. Son regard fixait l'infini duquel un rêve l’atteint. Les doigts enlacés, il marchait avec elle dans la vague qui mourait sur le sable. Ils parlaient de mille choses, mais surtout d’eux. Par instant, ils se tournaient l'un vers l'autre, des éclairs surgissaient alors de leurs yeux amoureux, un rire terminait inexorablement l'action. Ils étaient heureux d'avoir poussé le portillon de leur jardin amour. Ils étaient heureux d'avoir trouvé un petit coin d'univers à l'abri de tous les regards. Enfin, dans le creux d'une dune, ils s’allongèrent côte à côte, regardant la voûte céleste qui s'éclairait. Seuls leurs doigts étaient mêlés et tour à tour se serraient puis s’effleuraient. Nul mot ne sortait de leur bouche durant de longues minutes. Et puis, dans un geste parfaitement coordonné, ils se tournèrent l'un vers l'autre, leurs regards à nouveau s’agriffèrent, comme un nuage à la montagne. Elle leva son bras, en entoura son cou et lui tendit ses lèvres. C'était le signe qu'il attendait sagement depuis sa promesse de ne jamais prendre cette initiative. Leurs corps se rapprochèrent. Et ils  se donnèrent cet amour trop longtemps réservé et refoulé. Mais la plage était déserte, il était seul dans cette immensité de sable. Son sexe momentanément grossi de désir de tendresse se rendait rapidement compte de cette réalité. Mais il n'était pas malheureux, il savait que cet instant magique serait un jour pour eux. Quand pénétrerait-elle dans ce jardin amour, comment retirerait-elle ce voile coercitif qui s'oppose à ce destin d'amour ? Ce moment ne sera pas le point d'orgue de leur histoire, ce sera l'avènement d'une femme nouvelle et d'un homme nouveau tout illuminés du message divin de l'amour.

 

Dieu créa l'homme libre. Cela veut dire que le seul être de la création qui possède une conscience a la liberté de trouver son chemin de conscience. Les religions ne doivent  être que des aides à jalonner  cette jungle. Il lui semblait que souvent elles allaient au-delà de cette prérogative et se permettaient d'instaurer des interdits qui, pour un être en conscience, sont des entraves à la liberté voulue par le Créateur. S’il concevait qu'une éducation religieuse soit utile pour un repérage, surtout pour des êtres en formation de conscience, les jeunes, il n'acceptait pas pour lui que son chemin ne soit que celui des autres, tel ce sentier de chèvres emprunté par tout le troupeau ! Son chemin de conscience, il voulait se le bâtir seul et d'en assumer pleinement le choix. Sur le chemin de conscience, il pensait que l'homme avait une mission par l'intermédiaire de sa vie sur Terre; c'était de trouver quelques valeurs fondamentales qui devaient gouverner ses actions. Puis les faisant partager, l'humanité tout entière s'en trouverait alors améliorée sur le chemin infini de la perfection.

 

Son épouse, puis son ange annonciateur lui avaient délivré un fil d'Ariane : c'était l’Amour. A ses deux lumières il voulait répondre identiquement par l'amour. Cet amour qu'il nourrissait le rendait chaque jour plus fort, plus conscient, plus juste, plus amoureux. Cette flamme était belle et bien une force et son désir le plus profond était que chacune d'elles puisse se sentir plus forte, plus consciente, plus juste, plus amoureuse.  Comme dans ces jeux vidéo où on doit se ressourcer en énergie pour repartir de plus bel, c'est l'amour qui est une source de vitalité et d'espoir à laquelle chaque femme, chaque homme doit revenir s’abreuver sans réserve, sans inquiétude du qu'en dira-t-on, sans la peur d'une punition religieuse. La punition est une trouvaille des religions pour s'assurer que tout le troupeau marche bien sur la même sente. Dieu, lui, ne jugera qu'à la fin du parcours où on devra répondre à la question : qu'as-tu appris sur Terre et comment l’as-tu mis en pratique ?

Dans ces conditions, comment l'amour pourrait-il être une impasse ? L'amour ce n'est pas le calcul du lendemain, c’est le don de soi dans l'instant présent. Chaque acte intentionné est un acte d'amour ; c'est ainsi qu'il faut le vivre dans l'espoir que l'autre trouvera tant de sensations à recevoir cet amour, qu'au-delà de toutes ses inquiétudes initiales, il l’acceptera en tant que tel, et que dès lors, son plus profond désir sera à son tour d'animer sa capacité d'amour.

 

Ces mots s’égrainaient dans son cœur et des phrases s'y formaient. Il allait plus tard les coucher sur du papier, pourtant il n'aurait jamais pensé être capable antérieurement de noircir quelques feuillets. C'est l'accès au pur amour qui l’avait transformé et qui avait labouré sa conscience et en avait fait jaillir un texte.

Fallait-il que sa conscience soit éprouvée, jamais il n'avait fait référence à Dieu avec tant de force et aussi souvent.

 

Il y avait bien longtemps que sa peau n'était plus lisse et qu’il avait cru aimer pour la première fois, mais le bleu de ses yeux restait celui de ses vingt ans et la passion qui l’animait était aussi juvénile qu’authentique et sincère. Si le temps laisse des rides sur le visage, il épargne le cœur.


L’émoi

 

 

 

De retour de son séjour espagnol, il attendait fiévreusement son arrivée. Elle ne viendra peut-être pas ! Il continuait donc la lecture de ses courriels  tout en surveillant le couloir par la porte qu'il avait laissée grande ouverte. Son sourire arriva, il se leva d'un bond et la serra dans ses bras. Il respectait sa promesse et ne manifestait guère plus son éternel attachement. Il lui répétait sa joie, son bonheur de ces retrouvailles. Elle était très émue, ses yeux pétillaient, elle se laissait même aller à entourer sa taille de ses bras. Elle ne pouvait le dire, mais il sentait qu'elle était heureuse de ces manifestations sincères. Il le sentait, là coincée dans le fond de sa gorge, ce « je t'aime moi aussi ». Paradoxalement il appréciait cette réaction, elle faisait preuve de volonté, elle ne dérogeait pas à la règle qu'elle s'était imposée, elle était magnifique. Elle avait besoin d'une démonstration sans faveur montrant qu'elle pouvait se libérer de sa position. Il devrait la lui faire, c'est pour cela qu'il avait écrit. Il espérait dans l'efficacité de sa sincérité car c'est une femme pure et elle le resterait quoique qu'il arrive.

Il l'aimait pour tout ce qu'elle était et il le lui disait. La pureté n'est pas circonstancielle, quand elle existe elle attire la pureté; c'était pour cela qu'il s'était longuement questionné sur la pureté de l'amour qu'il ressentait pour elle et que convaincu désormais, il le lui disait. Au fond de lui il savait qu'elle prendrait acte du message qu'elle lui avait apporté. Il savait que cette pureté serait bientôt reconnue et qu'elle oserait mêler sa pureté à celle qui lui était proposée.

 

Malgré des remparts activement construits, des flots de sentiments remplissaient bientôt tout son cœur. Ils faillirent déborder au moment de se quitter. Son émoi n'était presque plus contrôlé, elle était prête à dire aussi son amour, sa sensualité sortait de tous les pores contre sa volonté. La sonnerie du téléphone en décida autrement ! Ils se  séparèrent, forcés ; un signe de main et des regards en dirent plus long que tout discours. Un espace de liberté venait de se refermer, quand pourraient-ils en ouvrir un autre ?

 

Preuves d’amour

 

 

 

Ils avaient pris un instant pour être seuls et se parler. Il lui disait son amour et lui parlait de douceur quand subitement elle lui dit : « tu sais, je suis sèche, je suis parfois très sèche ». Le ton était ambigu et il ne sus quoi lui répondre immédiatement. Que voulaient-elle dire ? Lui disait-elle que l'amour dont il parlait le rendait aveugle et qu'il ne la voyait pas telle qu'elle était vraiment ? Voulait-elle le mettre en garde de désillusion future ? Ou bien était-ce une provocation pour qu'il fasse émerger d’elle la douceur qu’elle n’ose distiller ?

L'amour peut rendre aveugle c'est du moins ce qui se dit, c'est possible. Le pur amour, non ! Le pur amour est justement issu de la perception parfaite que l'on a de l'autre. Et il la percevait avec tant de détails qu'il lisait en elle parfaitement. La sensibilité qu’il avait d’elle lui permettait de déceler ses intentions intimes. Toutes celles qu'elle avait  conduisaient Pascal à ce pur amour.

 

Oui, elle pouvait être sèche, et alors! Lui, il s'interrogeait sur les raisons de cette possible sécheresse. Les causes qui provoquaient en elle cet état, il les connaissait. Mais, donner de l'amour, c’est quoi ? C'est mettre l'autre dans un état de quiétude, de jouissance de l'instant présent. C’est faire en sorte que les causes n'existent pas. Sans cause, il n’y a pas d'effet, dit le scientifique. Ses preuves d'amour à lui, étaient de trouver les solutions pour la débarrasser de ses inquiétudes diverses. Petit à petit il y arrivait, il y arriverait ! Ensemble d'ailleurs elle ne manifestait que de la douceur ce qui montre bien que le remède est approprié.

 

Ne pas chercher à comprendre les raisons d'un comportement qui peut choquer, serait la négation de l'amour que l'on croit avoir. Aimez l'autre, c'est le mettre dans des conditions desquelles il ne peut que donner le meilleur de lui-même. Voilà le pur amour qu'il voulait lui donner et qu’il devait lui expliquer afin qu'ils franchissent ensemble des portes de leur jardin amour.

 

L'envie d'elle

 

 

 

Il lui disait qu'il l'aimait et le répétait presque obsessionnelle ment. Elle ne pouvait et donc ne voulait pas y répondre ; elle n'était pas prête à une réponse, mais elle recevait son message. Il semblait qu'elle ne savait pas trop quoi en faire puisqu'il heurtait certaines de ses convictions. Il semblait aussi que cette situation la ravissait car se sentir aimer ne laisse jamais indifférent. Elle devait avoir confiance dans la qualité de cet amour qu'elle recevait puisqu'elle en constatait l'existence même. Toutefois cette confiance était tout de même entamée, car cet amour n'aurait jamais dû se déclarer au regard de ses convictions. Elle était à la veille d'un dilemme cornélien dès lors qu'elles accepteraient que cet amour puisse exister vraiment, son chemin de conscience était en train de se reprofiler, jusqu’où irait-elle ?

 

Cet état paradoxal s'exprimait clairement puisqu'elle acceptait qu'il lui glisse doucement au creux de l'oreille qu'il avait envie d'elle, assorti d'un léger baiser. Cette envie n'avait rien d'un instinct basique. Il n'était pas le mec à vouloir assouvir ses pulsions sur la première venue. Il n'était pas homme à collectionner les performances sexuelles. Il n'était pas gouverné par son sexe et il ne s'en servait pas comme d’un banal organe. Il la trouvait très belle, avec sa chevelure mi-court, noire à reflets roux, ses yeux marrons pétillants de douceur, sa longue nuque dégagée sur laquelle il aimait déposer de tendres baisers, sa bouche aux lèvres légèrement rebondies, ses délicieux seins qui assuraient de toute sa féminité, la cambrure de son dos et la courbure de ses hanches si harmonieuses. Évidemment il n'était pas insensible à tant de charmes, mais ce n'était pas eux qui étaient à l'origine de son désir, ils ne faisaient que conforter ce désir.

 

Vouloir l'aimer c'était pour lui la possibilité de lui manifester son amour autrement que par les mots déjà utilisés et les actes déjà faits. C'était une conséquence du pur amour auquel il se référait et qui l’autorisait à partager avec elle des instants de douceur et d’échanges. Ce n'est pas de la virilité qu'il voulait lui donner, mais de l’incroyable tendresse qu'elle avait suscitée en lui. Il voulait simplement honorer toutes ses beautés qu’il lui avait trouvées pour qu'elle puisse avoir une idée positive d'elle-même et de ce qu'elle pouvait engendrer. Il voulait qu'elle lui réclame encore et encore des caresses et des baisers, ce qui assurerait qu'elle aurait atteint une sérénité parfaite qui enfin lui donnerait une image apaisée de l'existence. Déjà unis par leurs bouches, elle lui demanderait de venir doucement en elle pour sceller définitivement leur amour, ce ne serait que la reconnaissance d'eux-mêmes dans le don qu'il ferait à l'autre.


Dieu, la religion et le chemin de conscience.

 

 

 

À cet instant précis, des dizaines de milliers de bébés viennent d'ouvrir les yeux à la vie, et cela sur toute la surface de la terre. Ils seront européens, africains, asiatiques, océaniens ou américains, chrétiens, musulmans, bouddhistes, juifs, hindouistes, polythéistes ou athées mais pour l'instant ils sont aveugles de conscience avec une probabilité de guérison. Ils ont un avenir, mais ils doivent créer leur destin. Ils sont tous fabriqués avec les mêmes cellules et pourtant ils sont tous différents de par leur capacité neuronale pré-connectée, avec pour chacun une combinaison initiale propre. Ils sont désormais libres de faire de leur vie ce qu'ils veulent en faire.

Ces  handicapés auront à leur chevet des médecines diverses, cultures et religions leurs conseilleront des régimes variés qui doivent les ouvrir à la société et même pour certains les conduire à pouvoir apercevoir enfin la lumière divine. Selon que le hasard les aura fait naître ici ou là, des traitements différents leur seront inconsciemment puis consciemment administrés. Ainsi s'ils sont nés dans un environnement religieux, cette lumière finale aura divers noms : Allah, Dieu et la sainte Trinité, Yahvé, Bouddha ou autre et les chemins qui devront les conduire à cette lumière seront l'islam, la chrétienté, la religion juive, le bouddhisme ou autre.

Si Dieu existe, bien entendu il ne peut en avoir qu'un. L'homme s'est inventé les religions uniquement pour codifier le chemin qu'elles pensent que l'on doit suivre pour arriver dans cette lumière. Libres, les hommes se créent des religions pour mieux se repérer comme le fait un aveugle pour se mouvoir. Libres, les hommes se créent leur chemin de conscience qui peut être les amènera à percevoir les fréquences des ondes divines. Ce chemin de conscience, c'est le chemin de sa vie.

De l'épais brouillard initial se dégage progressivement des formes fantomatiques, puis les contours s’éclairciront peut-être pour ceux qui feront l'effort de percevoir. La vie, c'est le cheminement possible vers le meilleur de soi. Quelle que soit la religion pratiquée par l'environnement dans lequel nous sommes, l'individu doit aller vers le meilleur de soi pour que l'humanité s'en enrichisse; on a toute la vie pour accomplir cette mission.

Le meilleur de soi, on ne l'atteint jamais seul. Il est nécessaire de rencontrer celles ou ceux qui pourront, peut-être sans le savoir, apporter l'éclairage nécessaire pour vaincre la nuit. Et quand celles-ci ou ceux-ci vous feront traverser l'impossible, alors c'est que vous aurez eu la chance de reconnaître l'amour, le pur amour. Dans l'absolu il n'est jamais dit que cet être doit être unique. Pour un pur amour, l'unicité est déjà difficile à être sûr, au-delà s'est improbable, mais pas interdit.


Mon Amour,

 

 

 

Merci de la conversation que nous avons eue hier. Tout ce qui m'enrichit de toi comble mon amour.

À cette occasion j'ai évidemment pu mesurer ce que je pressentais, c'est-à-dire la dimension de ta foi dans ta vie quotidienne. Le pur amour auquel je me réfère me fait respecter ta foi et ton attachement à celle-ci. Tout ce que je pourrais faire n'aura jamais pour objectif de te détourner de ta voie, mais je continuerai à de donner l'amour qui est en moi et que je t'invite à partager.

 

J'espère que tu ne me considères ni comme fou, ni surtout comme Satan. Je ne suis pas à son envoyé spécial pour tester ta foi et te tendre un piège, celui du plaisir interdit. À cause de moi je ne veux pas que tu sois rejetée par les tiens et ta communauté d'esprit. Je ne suis pas plus la tentation que tu ne l'as été pour moi.

Je veux seulement te faire partager le message divin que tu m'as remis involontairement. Ce message dit: « Si tu es capable du pur amour et seulement si tu en es capable, alors tu dois vivre l'amour qui se présente à toi ». Tout a été pour moi de savoir ce qu'était le pur amour. Aujourd'hui je le sais et je désire seulement exercer ce pouvoir d'amour pour éclairer ta vie et la mienne d'une manière originale, d'une manière qui soit la nôtre.

Aimer sans renier n'est pas une faute d'adultère.

Aimer sans renier, c'est l'accomplissement du pur amour. Aujourd'hui je le peux, demain je voudrais que tu puisses y accéder à ton tour.

Pour toi, Mon Amour, pour que nous nous  enrichissions l’un l’autre.

 

L’impossible

 

 

 

Elle lui avait fait traverser l'impossible et cela sans le savoir. Elle était tel un fil magique et invisible qui l'empêchait de se noyer dans le flot hostile de sa réflexion morale. Des vagues successives de religiosité, de remords, d'interrogations, de certitudes vite démontées, fouettaient son âme depuis des mois. Son cœur était essoré comme du linge dans une machine à laver, et il ressentait cette force centrifuge qui écrasait littéralement son cœur. Parfois il se demandait s'il tiendrait très longtemps, s'il n'allait pas lâcher. Cette épreuve était une torture jouissive puisqu'il est en espérait la lumière.

 

Aujourd'hui, c'était elle qui subissait cette tempête. Mais elle était encore plus terrible que pour lui. Certes, elle savait qu'elle était aimée et ne mettait pas en cause la sincérité de cet amour, mais ses interdits religieux, qui sont la preuve de sa soumission à Dieu, la rappelaient sans cesse à l'obéissance.

Était-ce le pur amour auquel Pascal se référait qui devait guider ses pas ou bien le respect de ses engagements religieux ? Quel poids pouvait-on accorder à ce soi-disant pur amour devant sa fidélité aux prescriptions du Prophète ? Ce soi-disant pur amour n'était-il pas en fait un petit arrangement avec sa conscience pour pouvoir profiter d’elle ? Quelle confiance faire à un homme qui se réfère à Dieu mais qui n'a pas la volonté de respecter des lois religieuses ?

Ces questions heurtaient les tempes de son front alors même que Pascal y déposait un baiser  qu'elle recevait avec délice. Elle aurait voulu dire « encore », mais c'est « non » qui sortit difficilement de sa bouche. Elle n'arrivait pas à répondre à toutes ces questions et ses convictions naturelles l'emportaient encore.

Lui, s'il ne se questionnait plus sur la pureté de son amour, il s'interrogeait sur sa force. Savait-il lui dire correctement toute l'intensité de cet amour ? Savait-il trouver les mots qui la convaincraient que pureté signifie autorisation ? Et puis cette pureté savait-il la lui démontrer ? Elle lui inspirait douceur et tendresse, mais ses manifestations amoureuses étaient-elles à la hauteur de ce qu'il pensait donner ? Il se lamentait de savoir qu'un amour allait peut-être se perdre ou même mettre trop de temps à éclore en regard du temps disponible. L'amour ne peut pas mourir devant une réglementation, fût-elle prophétique. L'amour est ce que nous demande Dieu quelle que soit la religion. Le don est recommandé par elles, voir obligatoire ; pour satisfaire la volonté divine, le don de soi dans l'amour ne peut donc être sacrilège.

C'était à lui désormais de l'aider à traverser l'impossible. Il y mettrait tout son amour, il irait chercher en lui ce qu'il a de meilleur à lui offrir. Il ne pensait pas qu’ainsi il soit en opposition avec Dieu, il honorait l'une de ces créatures de l'indispensable amour, voilà tout.


Le cri

 

 

 

Toute une journée sans te dire «  je t'aime » est une punition pour moi. Quelle déception quand ta porte fermée m'apprenait que je ne pourrai pas te manifester mon amour ! Qu'il est triste de ne pouvoir exprimer les sentiments qui naissent au tréfonds de soi !

J'avais mal, mais encore plus mal pour toi, quand je m'imaginais la source jaillissante de ton amour obstruée par des principes. Comment peux-tu retenir autant de sentiments que des yeux trahissent ? Je devine tout ce que tu serais, à ton tour, prêt à me donner et si heureuse de partager avec celui qui t’aime comme peut-être jamais tu n'as été aimée.

Et puis non c'est interdit !

Et puis non, c’est maudit !

Et puis non... Et puis non ! ….

A chaque fois c'est un coup que je reçois dans le ventre et surtout c'est un coup de canif pour l'amour qu’a voulu Dieu.

Comment peut-on être obligé de ne pas donner ce que son cœur a façonné ? Pourquoi bâillonner l'amour quand bien même il serait pur ? Pourquoi ne pas vouloir entendre le cri du cœur qui implore de se laisser aimer ?

Pourquoi s'interdire d'éclairer le prochain choisi pour l'aider dans la recherche de son meilleur ?

Pourquoi dans un monde sauvage ne pas se permettre la douceur ?

 

J'attends ce baiser que tu me donneras au soir de tes craintes. J’attends tes yeux mi-clos exprimant ton bonheur. J'attends la voix de ton cœur m'annonçant son ardeur. J'attends donc simplement que l'amour nourrisse l'amour et que la terre soit enrichie d'un nouveau couple d’amants. Les trompettes de ciel sonneront l'événement. Le Prophète lui-même reliera le Coran, pour y trouver les versets qui autorisent implicitement à tout pur amour d'exister.

 

L'espoir

 

 

 

Ils venaient d'avoir une quinzaine de minutes de partage. Même s'ils étaient anxieux de savoir que la porte pouvait s'ouvrir à tout moment, ils vivèrent intensément ces instants. Elle ne refusa pas qu’il lui caresse ses cheveux, qu’il lui baise son front chaudement, qu'il remplisse sa nuque de baisers jusque derrière l'oreille qu'il prenait dans ses lèvres. Elle tendit même sa joue pour être en contact avec la sienne. Ils restaient là sans bouger  serrés l'un contre l'autre pendant de longues secondes qu'il eût voulu être l'éternité.

 

Jusqu'à ce jour, quand il lui parlait, il lui demandait juste ce qu'elle en pensait. Invariablement elle ne répondait jamais ou bien seulement un « rien » emprunté d’embarras. Ce jour là, il posa la question autrement : «  qu'y a-t-il dans ton cœur, saurais-je un jour ce que ton cœur pense ? ». Elle ne lui répondit pas plus, mais sans tourner la tête qui était rivée vers l'ordinateur qu'elle manipulait, seul son regard alla vers lui, mais là, il ne s'agissait pas d'un regard de pitié dicté par ses principes, mais d’un regard complice. Et alors qu'il lui disait savoir l’amour caché dans son cœur, son regard s'intensifia, c'était merveilleux à recevoir. Il savait alors qu'elle l’aimait vraiment, intensément, même si encore elle ne pouvait rien dire.

 

Il lui avait demandé de penser à lui pendant ces deux jours de séparation. Assis sur le rocher, alors qu'il regardait couler l'eau tumultueuse de la rivière, il était persuadé d’un fait. Il était certain que plusieurs fois elle aurait sorti les textes qu'il lui donnait presque chaque jour. En catimini elle les aurait relus : l’émoi, l'impasse, l'impossible, le cri. Il la voyait s'en imprégner tout le cœur. Plusieurs fois elle aurait embrassé ses feuilles de papier puis les auraient serrés très fort sur son cœur. Aujourd'hui ce serait le papier, demain ce sera lui. Il se demandait quand cela à se produirait.

 

Elle sentait certainement l'amour pur la gagner, c'était sûr, sinon elle garderait ses distances avec lui. Les écrits progressivement devaient faire leur oeuvre. Elle n'en était plus à juger de la sincérité des sentiments reçus, à son tour elle devait se jauger pour savoir si elle était capable d’aimer sans renier.

 

Ce n'était sûrement pas les caresses qu'il lui donnait qui faisaient monter sa tension amoureuse, c'était la tendresse avec laquelle il les donnait. Il avait l'air de les chercher au fin fond de lui-même, pour elle seule ; c'est cela qui rongeait les remparts de la cité interdite de l’amour. À chaque baiser ou caresse qu'elle acceptait de recevoir des lézardes se formaient dans sa rigueur. Elle voyait de moins en moins le mal qu'il y avait à l’aimer, mais c'était encore bien trop tôt pour le dire, de peur que son ange gardien ne l’entende. Ce qu'elle ne savait pas encore c’est que l'ange avait naturellement saisi l'amour qu'il y avait dans son cœur et qu'il avait observé comment il était né, à quelle source il se nourrissait. Et, le jour dernier, il témoignerait pour elle, pour la disculper de tout adultère. Il dira au Tout-Puissant qu'ils avaient atteint ensemble l'amour, le pur amour tel qu'il avait demandé aux Hommes de trouver. Mais elle ne le savait pas et s'efforçait de résister à la vague qui l’envahissait.

 

Par l'intermédiaire de quelques rapprochements qu'ils avaient connus, mesurant peu à peu l'accomplissement qu'ils pourraient trouver, elle se laissait aller à la rêverie. La rêverie n'est pas l'action aussi elle y rentra franchement, traduisant ainsi les picotements qu'avait procuré la tendresse manifestée par Pascal. Les mains trop rêches de Pascal parcouraient le velours de sa peau recherchant l'harmonie des lignes que le Sculpteur Suprême avait créées. Bientôt il tétait son sein comme un bébé goulu et un amant délicat. Elle n’osait encore poser ces mains sur son corps. Mais prise par le frisson que lui procurait autant d'intentions, elle laissa courir ses doigts lisses sur le corps désiré et par mille  chemins détournés, elle alla finalement prendre dans sa main la moitié de l'humanité. Cet amour serait douceur et non pas frénésie. Cet amour serait ardeur mais non pas hystérie. Cet amour serait donation avant même d'être exultation.

 

Une grippe les sépara plus longtemps que prévu. Fatiguée d'un travail qui n’avançait pas assez vite par rapport à toute l'énergie qu'elle déployait, et foudroyée par la maladie, il imaginait que ses pensées trop souvent prises par son labeur, seraient momentanément libérées pour les concentrer sur son conflit intérieur. Les moments de faiblesse physique sont souvent des moments psychiquement très forts. Qu’allait-il en ressortir ?

 

Quand il n'y a plus d'espoir, il y a l'espérance dit Jean-François DENIAU. L'espérance, pour eux, serait un signe miraculeux venu des cieux libérant leur conscience des actes qu'ils n’osent entreprendre. Sa foi dans le sens de la vie le rassure, il attendrait autant qu’il faudra et ne cessera jamais de lui donner son amour.

 

Dépression

 

 

 

Je pense que je ne dois pas savoir te dire : je t’aime. Ce n'est pas le nombre qui compte, mais l'impact que ces mots  peut avoir sur toi. Peut-être même que je pense dire : je t’aime, mais qu’il ne sort rien de ma bouche. Les sentiments que je pense transmettre, transpirent-ils de moi. ? J'en doute puisqu'ils sont sans effet extériorisant sur toi. Être convaincu d'être amoureux et ne pas savoir le montrer, quel fiasco ! Tu me donnes la force qui me fait avancer mais je ne trouve pas les mots pour te convaincre d'échanger notre amour.

Peut-être que je ne mérite pas ton amour ! Peut-être que je me fais des illusions sur mes capacités à t'apporter le bonheur que je désire pour toi !

 

J'ai, ce soir, l'espoir du dépressif.

Je te désire tant que je suis paralysé. J'ai tellement envie de nous que je suis peut-être insignifiant.

 

Dis-moi, toi que je suis convaincu d’aimer, dis-moi ce qui me tourne le ventre, qui s’extrait de moi après autant de souffrance, sont-ils des sentiments d'une pureté que tu n'as jamais rencontrée, troublent-ils tes certitudes et te donnent-ils l'envie de donner à ton tour ?

 

Je t'en prie, dis-moi que je ne rêve pas.

Dis-moi que ton cœur est heureux d'entendre mes pensées d'amour.

Dis-moi que tu as envie d'accrocher tes bras à mon cou.

Dis-moi de continuer à te manifester mon amour, car tu te sens changée.

Dis-moi que notre flamme existe et que tu veux l'attiser.

Dis-moi que tu te languis de trouver des instants de partage.

Dis-moi, dis-moi Mouna mon amour !

 

C'est quoi l'amour ? Une institution ou un fait que l'on découvre seulement quand il est là ? La capacité d’aimer d'un individu est-elle unique? Et qu'est-ce qui peut être la raison de cette unicité ?

À force d'analyse, il croyait son amour fort, c'est-à-dire capable de faire changer les choses et ceux qui étaient aimés. Lui-même se sentait meilleur depuis la révélation. Il s'était enrichi de ce qu'elle lui avait apporté alors même qu'elle ne se savait pas dépositaire d'un tel message. Or nous avons tous un message en nous, encore faut-il croiser celle où celui qui saura le faire décrypter. C’est ainsi qu'il voyait les choses. C'était ici que ces interrogations multiples l'avaient conduit.

L’aimer n'était pas de lui apporter des solutions matérielles à ses problèmes, même si c'est l'amour qui l’avait aidé à trouver celles qu’il lui avait offertes. Aimer c'était surtout construire sur les bases du meilleur que chacun voulait donner à l'autre. Et comme il ne pouvait espérer se construire un avenir commun, c'était plus fort encore puisque c'était se construire eux-mêmes pour se rapprocher davantage de la lumière divine.

Qu'en était-il pour eux ? Rien, la religion qui se veut être le véhicule de la pensée de Dieu ne reconnaissait pas cet amour. Elle brûlait cet amour comme d'autres religions faisaient honteusement des autodafés de livres qui les dérangeaient. On ne me fera pas croire en la cruauté de Dieu, je n'y croirais jamais. Il ne prend pas un malin plaisir à nous tenter et à refuser l'essence même de son message. Il nous demande de nous accomplir pour espérer voir sa lumière. Le filtre de la religion empêchait donc Mouna de donner libre cours à son accomplissement terrestre. Elle refusait d’appeler amour ce qu’il lui donnait et refusait de renvoyer l'image de son amour. À quoi servaient donc  les sentiments qu'il montrait, s'ils ne semblaient pas produire la moindre émotion, le moindre battement visible de cœur ? Si elle ne pouvait s'en servir pour aller chercher le meilleur d'elle-même pour avoir le plaisir de le lui offrir, à quoi servait cet amour ?

 

Elle était pleine de douceur et de capacité d'amour mais sa religion l'empêchait d'être elle-même. Sa religion refusait que Pascal lui éclaire son chemin de conscience. Sa religion lui empêchait incompréhensiblement de se donner et de recevoir.

Apparaissait-il comme un salaud qui est prêt à sacrifier sa femme, et un renégat qui est insignifiant puisque  non religieux ? Elle ne pouvait penser cela, mais les religions le traitaient ainsi.

 

Lui, il est sûr de la lumière qu'elle lui a apportée.

Il est sûr de ne pas être tombé dans la facilité.

Il est sûr du pur amour qu'il voudrait partager.

Il est sûr qu'obéir n'est pas fatalité.

Il est sûr que l'amour doit nous gouverner et nous transcender vers le chemin de Lumière.

Il est sûr de l’aimer pour la sublimer.

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Et il a toujours l'espérance qu'un jour ils s’aimeront sous la lumière divine.

 

Le baiser

 

 

 

Il lui avait déjà donné des dizaines de baisers qu'il voulait amoureux, mais la bouche de Mouna lui était interdite. Par instant il semblait que ces baisers lui étaient agréables et qu'elle était heureuse de les recevoir; même si rapidement elle retrouvait son contrôle pour ne pas céder à ses appels. Elle ne lui avait même pas fait cette bise comme celle qu'elle donne volontiers à ses collègues le matin ; en ce sens il avait un régime de faveur. Elle ne voulait rien faire qui puisse attiser son ardeur, elle voulait se montrer imperméable à ses manifestations.

 

Il n'y a que du Bien dans l'âme musulmane, le Mal environnant est combattu avec l’aide de Dieu. Si Pascal était le Mal, alors Dieu pouvait être fier de sa créature, elle le repoussait religieusement. Le Mal était repoussé, pas lui ! Elle avait quasiment fini par lui avouer qu'elle considérait ses sentiments comme des preuves d'amour, mais elle ne voulait pas que l'amour s'installe tout entier entre eux. La position inconfortable qu'elle vivait entre l'amour certain qu'elle nourrissait et ses interdits religieux, la ballottait lourdement. Si bien que Pascal recevait chaud et froid successivement, ce qui le mettait tour à tour dans l'espoir ou la déprime.

 

Qu'est-ce que deux bouches qui se lient délicatement ? Ce n’est qu'un signe extérieur de la volonté de se donner et de partager ce que l'amour vous donne envie de partager. C'est la reconnaissance d'une situation extraordinaire au cours de laquelle l'appel transcendant de l'autre nous atteint au point de connaître un état particulier de sérénité quasi paradisiaque. Cette condition est telle que vous avez envie de manifester à l'autre votre enchantement. Vous désirez alors lui offrir le meilleur de vous-même, et sur l’instant présent, c'est votre bouche qui se charge d'émettre le signe clair de ce désir de partage. C'est évident, la reconnaissance explicite de ce que l'on a reçu est bien de l'amour, seul l'amour peut induire une telle réaction en chaîne. Qu'ils le reconnaissent ou par encore, ce qu’ils  vivaient était de l'amour. Inexorablement cet amour devra être totalement reconnu pour qu'il devienne partage et alors leurs bouches ne tarderont pas à s’unir pour signifier à l'autre qu'il est entré dans le jardin d'amour.

 

Dans cette histoire, quelqu'un aurait-il pris la place d’un autre ? Parce que l'on vient de reconnaître que quelqu'un vous a donné de la lumière, doit-on éteindre celle qui embellissait votre vie antérieurement ?

La lumière peut s'ajouter à la lumière. Si le hasard peu probable, vous en fait rencontrer une nouvelle, unissez leurs intensités pour éclairer votre moi profond dont vous faites l'exploration. Dieu est en chacun de nous. La découverte de notre moi profond est en fait sa découverte. Pour ce faire, aucune lumière que l'on a eu la chance de détecter est superflue. Ne cherchez pas non plus à savoir si l’une de ces lumières éclaire plus que l'autre, la question n’est pas là. Chacune de ces lumières aura des reflets particuliers et éclairera spécifiquement un endroit de votre moi profond. Leur conjugaison ne fera d'ombre à personne et permettra d'aller chercher plus de meilleur en vous pour que vous le redistribuiez ensuite à la grande satisfaction de l’Etre Suprême qui se réjouira que tant de mieux soit extrait d'une gangue impure. Aimez sans renier est bien une facette indispensable du pur amour.

Il attendrait ce baiser, signal que désormais la lumière qu'il recevra d’elle serait consciente et volontaire.

Il guettait cet instant, où libérée de ses chaînes, elle laisserait parler son cœur, bien décidée de ne pas perdre cette occasion de vivre sa vraie vie et de construire avec lui un original espace d'amour.


Le deuil

 

 

 

Apprendre qu'un être cher est condamné par la médecine et que ses jours où ses mois sont comptés, doit avoir un effet dévastateur dans le cœur de ceux qui savent. Au-delà de la paralysie que doit engendrer une telle annonce, il est nécessaire, il est indispensable de ne penser qu'à une seule chose: quoi faire pour que ces jours ou ces mois soient source sinon de bonheur, tout du moins d'extrême relation. Ce n'est pas de la compassion qu'il faut montrer, c'est de l'amour. Bien que l'issue soit certainement proche, c'est de l'amour qu’il faudra apporter au malade. Il faut donc que chaque seconde qui s'écoule soit l'occasion d'aller, on ne sait où, chercher tout l'amour que l'on peut avoir pour accompagner ce restant de vie. Cet amour ne changera pas l'issue fatale mais sera l'occasion pour tous de se construire mutuellement en vue de la suite.

 

Je serai en deuil mon amour quand tu partiras. Je ne te porterai pas en terre mais tu partiras pour d'autres cieux, l'irrémédiable séparation tranchera dans le vif de notre amour et nous rendra plus que malheureux. Je serai en deuil mon amour.

 

Mais en attendant cet instant douloureux je ne veux perdre aucune seconde pour t’aimer. Déjà le décompte a commencé. Déjà mon cœur est comprimé de tristesse à l'idée de te perdre, mais aussi rempli de sentiments d'amour à te donner. Toutes ces secondes ne seront pas à nous uniquement, je voudrais donc que celles que nous arriverons à grappiller soient l'expression vivante du pur amour qui nous unit.

 

Continue à rechercher en toi la voie étroite qui conduit à ce pur amour, je suis au bout  du chemin pour t’y accueillir. Tant que tu ne seras pas convaincue que seul le pur amour nous est accessible, tant que tu n'auras pas fait la reconversion d'amour unique en amour possible, tu ne franchiras pas l'impossible et notre amour ne pourra  pas s'exprimer ouvertement. Et le temps s'écoulera inexorablement, nous laissant échapper des instants uniques d'échange profond. Viens chercher ma lumière pour que tu puisses aller plus loin dans la connaissance de toi-même. Plus tu te découvriras toi-même, plus du découvrira ce que Dieu est, puisses que nous sommes fait à son image. Ne pas vouloir tirer le rideau pour aller voir s'il n'y a pas quelque chose de Bien à faire par-là, c'est une occasion de ne pas honorer la volonté divine de trouver Dieu en soi.

 

Je serai en deuil de toi, mais je veux qu'à la fin du parcours nous soyons des êtres transformés par l'amour que nous aurons su nous donner et que, par delà l'espace et le temps qui nous sépareront, nous continuions à visiter la petite flamme que nous avons allumée dans nos cœurs.

 

Je serai en deuil mon amour !


Le cœur et la raison

 

 

 

Ce fut une journée extraordinaire. Désormais il n'aurait plus à lui dire : «  si tu savais comme je t'aime ». Pour la première fois elle lui avait parlé de son cœur et lui avait confié que la forme d'amour qu'elle avait pour lui, lui permettait d'être sensible à tous les signes qu'il manifestait à son égard. Il savait maintenant que ce qu'il voulait lui donner était reçu comme tel. Que de chemin parcouru depuis qu'elle lui avait fait comprendre qu'elle ne pouvait recevoir que de l'amitié ! Aujourd'hui chaque mot, chaque parole, chaque geste qu'il émettait étaient reçus pour ce qu'ils étaient, c'est-à-dire de l'amour.

Certains jours, son sourire illuminait tout particulièrement son visage quand Pascal lui disait ses sentiments. Ses yeux brillaient de son feu intérieur et elle devenait quasi câline. Ces moments semblaient être une aubaine et elle jouissait pleinement de ce plaisir à recevoir cet amour. Cette lumière était toute énergie pour Pascal, qui exultait de ces trop rares moments où elle laissait vivre son cœur.

Mais l'état de son amour, ou plutôt l'état qu'elle s'autorisait à montrer, ne lui permettait que de recevoir. Elle ne pouvait pas encore donner durablement. Si elle n'écoutait que son cœur, elle lui aurait lancé un « je t'aime moi aussi », et avec la tendresse que ses yeux exprimaient. Son désir de donner est immense mais elle ne voulait pas faire ce qu'elle considérait comme l'emmenant peut-être dans une impasse, voire dans un mur. Elle ne croyait pas possible d’aimer totalement sans que cet acte d'amour soit une trahison pour celui qu’elle aime et qu'elle veut continuer d’aimer. Il lui avait bien parlé du pur amour mais elle ne pouvait encore concevoir d’aimer deux hommes en même temps. La fidélité qu'elle vouait à son mari était louable et remarquable. Pascal l’aimait d'abord pour les qualités de son cœur et il ne pouvait lui en vouloir de camper sur ses principes. Il ne pouvait que lui expliquer en quoi leur union ne serait pas destructrice. Il devait lui montrer comment faire pour en arriver là. Pour l’aider, non pas à se renier mais à analyser la portée d'un acte sur la pérennité de sa relation conjugale.

 

Ils n'avaient rien demandé. Ils ne l'avaient pas recherché. Pourtant désormais chacun savait qu'il était là et remplissait leur cœur. Que fallait-il, que devaient-ils faire de cet amour qui leur tombait du ciel ?

N’en faire que de l'affection et faire semblant ! Mais, ce que Pascal ressentait allait au-delà de l'affection. Que manquait-il, ou plutôt qui avait-il pour qu'ils ne puissent l'appeler amour, et le vivre ? Refuser son accomplissement total n'était-il pas seulement une naïve hypocrisie de leur part ? Leur cœur le vivrait comme de l'amour et leur raison ne l’appellerait qu’affection ! Leur plus profond désir serait de se donner l'un à l'autre mais ils ne le goûteraient que du bout des lèvres ! Leurs pensées de toutes façons seraient accaparées par leur amour, et ils feraient semblant de l'ignorer ! Ils s’aimaient aussi parce qu'ils avaient reconnu en l'autre une pureté, ils ne pouvaient donc pas laisser place à l'hypocrisie. Celle-ci serait d'ailleurs bien naïve car Dieu qui nous observe tous n'est pas dupe de ces sentiments qui les animaient. Suffirait-il qu'ils fassent semblant de les ignorer pour rassurer le divin  Être de leur obéissance ? Pour le jugement dernier, la force des intentions n'était-elle pas plus forte que l'action qu'elle pourrait engendrer ? Résister héroïquement à ses désirs est évidemment preuve de grande conscience et de parfaite soumission. Mais refuser le pur amour, donc refuser le don de soi pour celui que l'on veut aimer n’était-ce pas aussi aller à l'encontre de l'essentiel de la mission humaine sur cette terre : trouver des valeurs fondamentales pour l’Homme ? Et l'amour en est une!

Il ne s'agit pas ici de résister à une aventure amoureuse qui n'a comme seul objectif que la recherche du plaisir. Il s'agit de la recherche d'une communion avec l'autre qui leur ferait aller jusqu'à l'offrande de leur corps.

Mais le pur amour est un concept. Comment doit-il  se manifester concrètement chaque jour dans leur vie ? Comment pouvaient-ils s’aimer sans qu'ils ne trahissent l'amour qui les animait avant leur rencontre ? Cette question l'avait taraudé, elle la torturait désormais. Pascal avait d'ailleurs fait preuve d'égoïsme quand ses yeux s'étaient brouillés de larmes à l'annonce qu'elle ne pouvait pas l'amour total. Il le comprit rapidement et se corrigea. Il avait dû batailler ferme pour admettre la position qui était désormais la sienne. Il fallait lui laisser le temps de son cheminement de conscience! Il pouvait l’aider.

 

Qu’est ce que la fidélité? Ou plutôt qu’est ce qui nous est demandé : la fidélité en quoi ou bien la fidélité pour qui?

Si fidélité veut dire unique bijection entre deux  êtres, alors oui, il y a trahison!

Si fidélité veut dire respect envers des engagements d'amour que l'on a un jour donnés à quelqu'un, alors il peut y avoir coexistence d'amours. Qu’est ce qui est le plus fort : l’obéissance à une règle généreuse par un cœur objectivement accaparé partiellement par une autre personne ou bien la continuité de l'amour que l'on apporte toujours au premier amour et sans jamais être démenti par l'amour que l'on donne au second ? L'amour que l'on reçoit fait toujours grandir l'amour que l'on est prêt à donner, sinon ce ne serait pas de l'amour.

Lui, le sentait déjà, son cœur avait grandi et l'amour nouvellement découvert avait renforcé l'amour qu'il portait déjà à son épouse. Il voulait maintenant qu’elle atteigne ce degré de conscience afin qu'elle s'enrichisse profondément de leur amour.

 

Il est vrai que ni l’un ni l'autre n'avait le don d’ubiquité. Le temps qui s'écoule serait donc forcément dédié à l'une ou a l'autre de leurs relations. Ce serait ainsi ! Ce qu'il ne fallait surtout pas, c'est que leur attitude créée un doute chez leur conjoint, doute qui leur ferait penser que quelqu'un les éloigne d’eux et prend leur place. Oui, le pur amour c'est aimer sans renier. Dans ces seules conditions ils pouvaient se donner l'un à l'autre sans retenue, sans remords, car l'amour qu'ils conserveraient à leurs conjoints ne serait jamais mis en défaut.

 

S’il avait envie d’elle, comme il le lui disait, ce n'était pas pour un échange sexuel là, tout de suite. Il était décalé avec sa génération et il s’en fichait. Ce qui comptait pour lui, c'était d’avoir une qualité d'échange avec elle, exemplaire, originale, fondamentale. Il savait tous les deux la signification profonde et ultime de l’acte d’amour. Ils étaient conscients que leur situation ne leur permettrait pas d'envisager une telle finalité.

 

Il aurait aimé avoir une trentaine d'années, être célibataire comme elle le serait aussi. Ils auraient pris le premier avion pour le Maroc. Ils se seraient rendus chez ses parents pour leur expliquer la qualité de leur amour. Et il les aurait convaincus, alors que non musulman, qu’ils pouvaient lui confier le destin de leur fille chérie car il saurait être comme cet engrais qui embellit la rose, et qu'il voulait la magnifier dans un bonheur conjugal. Il leur aurait promis que leurs petits enfants seraient élevés dans une religion sage choisie par leur mère et que lui ne leur apprendrait que l'importance de l'Amour sur cette terre.

Mais il n'en était pas ainsi !

 

Quelle signification avait donc pour eux l'acte d'amour qu'il appelait de ses vœux et auquel elle-même aurait songé avant de s'en défendre ? Si la procréation en était le but, c’eût été alors un acte méprisable dans ces conditions, ou bien ils auraient dû en tirer toutes les conséquences. Mais, Pascal n'était pas ce coucou pour faire élever sournoisement son enfant par autrui, même s'il pense qu'il est dommage qu'un tel amour ne puisse se transcender dans la naissance d'un enfant. Il savait que pour l'honneur de son être aimé et pour cet hypothétique bébé, un tel scénario était impossible.

Mais les couples ne font pas l'amour seulement pour procréer! Le rapprochement des corps, leur fusion n'est que la communion recherchée par les cœurs. C'est l'acte ultime dans le don de soi à l'autre. C'est le partage exprimé par l'adéquation des sexes. C'est tout, sauf vulgaire. Leur désir intime était fort mais il ne pouvait encore s'exprimer. Et le temps s'écoulait inexorablement.

L'acte d'amour viendrait en son temps, dans le moment choisi, pour qu'il puisse s’épanouir totalement. Ce que Pascal réclamait à Mouna pour le présent, c’était un baiser d'amour. Pouvait-il avoir baiser d'amour sans qu'il n'y ait acte d'amour? C'était à eux d'en décider.

Lui, pensait qu'il ne pouvait rester dans cet état intermédiaire qui ne dit pas son nom. L'Amour était en eux, ils se l’étaient dit. Alors il voulait le glorifier dans un baiser d'amour. Il lui avait promis que c’est elle qui choisirait le moment. Certes, il faut l'avouer, il l'avait sollicitée ardemment en l'embrassant fougueusement dans ton cou et sur son visage. Il avait plusieurs fois survolé sa bouche pour qu’elle en profite pour saisir la sienne. Il n'y avait eu qu'un petit mouvement de lèvres vite  réprimé. Mais il sentait en elle tant d'ardeur en réponse à ses baisers, qu’il l'imaginait n’osant pas franchir le pas au risque d'anticiper une décision pas encore mûrie. Il attendrait qu'elle laisse son cœur s'épanché sans appréhension et sans remords. Il était sûr alors qu'elle s’abandonnerait à sa bouche, ce serait son premier don d'amour exprimé. Mais il était conscient que l'effort qu'elle devait faire sur elle-même, était sans commune mesure avec celui qu'il avait fait sur lui-même. Il saurait ne jamais l'oublier.

 

Il avait envie de son amour. Elle serait son soleil et ensemble ils formeraient une galaxie d'amour. Une pluie d'étoiles sortant de ses yeux si doux illuminerait leur destinée. L'éternité serait le présent puisque le temps ne serait plus. Il remerciait le ciel de l'avoir fait rencontrer. Il remerciait  le ciel de l'avoir laissé aimer. Comme à l'origine des temps ce couple serait dans le jardin d’Eden puisqu'ils auraient su trouver le pur amour qui en est la seule clef d'entrée !

 

Il rêvait. Il rêvait d'elle. Il rêvait d'un baiser voluptueux. Il rêvait de son corps. Il rêvait de venir en elle. Il rêvait de se fondre en elle. Il rêvait d'union. Il rêvait de communion. Il rêvait d'un amour assumé.

 

 

Quand tu reviendras !

 

 

 

Je sais que tu me reviendras encore plus belle, mais qu'il est long le temps sans pouvoir dire un je t’aime.

C’est maintenant l’heure de l'exposé que tu dois faire au cours de ce congrès, je me sens tout près de toi, je me sens en toi, je suis à toi, j'aurais dû être là !

Je t'ai bien appelé dimanche matin avant ton envol pour te dire quelques mots d'amour, mais il n'y avait personne.

 

Libérée de ton fardeau, je suis sûr que tu vas de pencher maintenant sur nous. Je suis sûr que tu relieras mes écrits qui sont autant d'appels à l'union. Au pied de ce volcan fougueux tu trouveras la sagesse de savoir comment faire vivre notre amour.

 

Le regard que tu choisis de me donner me manque. Ton émoi me manque. Ton désir mal dissimulé me manque. J'attends impatiemment ton retour. J'attends impatiemment que tu me dises ton amour. J'attends impatiemment de me lier à la bouche. Mon amour, que c'est doux de t’aimer en pensée. Mon amour, je retiens en moi un océan de tendresse dont tu es la source, je voudrais tant nous y voir baigner dedans. Je tends déjà les bras pour t’accueillir. Je sens déjà ton parfum de mûrs sauvages. Tu es là, tu arrives, je te devine.

 

Quel fier imbécile je suis de ne pas t’avoir suivi ! Nous aurions certainement pu avoir quelques moments pour nous. Au lieu de cela je dois me contenter d'une photo sur laquelle tu es très triste d'ailleurs. J'en profite pour réfléchir à ce que ton oral du mois de décembre devrait ressembler, et à compléter certains passages de notre histoire que je n'avais pas encore écrits. Ils seront pour toi à ton retour.

 

Le petit poisson : conte allégorique

 

 

 

Il était heureux le petit poisson dans son bocal. Il avait été placé là par un être supérieur qui avait pris soin de lui fournir tout ce qui pouvait le rendre heureux. Chaque jour il mangeait à sa faim, il pouvait faire une petite sieste dans le coin de verdure agrémentée d'un flux de bulles généreux. Le sable était immaculé et son horizon n'était jamais verdi d'algues envahissantes. On lui avait donné aussi des congénères avec qui il pouvait discuter, ou mieux si affinité. Tout était bien dans le meilleur des mondes, comme le disait Candide. Et puis, les dimensions de son univers étaient confortables, il n'avait jamais l'impression de limites ce qui lui permettait de s'accomplir totalement dans sa vie de poisson ; une vie de bonheur !

Un jour le petit poisson resta la  bouche collée à la paroi. Il restait là de longues heures qui le firent venir doucement en méditation. Obstinément il donnait de grands coups de queue pour se propulser au-delà de cette frontière, en vain évidemment. Il fut sauvé par un être supérieur qui à l'aide de son doigt le réveilla de ses fantasmes. Il reprit alors le cours des choses et oublia cet au-delà.

 

C'était la période estivale et comme chaque année il allait suivre les ombres qui tournaient habituellement autour de son bocal. Cette année ils partirent en croisière sur un magnifique voilier. Hélas, pris dans une tempête effroyable, le bateau chavira tandis que le bocal tomba à l’eau et dériva au fil des vagues gigantesques. Le petit poisson était secoué sans vergogne. Des hauts le cœur l'agitaient. Où était la quiétude passée? Pourquoi l'eau se mettait-elle à le balader ainsi d'une paroi l'autre ? Il regrettait le temps où, posé sur le buffet du salon, son univers n'était troublé que les jours de ménage.

Désormais, tel un quasi-ludion, le bocal allait entre deux eaux. La tempête s'était calmée et comme une bouteille à la mer, le bocal sillonnait des paysages inconnus. Le petit poisson était émerveillé de tant de splendeurs. Jamais il n'avait pensé qu'il pouvait exister d'aussi jolies choses. Son bonheur était d'avoir l'occasion de les rencontrer mais pas d’en jouir.

 

Un jour pourtant au milieu d’innombrables autres poissons, il en remarqua un qui lui semblait différent sans qu'il ne sache pourquoi. Celui-ci, d'abord timidement, se rapprocha du bocal, fasciné par les couleurs du prisonnier. Il vint à son tour plaquer sa bouche sur la frontière invisible du récipient, en vis-à-vis de celui qui attirait ses attentions. De l'immensité de l'océan, seul un petit poisson capturait désormais son désir. Il voulait lui parler, il voulait le toucher, il voulait l'embrasser, mais ses mots et ses gestes rebondissaient sans espoir sur la carapace de verre. Ils avaient beau tourner ardemment tout autour de la cloison, celle-ci ne laissait rien filtrer à part des sentiments auxquels ils ne pouvaient répondre. Ils pleuraient toutes les larmes de leur cœur de ne pouvoir se donner l’un à l’autre. Ils ne comprenaient pas l'injustice qui leur était faite. Ils s'étaient choisis sans même le vouloir et l'invisible les séparait. Ils imploraient Neptune de leur venir en aide mais le dieu de la mer ne dit mot. Le poisson prisonnier fit comprendre à son amoureux que sa quête était vaine, que l'ordre des choses était voulu ainsi et que leur relation n'ayant pas été écrite dans le grand livre du Destin, jamais ils ne pourraient s’aimer.

Le poisson libre ne pouvait se résoudre au renoncement. Leur amour était pur comme celui qui est appelé des dieux, il devait donc exister. La transparence de cette coquille l’avait leurré. La lumière du prisonnier était venue l'éclairer, pourquoi donc l'amour ne sortirait pas vainqueur de l'invisible frontière. Il concentrait toute son énergie, tout son amour pour faire exploser la paroi comme ferait le chanteur avec un verre de cristal. Rien n'y faisait, le poisson prisonnier résigné devait avoir raison.

 

De même que le hasard les avait réunis incomplètement, le hasard devait bien pouvoir poursuivre son oeuvre, il fallait attendre l’heure de l'espérance. Soumis aux caprices de la mer ils devaient lutter durement pour ne pas être séparés. Mais leur amour bien qu’inaccompli les liait d’un fil invisible au travers de la paroi rebelle.

 

Comme le Déluge vint en punition aux agissements des Hommes ; dans la tourmente, seuls ceux qui répondent à l'exigence sont sauvés de désastre, il en fut ainsi pour l'océan des poissons. Une tempête immémoriale agita tant les eaux que le bocal fut projeté violemment sur des rochers rugueux et se brisa lamentablement. Secoué par l'événement le petit poisson du bocal se vit libérer de son horizon de verre. Un peu perdu dans ce vaste nouvel univers, il ne tarda pas à être conforté par celui qui n'avait jamais perdu l'espérance de le serrer dans ses nageoires amoureuses.

 

La force de l'amour est telle, que l'impossible devient probable.

 

Aimer pourquoi faire ?

 

 

 

Dans cette société devenue matérialiste à outrance se pose sans cesse la question de la nécessité des choses. Il faut s'interroger sur la conséquence de telle ou telle action et de leur utilité. Le geste gratuit n'a plus cours et la recherche de perspectives est obligatoire. À force de se projeter dans l'avenir, le présent est oublié et avec lui la mémoire du temps qui passe.

L'amour n'échappe en rien à ce dictât. Il faut lui trouver un sens, savoir où il peut conduire, s'il est autorisé. Le sens profond de l'amour n'existe presque plus et ce que l'on appelle amour doit désormais répondre aussi à ces questionnements sinon cela relève de la catégorie « aventure ». Corrélativement la liberté d'aimer s'en trouve écorner.

Quelles finalités pour l'amour? Dessiner le futur ou accomplir le présent! S’il y a dessein, il y a calcul, l'amour n’est-il qu'arithmétique? Si l'amour se réduit à cette projection, à cette manipulation, c'est qu'il a subi des élaborations diverses qui l’éloignent de la pureté première. La raison de l'ordre établi a lissé son contour pour le rendre acceptable par la société. Est-ce encore de l'amour ?

 

L'amour est un état qui se vit au présent avec spontanéité. L'amour c'est ce que l'on donne là, avec le seul espoir d'apporter à l'autre quelque chose que nul autre puisse apporter. Quelque chose d'original. Quelque chose qui trouve écho en lui et le ravisse. Quelque chose qui le conduise à son tour à vouloir donner. Quelque chose qui va les rendre plus forts. Quelque chose qui va leur dire qu'ils accomplissent une oeuvre humaine fondamentale. Quelque chose qui va les conduire à se fondre l'un dans l'autre. Quelque chose qui va les arrimer l'un à l'autre pour vivre l'instant suivant. Tout ce qui n'a pas été donné est perdu puisque le temps s'est écoulé. Le futur de l'amour se façonne dans la qualité qu'il est au présent. L'amour ne se construit pas, il se découvre. L'amour ne se recherche pas, il est immanent et se révèle. L'amour n'est pas là pour nourrir un projet, c'est un projet à lui seul : celui de créer un domaine espace-temps parfait, dans lequel la femme et l'homme atteignent une dimension jamais égalée par ailleurs, qui rappelle le jardin d’Eden. L'amour doit se cueillir dès qu'il se manifeste, avec la reconnaissance profonde que l'on doit à un état autant exceptionnel que symptomatique de l'existence surnaturelle. Le futur nous est inconnu, il faut s'y projeter comme si l'éternité était à nous et vivre la seconde présente comme si ce devait être la dernière.

 

Que la vie est belle !

 

 

 

Restant fidèle à ses engagements d'amour il est venu, il a attendu, elle n'est pas venue. Le temps lui, n'attend pas.

Mais son amour est grand et malgré son impatience, il saurait attendre. Elle ne devait pas redouter de le rencontrer seul. Certes il lui dirait tout son amour, tout son désir, mais son esprit ne serait pas violé. Il lui laisserait l'initiative, il ne voulait pas forcer les choses, il voulait que seule la solidité de sa sincérité fasse faire prendre confiance à Mouna  en son propre cœur. Elle n'était pas sûre de résister à ses manifestations amoureuses car son cœur était prêt à se laisser emporter. Elle avait certainement peur de s'en vouloir d'avoir cédé à son cœur. Son cheminement de conscience ne l'avait pas encore conduit totalement à accepter la solution irréversible. Elle ne risquait donc pas une telle rencontre.

Il lui pardonnait bien sûr, même s'il s'inquiétait de ces occasions perdues. C'était dommage, c'était très dommage car les individus n'ont pas un capital d'amour donné dont ils peuvent disposer, ce sont eux qui révèlent autant d'amour qu’ils peuvent. Plus d'amour est trouvé et plus l'humanité progresse vers la Vérité. Il implorait de ses vœux  qu'elle comprenne que la dimension cosmique de leur amour faisait partie de sa mission terrestre et qu'elle devait faire confiance à son cœur. Elle devait rechercher du bonheur en donnant à son tour, sans retenue. Notre devoir est d'enrichir l'humanité de nos comportements. Savoir reconnaître le pur amour, et le vivre, fait partie de celui-ci.

 

Il avait mal à son cœur. La succession espoirs et doutes le minait fortement. Il ne vivait plus, il ne faisait qu'attendre. À la première lueur il trouvait la vie belle. À chaque occasion manquée il la voyait cruelle. Il avait mal à son cœur. Soupçonnait-elle cette souffrance ? Il ne cherchait pas de compassion, il désirait seulement son amour, celui qui était enfoui au fin fond de son cœur  pour qu'elle ne soit  pas tentée de l’exprimer. Son vœu était de la voir prendre conscience de la grandeur de l'Amour puis de se laisser porter.

 

Ombres et lumières

 

 

 

Il avait pris l'habitude de lui écrire ce que leur temps ne leur permettait pas de se dire. Il voulait lui faire partager sa philosophie de l'amour nouvellement apprise. Il voulait un contact permanent entre eux. Il l'aimait simplement et voulait le lui dire.

 

Hier avait été une journée riche, où ombres et lumières s'étaient succédées comme à l'habitude; elle se finit dans l'ombre désespérante d’un crépuscule qui ne sait si l’aube se lèvera demain.

Il fut réveillé au milieu de la nuit par le cauchemar de la réalité. Tous les mots qu'elle lui avait dits, lui revenaient en tête et martelaient son inquiétude. Comme à l'habitude il analysait, concluait, revenait à l'analyse, confortait ses conclusions. Le prochain texte serait le dernier qu'il lui donnerait !

Alors que de son cœur était venu un poème d'amour qu'il lui dédiait, elle ne lui fit qu'un seul commentaire : « Décidément tu es un poète » Non, il n'était pas poète, il avait l’âme poétique et c'est elle qui avait suggéré à son cœur tous ces vers. Il aurait voulu, comme à chacun de ses écrits, qu'elle lui dise ce que son cœur ressentait, si elle était fière d'avoir promu une telle harmonie. Comme d'habitude, il n'y eut rien de cela. Elle lui avait donné inconsciemment une fortune d'amour et elle ne voulait rien lui donner de conscient. Pire même, emprisonnée dans les miasmes de son labeur, elle lui dit aussi avoir compris sa forme d'amour, qu'elle avait bien lu et retenu tous ses écrits mais que la quantité n'était pas nécessaire. Elle lui dit avoir besoin de sérénité pour se consacrer entièrement à son travail, et que pour cet amour elle verrait plus tard ce qu'elle en ferait. Son énergie serait donc mise totalement au service de ce travail, et le questionnement sur cet amour impossible viendrait, peut-être, quand elle serait débarrassée de ses soucis professionnels.

Puisque la quantité était suffisante, il arrêterait de lui transmettre sa réflexion. Une dernière fois il voulait tout de même lui écrire, lui crier son amour !

Pour lui l'amour c'est donner, donner toujours plus, donner tout. C'est un acte délibéré d'abandon de son être à la personne aimée.

 

La situation actuelle lui semblait être une pièce de théâtre. L'acteur principal déclamerait son texte, mais l'actrice ne serait pas là pour lui donner la réplique. Il continuerait à dire son rôle tandis qu’un blanc suivrait tous ses discours. Bien sûr qu'il ne s'agirait pas d'une pièce de théâtre dans ces conditions. L'amour n'est pas deux partitions que l'on jouent chacun de son côté. L'amour c'est un partage consenti, c'est un duo.

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Un point les séparait aussi, mais il faut bien dire que leur différence d'âge pouvait largement expliquer leur divergence de vues sur la structure de la vie. Lui, n'avait plus rien à démontrer et il lui était facile de voir la vie comme un ensemble, aussi n'était-il pas choqué d'avoir besoin d'amour même dans son travail. Elle, jeune, devait prouver ses capacités professionnelles et elle décomposait verticalement sa vie. Le temps d'amour, elle ne voulait pas l'intégrer au temps professionnel. Il essayait pourtant, depuis qu'il lui avait parlé de la flamme, de la convaincre que dans un amour consciemment partagé elle pouvait y trouver des ressources. Son éducation et son inquiétude professionnelle s'alliaient volontiers pour la dissuader d'accepter cette interprétation.

N’était-il pas seulement une personne particulière pour elle, mais sans plus ? Que pouvait-il dorénavant lui donner de plus puisqu'elle disait être sevrée de son désir ? Attendait-elle que son impatience résolve le problème par une dissolution de ses sentiments avec le temps ? Il n'y aurait alors plus à se poser la question centrale de l'amour possible ou impossible et l'honneur serait sauf !

 

Ce n'était pas de l'amour de pacotille qui animait Pascal. Il remettrait le couvercle et appuierait  fort dessus, mais il laisserait toujours bouillir en lui cet amour si pur, dans l'espoir de le libérer pour elle un jour.

 

Il lui donna les feuillets et lui demanda si elle pouvait les lire là, maintenant. Elle s'arrêta une première fois quand elle arriva où moment où il lui disait que ce papier serait le dernier. Une inquiétude assombrit son regard. Elle poursuivit la lecture et lui fit part de son désaccord avec ce qui était écrit. Il avait mal compris et surtout elle pensait qu'il n'avait pas, qu'il ne voulait pas prendre le temps de la comprendre et de l'attendre. Pourtant c'était écrit, il l'attendrait. Mais elle le voyait fortement impatient, c'est donc qu'il devait l’être... Il lui expliquait alors que leur approche de leur amour était différente; que lui aurait voulu qu'il se traduise là, maintenant pour qu'il soit profitable, mais qu’il comprenait que le chemin était encore long pour elle; aussi avait-il décidé de remettre un couvercle sur son cœur pour qu'elle puisse prendre le temps, seule, de décider de l’aveu de son propre amour.

Aujourd'hui elle ne le pouvait toujours pas. Son éducation et le Coran qui guident ses pas exercent sur elle l’effet désiré : la culpabilisation. Ils en vinrent donc à parler de religion et de sens de la vie humaine. Leurs avis divergeaient à cause du pêché originel. Pour elle, en obéissant aux consignes du Prophète on évitait que le mal vienne polluer le Bien que chaque être à en lui. Pour lui, l'homme est né libre sans conscience originelle et il devait se la construire tout au long de sa vie pour ensuite espérer vivre éternellement dans la lumière.

De manière moins fondamentale que tout ceci, revenait le problème de la fidélité. Elle lui demanda s'il accepterait que son épouse puisse avoir une histoire analogue à la leur. Bien qu’ayant longuement réfléchi sur le sujet, son oui manqua de conviction, il sentit qu'il résonnait mal. Pourtant il était sûr de sa réponse mais il ne l'avait exprimée que dans sa tête, et là les mots qu'il devait prononcer manquaient de netteté. La réponse pourtant était facile. Il aimait son épouse pour des raisons identiques à l'amour qu'il portait maintenant à sa nouvelle lumière. C’étaient deux êtres d'une grande et rare pureté. De celle-là ne pouvait sortir le mal. Elles étaient convaincues chacune de l'importance de la fidélité, comme lui d'ailleurs. Si donc son épouse devait connaître une histoire semblable, c’est qu'elle aurait à son tour trouver une seconde lumière miraculeuse, elle pourrait donc vivre cet amour puisqu'il serait pur.

 

Elle était assise tapotant sur le clavier de son ordinateur. Il passa derrière elle et se mit à embrasser ses cheveux. Il descendit doucement en direction de son cou et lui fit sentir le souffle chaud de son cœur. Elle inclinait la tête pour lui faciliter la tâche montrant ainsi qu'elle aimait recevoir cette chaleur. Sa bouche saisissait son oreille, il  parcourait de ses lèvres son visage en direction de sa bouche. La saisirait-elle ? Non, ce n'était pas l’heure. Mais s'arrêtant chacun, leurs bouches face à face, il regardait ses yeux qui semblaient lui dire : « je te désire aussi ». Revenant derrière elle, il passa ses bras sous ses aisselles et prit ses seins dans ses mains et les caressa fortement à travers son corsage. Elle ne dit rien, puis essaya tout de même de se dégager de cette étreinte, non qu'elle ne lui soit pas agréable, mais par peur qu'ils soient surpris dans une attitude qu'ils n'auraient pas dû avoir. Elle lui fit part de la force remarquable de son étreinte pour s'excuser de ne pas s'en être sortie plutôt, mais, aussi en filigrane pour lui dire qu'elle avait aimé cette sensation de force. Il espérait que cette force était aussi douceur et qu'elle aimerait la retrouver souvent, puis enfin qu'elle la lui réclamerait.

 

Il ne cherchait pas dans cette étreinte une occasion pour forcer son consentement. Elle devait d'elle-même venir chercher ce baiser d'amour. Ce devait être le geste d'une femme libre qui ajuste ses actes à la dimension de son cœur. Il fallait qu'elle décide que cet acte d'amour soit compatible avec le déroulement antérieur de sa vie. Il fallait qu'il ne blesse personne et ne fasse que les enrichir, eux. Leur longue discussion montrait qu'elle n'en était pas là, mais elle laissait la porte entre ouverte, son chemin de conscience était bien plus périlleux que le sien.

 

Le temps devait inexorablement les séparer à terme; mais s’il n’en avait pas été ainsi, quelle solution auraient-ils dû adopter ? Pouvaient-ils mener une double vie durablement ? Auraient-ils pu conserver la raison de leur permission d'amour : ne blesser personne ? La question était naturellement judicieuse, peut-être même embarrassante. Ils auraient dû alors tester la profondeur et la pureté de leur amour pour savoir s'ils étaient capables d'assumer cette situation. En fait les choses ne se posaient pas ainsi, alors à quoi bon vouloir trouver une solution à un problème qui ne se posait pas à eux.

 

Ils ne pouvaient s'imaginer un avenir, mais ils voulaient construire leur présent. Deux astres momentanément placés en attraction mutuelle retrouveraient leurs trajectoires initiales après fermeture de cette parenthèse temporelle. Mais pour eux il ne s’agirait nullement d'une parenthèse, il s'agirait d'une tranche de leur vie, d'un morceau de chemin fait ensemble pour les conduire vers la lumière. Il s'agirait d'une construction du meilleur et du bien. Il s'agirait du don suprême d'eux-mêmes. Il s'agirait d'amour tout simplement, réalité qu'ils laisseraient modestement au patrimoine de l'humanité parce qu'il serait pur amour.

 

 

Le destin ?

 

 

 

Il n'avait plus vingt ans depuis longtemps dit la chanson ; c'était son cas. Pascal s'étonnait donc de la puissance de ce qui lui arrivait. Chaque jour qui passait, il voyait grandir en lui son désir de partager avec elle du temps. Son esprit était accaparé presque totalement par elle. Il cherchait une solution pour la voir. Il cherchait des rimes pour honorer sa beauté. Il cherchait des mots pour la convaincre. Il cherchait son chemin de conscience. Il cherchait la force de la douceur pour l'envelopper dans le velours d'une tunique de pétales. Il cherchait à la faire sourire. Il cherchait son émoi. Il cherchait son amour.

Comment se faisait-il qu'il soit capable de noircir de nombreuses pages avec autant de facilité et de pertinence ? Comment la poésie venait à lui pour satisfaire le rythme de ses phrases ? Lui, qui avait souvent du mal à trouver ses mots, partait maintenant dans de longues tirades d'amour avec la conviction d'un tribun. Pourquoi les choses devenaient- elles faciles ?

Il sentait monter en lui une force qu'il ne pensait pas avoir, une douceur dont il ne pensait pas être capable. Il se mit même à faire des exercices physiques et à maigrir alors que l'aiguille de la balance était fixée trop haut depuis si longtemps.

 

Pourquoi avait-il une vision juste des choses ? Pourquoi ses écrits initiaux contenaient-ils déjà l'essentiel de sa découverte alors qu'il n'avait pas encore terminé son questionnement ? Pourquoi pouvait-il lire dans le cœur de Mouna avec autant de justesse et la comprendre avec tant de sagesse ? Pourquoi, lui l'impatient, l’actif, était capable de lui dire : je t'attendrai ?

 

Elle lui aurait répondu : «  C'est le Destin ». Lui, il n'y croyait pas.

 

Si les choses étaient écrites nous ne serions pas libres. Pourquoi donc alors donner un destin malheureux à certains ? Pourquoi donc des êtres choisis seraient d'avance confiés aux forces du Mal ? Ce serait injuste et inutile.

Depuis Einstein, le temps est remis en cause. Les physiciens pensent désormais qu'il n'existe pas. La notion de temps est alors purement une impression humaine. Pour nous le temps s'écoule, il y a un passé, un présent et un futur. Dieu, lui est hors du temps et on lui prête donc par confusion le don de connaître l'avenir. Mais l'avenir est humain, il n'est pas divin. Dans ces conditions il n'y a pas de destinée.

 

Il n'y avait pas en lui, pas plus qu'en personne, la programmation de sa vie. C'est le fruit du hasard et de son moi profond qui lui avait permis de détecter deux lumières  qui ne brillaient pour personne d'autre peut-être. La rencontre est hasardeuse et la relation qui s'est nouée est la conséquence de ce qu'il était à cet instant. Et, pour compléter le système il faut bien entendu que ces personnes rencontrées développent une sensation symétrique. C'est pour cela que le pur amour est si peu probable mais pas impossible et que l'on ne risque pas de tomber dans cet état de multiple fois.

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La vie terrestre est là pour l’accomplissement de chaque être. Il faut avoir conscience de cette mission pour se forger des certitudes qui seront la base de notre au-delà. Trouver laborieusement la voie qui conduit à la lumière plutôt que respecter une obéissance rigoureuse. S’introspecter plutôt que se flageller. L’humanité doit s’enrichir davantage des expériences individuelles que de la qualité d’une rigueur, fût-elle difficile à respecter. Entreprendre en conscience ne peut être éloigné du Bien. Chercher la traduction des recommandations divines, plutôt que s’en tenir à des commandements érigés uniquement pour  favoriser  le développement de l’esprit religieux et destinés à des consciences simples.

Dieu nous a crée à son image, aussi seul le Bien peut nous habiter. Cette logique semble sans discussion. Mais, serions-nous alors les pinocchios de Dieu ? A quoi servirait la faculté spécifiquement humaine de la réflexion ? Qu’apprendrions-nous sur terre pour préparer la vie dans l’espace intemporel ? Le droit d’accès à cet espace doit se faire dans la recherche de nous-même, tel le mineur qui fouille laborieusement les entrailles de la terre pour en extraire le diamant. Connais-toi toi-même, disait le philosophe. Donc, connais-toi toi-même, et tu trouveras Dieu, puisque tu es son image.

 

Les raisons de son renouveau il les avait en lui mais ne le savait pas ; comme nous avons tous des potentialités que l’on ignore ! Sa rencontre miraculeuse avec Mouna lui faisait prendre conscience de cette dimension, même si elle-même ne savait pas son pouvoir.

La pureté qu’il avait ressentie d’elle, donnait à Mouna un passeport vers la confiance pour celui qui détectait cette rare qualité. Pascal avait déjà eu la chance de ressentir cela lors de la détection de sa première lumière. Mais là, si les filtres qu’il s’imposait antérieurement n’avaient pas été dissous par son interrogation de conscience, il n’aurait pas pu cheminer vers ce pur amour et il aurait perdu l’occasion de résoudre des questions existentielles fortes et surtout il ne serait pas parti à la recherche du meilleur de lui pour l’offrir à ses aimées. Le pur amour est générateur de Bien, il ne peut être sacrifié au nom d’interdits.


Je t’aime….

 

 

 

Ō Lumière, mon amour, ton dernier regard avant de disparaître dans l'escalier est pour moi davantage que tout long discours. Tu me dis à la fois la fatalité et la cruauté de la séparation et l'espoir des retrouvailles. Je le conserve en moi comme un trésor offert pour traverser tout ce temps qui me paraît si long sans toi. C'est le scintillement de l'inaccessible étoile qui semble me dire : «  je reviendrai pour toi », comme revient l'étoile dans le crépuscule naissant pour guider le pèlerin de l'amour.

Reçois mes mots, reçois mes baisers, reçois mes caresses comme autant de signes de la force de mes sentiments. Dieu t'a faite pure, Dieu m'a fait détecteur de ta pureté ; c'est désormais à nous de faire au mieux pour nous montrer à la hauteur de ces dons divins.

Je t'en prie, dissèque minutieusement tous mes écrits, tu n'y trouveras pas la Vérité mais une étude sincère des choses qui nous animent, une voix possible de comportement humain pour nous rapprocher de la lumière. Mille fois, tu trouveras une exhortation à vivre l'amour.

Que je voudrais savoir te dire : « je t’aime », pour enfin te convaincre !


Le vide

 

 

 

Mardi, mercredi, jeudi, pas une seule seconde pour nous ! Nous aurions pu en extraire quelques-unes de ce jour, mais, ce n'était pas le moment pour toi, ce serait pour plus tard. Alors, je m'étais vite libéré de ma contrainte, mais tu n'étais déjà plus là.

 

Moi, j'ai mal, je souffre de cette absence, et qu'en est-il pour toi ?

Es-tu soulagée ainsi de ne pas entendre mes jérémiades d'amour, as-tu mal toi aussi, où me fuis-tu ?

 

Ce soir, la vie est vide et j'ai envie de faire le pas de trop. Puisque je suis inutile, que s'arrête là mon parcours. Ne me laissez pas dans cette inutilité. Je rêvais d’amour comme peut-être un Don Quichotte, alors il suffit, épargnez-moi cette fanfaronnade.

Mais avant de partir laissez-moi vous dire à vous Tout-Puissant : les religions tuent l'amour que vous prônez. Elles croient vous servir en nous faisant moutons. Elles étouffent ce que nous avons de meilleur en nous au nom de prétendus interdits. Tant pis, vous serez témoin d’un crime contre l'amour ! Que mon cœur éclate à l’instant puisqu'il ne sert à rien ! Et si je dois rester vivant tout de même, je traînerai partout ma mélancolie et je serai inconsolable d’elle pour l'éternité, comme j'étais prêt à être à elle pour la même durée.

La conséquence de cette désespérance était un état fébrile voir agressif. Il fut désagréable et montra son courroux à tout son environnement de travail. Certes il ne savait pas feindre, mais son attitude était inexcusable. Son aveuglement ne lui permit pas de discerner la portée de ces actes  quasi violents. Il  ne se rendit pas compte non plus que cette attitude devait naturellement engendrer une vexation pour elle. Une chape de plomb était tombée sur tout le monde. Heureusement elle prit l'initiative de lui parler, et il faut  bien avouer qu'il ne la comprit pas de suite. Elle parlait de son honneur, comme s'il ne pouvait pas en être le garant! Il croyait l'être, mais son attitude odieuse laissait planer un doute. Il faisait de mauvaise fortune bon cœur, mais son cœur saignait. Cette hémorragie troublait l'expertise de la situation. Il a fallu le temps pour la cicatrisation et le retour à un discernement positif. Il ne lui voulait que du bien et pourtant il l'avait conduit à l'angoisse. La peur du vide de leur amour l'avait rendu quasi-fou. Ce n'est évidemment pas à elle qu'il en voulait, mais aux religions inhibitrices.

Il devait retrouver sa patience et croire en la force de la sincérité de ses sentiments pour la convaincre. Un amour ne devait pas se perdre et il devait chercher en lui les ressources pour le maintenir prêt à s'accomplir. Il redoutait qu'elle garde au fond d'elle ce malheureux épisode. Ce qu'elle ressentait de lui serait-il suffisamment fort pour lui pardonner ?

 

Il prit la résolution d'abonder dans son sens. Désormais ses visites seraient aléatoires, peut-être aussi moins nombreuses pour ne pas attirer l’attention, en échange il attendait d’elle qu'elle accorde à son cœur des instants spécifiques, dans des lieux où il n'y a rien à craindre. Il ne lui proposait pas un divertissement, mais un véritable partage de leurs sentiments respectifs. Il voulait que leurs vies sachent intégrer cette nouvelle dimension. Il voulait qu’ils aillent jusqu’au bout de leurs cœurs. Il voulait qu’ils se sacrifient l’un à l’autre. Il voulait qu’ils soient fiers et heureux de se donner.

 

Avec son amour, il avait l’air d’un con ! Il était fait pour elle, mais elle ne pouvait le vouloir. Il était là tout nu comme un ver, ses sentiments en bandoulière, mais rien y faisait, la porte resterait encore fermée. Il chantait ses incantations d’amour, mais il devait chanter faux. Pourtant ce n’était pas un amour frelaté, ni dénaturé qu’il voulait lui offrir, mais il était en avance sur le temps et il devait patienter.

La vexation d’hier montrait qu’il n’avait aucun crédit, le bénéfice du doute ne lui était pas accordé; c’est donc qu’il n’est rien ou si peu de chose, un épiphénomène, pour elle. Une chose qui devient même encombrante car risquée et qui l’empêche de plus de se concentrer sur son travail. Il était pourtant sûr de la nécessité de leur amour. Il pensait que les choses de cœur devaient être la priorité dans les choix, car elles correspondent à un acte fondamental de la mission humaine. Il la plaçait au-dessus de tout, elle devait ne pas en avoir peur, elle devait seulement se libérer.

Rien de tout ceci ébranlait la détermination de l’amour qu’il lui portait. Cet amour serait à nouveau fort pour l’aider à traverser cette période d’attente, rendue délicate par l’incertitude de son issue.

 

Personne ne s'occupait de savoir s’il souffrait. Il avait choisi une voix interdite, il devait assumer ce choix et rester seul. Mais elle, pourquoi ce silence ? Il lisait dans son cœur avec infiniment de réalisme, mais il ne pénétrait pas dans son esprit, rien ne voulait en sortir. Dès que des propos évoquaient l'intimité de leur situation, elle appuyait sur "échappe". Comment dans ces conditions pouvait-il comprendre sa pensée ? Elle ne répondait jamais à ces questions privées. Il était sûr de ne pas se tromper sur ce qu'il y avait dans le  cœur de Mouna, mais son éducation avait dû lui apprendre que l'esprit doit rester le maître, et les volontés de Pascal restaient inaccessibles pour elle. Cela ouvre la voie à toutes les interprétations et notamment aux procès d'intention qui font tant de ravages.

 

Pascal avait été profondément meurtri par l'idée qu'elle avait sur l'égoïsme de son amour. Certes elle n'avait pas dit les choses ainsi, mais on pouvait les ramener à ce raccourci. Comment pouvait-elle en être là après les manifestations de don de lui qu'il lui proposait et de ce qu’il lui avait aussi déjà démontré ? Certes son attitude matinale n'avait pas été correcte, mais ce qu’elle disait était bien la preuve que l'existence de filtres culturels occultait tout ce qui risquait d'être apprécié par son cœur. D'où la révolte de Pascal contre les religions !

 


Explications

 

 

 

Pour l’énième fois il lui demandait de libérer la pensée de son cœur, sans succès.

 

 - Tu sais, mon éducation, ma religion n'interdisent de répondre à cette question. Je ne veux même pas me la poser, elle ne doit pas être posée. Le Coran est la voix directe de Dieu et il est clair sur le sujet, je suis une femme mariée et je ne dois pas m'écarter de la voie tracée.

 

- Mais je sais, comme Dieu d'ailleurs, ce qu'il y a dans ton cœur. Il y a de l'amour prêt à me donner. Faut-il donc juger sur les intentions ou sur les actes ? N'y a-t-il pas de l'hypocrisie à ne pas dire la vérité du cœur ? 

 

Elle lui répondait, par l'intermédiaire de son esprit, qu'elle voulait éluder la question, il n'y avait donc pas vraiment d’intention, en apparence. Car parfois elle lui avouait tout de même que si elle était célibataire, alors elle le retrouverait volontiers.

 

 - Alors je voudrais être jeune et célibataire, et je te demanderai en mariage et je te ferai des enfants qui auraient la chance de naître d'un amour si pur.

 

- Il faudrait pour cela que tu te convertisses à l'Islam. Il serait  impossible pour moi d'épouser un chrétien. Je n'en ai pas le droit. J'apprendrai d’ailleurs ceci à ma fille et j'espère qu'elle saura l'appliquer, c'est une nécessité pour nous.

 

- Et tu laisserais mourir ton amour. Et tu interdirais à ta fille le bonheur qu'elle aurait envie d'avoir ! Ces lois coraniques ne sont que des dispositions pour permettre à l'Islam de se développer, sinon pourquoi les hommes ne seraient-ils pas soumis aux mêmes contraintes que les femmes; il est vrai que ce sont les femmes qui portent les enfants! C'est l'esprit de Dieu plutôt que sa lettre qu’il convient de suivre.

 

La fatalité de l'Ecriture ne donne aucune perspective pour la vie terrestre. Suivre un chemin totalement balisé n'est pas une perspective; le respect de l'obéissance permet-il d'explorer son moi profond et de progresser dans la conscience ? Certainement pas.

 

 - Ce que je te propose n'est pas un divertissement, c'est un voyage au fond de toi et de moi pour nous offrir mutuellement le cadeau de l'amour. C'est un acte fort, un acte formateur qui permettra à Dieu de juger de notre force à trouver le Bien. C'est un acte qui ne va pas de soi, qui demande un effort, lequel me semble plus exigeant que celui d'une obéissance rigoureuse.

 

- Mais, la dévotion à Dieu impose cette obéissance, elle est la preuve de notre soumission à Lui. Et il n'y a pas à se poser de questions, il suffit de suivre la règle qui nous vient directement de Lui.

 

La foi n'est pas la conséquence d'une démonstration admise, c'est un état que l'on atteint ou non. Elle peut finalement engendrer un dialogue de sourds entre deux êtres qui n'auraient pas la même conscience de la foi.

Lui voyait la foi comme un système simplificateur de comportement. De manière nuancée il retrouvait en elle ce qu'il connaissait de l'influence de la foi sur son épouse. Ayant admis un certain nombre d'éléments constitutifs de la foi il en découlait naturellement des conséquences qui n'ont rien à voir avec un raisonnement, même si une logique y est respectée. Il y a aussi cette capacité de réponse à tout, assez extraordinaire, le mystère éludant les questions embarrassantes. La foi ressemblait pour Pascal à un espace à forte densité atmosphérique qui portait les êtres comme dans un flux visqueux, il suffisait de s'extasier devant cette sustentation merveilleuse, sans chercher à savoir le pourquoi des choses.

 

La rigidité des gens ayant la foi lui paraissait quelque part antinomique avec la tolérance. Il ne s'agissait pas de la tolérance envers les autres mais la tolérance envers sa propre pensée. Interdire à celle-ci de s'exprimer sur certains sujets lui semblait aussi en opposition avec cette liberté voulue. La dévotion à un Dieu nécessite t’elle forcément une soumission à lui par l'intermédiaire d'une stricte obéissance ? Cela ne lui paraissait pas évident.

Il reconnaissait dans les Ecritures une symbolique et non pas un code de bonne conduite. Il n'est pas possible que Dieu ait pu écrire ou fait écrire des modalités d'application aussi précises que celles qui existent dans les religions. Ne pas manger de la vache ou du porc, manger du poisson le vendredi, ne pas consommer d'alcool, cela relève de la petite histoire humaine, pas de l'esprit divin. Cette écriture correspond à des choses en relation avec l'instant pendant lequel elles se sont faites et ne peut  avoir cours pour l'éternité de l'existence humaine. La drogue est un fléau aujourd'hui, ses ravages étaient inconnus du prophète et pourtant seul l'alcool reste banni.

Pascal pensait que par ces exemples, c'était l'interdiction des abus, des extravagances qui était prêchée, et par contre la recherche de la modération. La parabole est l'art de la parole pour traverser le temps. Elle peut être traduite pour chaque contexte mais son esprit doit demeurer quelle que soit l'époque.

N'y a-t-il pas d'autres façons de louer Dieu que de ne pas goûter un breuvage issu du génie humain et émanant de notre terre féconde ? Certainement que oui !...

La fidélité conjugale, et comme par hasard pour les femmes musulmanes en particulier, fait-elle partie de ces lois incontournables ? Il avait déjà abordé ce sujet, pour lui le pur amour était la seule valeur fondamentale, le reste devait s'y accommoder.

Enfin ils prenaient le temps de se parler. Inquiets de la non-prolifération de l'image de leur relation, c'était un moment à la fois délicieux et angoissant; ils ne pouvaient pas vraiment extérioriser leurs sentiments. Une certaine tension était palpable dès qu’ils  se rapprochaient physiquement l'un de l'autre.

 

Assis face à face derrière des bureaux, la distance qui les séparait rassurait, et les langues  pouvaient progressivement se délier. Non, elle n'en était pas aux aveux mais des choses étaient dites. Elle voulait comprendre ce qui il y avait en elle et qui l'avait fait arriver jusque-là ? Elle voulait aussi être sûre que certaines des décisions, des propositions de Pascal n'étaient pas prises en fonction de cet amour, après aveuglement. Elle voulait être sûre qu'il appréciait ses capacités avant même de l'aimer et non pas l'inverse. Bien sûr il la rassura, le pur amour n'est pas aveugle. C'est justement l'état de rare pureté qui l'avait décidé à lui dire son amour, alors il le lui répétait  volontiers, et lui diffusait entremis des "je t'aime".

 

« Ce ne sont pas des mots que je t'envoie, ce sont des morceaux de cœur que je t'offre. Prends soin de les examiner, leur code secret est le passeport vers le pur amour. Un instant, oublie de ne pas te poser de questions. Si tu as confiance en moi, écoute-les d'une oreille attentive et laisse-toi porter naturellement par ce que tu en comprendras. Plus tard tu laisseras faire ton esprit qui fera son choix, mais avant je voudrais parler à ton cœur uniquement. Pour moi il est l'unique interlocuteur, celui que Dieu a mis en toi pour être sensible à ton environnement. Je crois que ton cœur reçoit l'intégralité de mon message, il y est sensible, alors laisse-le analyser, laisse-le frémir, laisses-le désirer, laisses-le demander à ton esprit l'autorisation de me répondre enfin.

 

J'ai mille questions à discuter avec toi, mais celle qui me brûle le plus les lèvres est celle que tu connais bien : adhères-tu à ma conception d'Amour et consens-tu librement à effectuer la communion en question.

 

Un amour non partagé ne peut être de l'Amour, ce n'est qu'une convenance personnelle. Il ne faut pas confondre flatterie et séduction. Ce n'est ni ma force, ni mon physique, ni ma…. jeunesse qui peuvent détourner ton attention. C'est mon cœur qui, par l'enrichissement de mes attentions, doit séduire le tien. Je veux être l'inattendu visiteur de ton cœur. Celui qui lui parle comme on ne lui a encore jamais parlé. Celui qui te révèle à tes talents jusqu'alors cachés. Celui qui t'aide dans l'appréciation de l'existence. Celui qui te fait chercher le meilleur de toi. Celui qui te pousse à t'interroger sur des questions que tu aurais éludées autrement. »


Ombre et Lumière, la cruelle désillusion de la vérité

 

 

 

Elle lui était apparue telle une lumière indispensable à son cheminement. Il s'était mis en quête de la recevoir mieux, de la recevoir plus, en lui vouant un pur amour. De gros nuages parcouraient parfois ce ciel si inattendu bleu. Ils s'opposaient violemment à ce que Pascal reçoive cette lumière, qui d'inconsciente initialement, commençait à avoir des reflets de volonté. Il interprétait ainsi l'ombre portée sur son cœur et qui lui causait tant de souffrances. Des forces luttant contre le pur amour semblaient être à l'origine de ces ombres, du moins c'est ce qu'il imaginait.

L'accumulation d'éléments factuels allait finalement vaincre son illusion. Il n'avait aucun doute sur la lumière, il se trompait à propos de l'ombre. Rendez-vous manqués, petites phrases montrant un agacement, refus d'intentions à son égard, parfois elle lui faisait sentir de manière homéopathique que l'ombre, c'était lui. En perpétuelle recherche de ce qu'il pouvait faire pour elle, il n'avait même pas vu que ce qu'il faisait de mieux, c'était de l'ombre. Il était une tache dans sa vie et il ne serait jamais qu'une tache. Plus il s'employait à lui donner de l'amour, plus il renforçait la tache. Il pensait par  instant n'être rien ou presque rien pour elle, mais pire il était une tache dans son esprit. Et peu importe si son cœur n'était pas d'accord, il n'avait pas droit au chapitre, c'est l'esprit qui était maître d'elle.

Il croyait être ce miroir qui renvoie la lumière. Il n'y avait sur elle que des franges d'interférences où des raies noires envahissantes ne laissaient guère de place à la clarté.

Cette révélation l'abattait totalement alors qu'il aurait voulu de l'énergie pour traverser la période de séparation qui s'annonçait. Fallait-il sans remettre aux conclusions de l'esprit ou bien espérer encore que l'amour qu’il lui donnait aiderait à la victoire du cœur ?


L'accident

 

 

 

Une journée habituelle venait de s'écouler. Ils avaient travaillé chacun de leur côté et avaient pu même avoir quelques moments pour eux. OHIBUKI, je t’aime en arabe, se dessinait sur ses lèvres ou bien il venait tendrement l'embrasser et l’étreindre.

 

- Non, Pascal, tu vas trop loin !

 

- Je vais jusqu'où mon amour me dit d'aller.

 

Il sollicitait en vain un baiser d’amour. Elle lui rappelait son impératif de partir, et comme d'habitude il ne pouvait la quitter. Il avait mal au cœur et attendait tant cette petite phrase réconfortante qu'elle ne pouvait encore prononcer. Après un ultime baiser et un petit signe de la main il quittait son bureau. Il avait mal.

Le soir venu, à la fraîche, il se décida à aller transpirer un peu sur son vélo. Il  n'aimait pas la bicyclette mais cela lui permettait en peu de temps de faire un effort physique qui lui faisait éliminer quelques toxines accumulées dans la journée. Il ne savait pas rouler doucement et appuyait fortement sur les pédales. Il lui semblait aller très vite, la réalité était certainement différente. La route était étroite et gravillonnée, mais il fallait qu'il aille aussi vite que possible, histoire de transpirer en peu plus et d'oublier l'ombre qu'il était devenu.

 

Après une montée qui lui crispait les muscles des cuisses, il avala une descente sur le grand développement, le vélo chassait de temps à autres à cause de l'état du revêtement de la route. Un virage s'annonçait sur sa gauche, il hésita une seconde de savoir s'il le coupait pour ne pas perdre de vitesse. Au dernier moment il se ravisa car la visibilité était nulle. Il n'entendit pas le véhicule qui, en face, montait rapidement. Alors qu'il avait entamé sa courbe, celui-ci surgit face à lui, noir comme la mort. L'instant d'un réflexe il se lança sur le bas côté, mal stabilisé. Ce fut le vol plané, il lui sembla durer une éternité, cette sustentation le ravissait  instantanément, il était vivant. Seulement que, un gland avait germé là une vingtaine d'années plus tôt. Pourquoi ici ? Le hasard des rencontres fortuites ! Il alla se fracasser contre le baliveau qui ne plia, ni ne rompit. N’étant pas un forcené de la bicyclette il n’avait pas investi dans l’achat d’un casque, le résultat fut désastreux.

Lui, qui avait eu la chance de trouver deux lumières pour éclairer sa voie, venait de rentrer dans une nuit totale.

Il gisait inanimé au milieu des fougères roussies quand il fut découvert par le SAMU appelé d'urgence. Après les précautions d'usage, il était transporté à l'hôpital, en réanimation. Aucune lésion particulière si ce n'était celles au cerveau qui l'avaient plongé dans un profond coma. Le diagnostic tombait lourdement dans les oreilles de son épouse. Mais il était vivant ! Dans ces cas là, l'espoir est tel que l'on ne demande pas pour combien de temps, on remercie le ciel de laisser la porte de l'espérance entre ouverte. Passé le soulagement de ce restant de vie, l'angoisse l'envahit bientôt. Il fallait maintenant qu'elle trouve la force d'apprendre la nouvelle aux enfants et en particulier au petit dernier. Sa foi était là pour l'aider dans cette mission douloureuse.

 

- Et il se réveillera quand papa ? 

 

La question était aussi pertinente que sans réponse. Le scanner avait révélé des envahissements sanguins importants, leurs conséquences ne pouvaient être envisagées, et les médecins restaient très réservés et ne voulaient se lancer dans aucun pronostic douteux.

La nuit fut longue et le sommeil n'avait été dû qu’aux somnifères qu'elle avait pris sur les conseils impératifs médicaux.

 

Comme à son habitude, le sourire prêt à être dessiné sur ses lèvres, Mouna montait l'escalier qui la rendait à son bureau. Comme d'habitude en arrivant sur le dernier palier elle s’arrêta une seconde pour calmer son rythme cardiaque, elle était essoufflée. Continuant son chemin, elle pénétra dans le couloir qui desservait son bureau. L'ensemble de l'équipe était là en train de parler, le ton était discret et monocorde contrairement à l'habitude, elle le fit remarquer en les charriant. Un silence de cathédrale suivit. Puis :

 

 - On a une grave nouvelle à t’apprendre, Pascal a eu un accident hier au soir, il est dans le coma ! 

 

Ses jambes devinrent instantanément du coton et sa tête ne fit qu'un tour. Elle s’affala sous le poids de son ordinateur portable qu'elle portait sur l'épaule droite. Sa tête faillit frapper le mur sans le réflexe d'un de ses collègues qui amortit la chute. Il y eut un regard circulaire général de chacun, puis tous instantanément se plongèrent sur l'évanouie. L'instant d'une syncope et elle avait avoué à tous, son attachement à celui qui luttait contre la mort. Elle ne voulait pas que l'on puisse imaginer cette relation particulière qu'elle avait avec lui et elle s'inquiétait de penser que cela pouvait se savoir ; or là, par un geste incontrôlable, elle démasquait le secret.

Après quelques soins appropriés elle revint à elle et s'inquiéta de ce qu'elle faisait là par terre, entourée de blouses blanches. « Qu'est-ce que je fais ici, que m'est-il arrivé ? » Une nerveuse excitation lui faisait poser milles questions. Elle avait oublié la nouvelle, il fallut la lui rappeler, mais pas tout de suite ! ... Quelques heures plus tard, elle prit toute la dimension de la situation. Elle voulait des nouvelles, il lui fallait des nouvelles. Elle prit prétexte de vouloir rentrer chez elle pour se reposer non sans préalablement s’être renseignée sur le nom de l'établissement dans lequel Pascal était. Elle s'y rendit bien sûr dans l'espoir de le voir. Le bus l'arrêta face à l'entrée principale de l'hôpital, un rapide coup d’œil sur le panneau, elle mémorisa tout en courant la localisation du pavillon de réanimation. Essoufflée et pressée, elle faillit ne pas dire bonjour à l’hôtesse d'accueil.

 

- M. Pascal  IKSE. s'il vous plaît

 

- Mais, vous êtes de la famille ?

 

- Non, je...

 

- Dans ces conditions c'est impossible de le voir, il faut une autorisation de la famille pour cela ! 

 

Elle ne répondit pas mais son regard violent et désemparé fustigea l'interlocutrice. Elle fit rapidement demi-tour, puis se ravisa :

 

 - Je peux avoir de ses nouvelles ?

 

- Adressez-vous à l'interne de service, peut-être pourra-t-il vous renseigner.

 

L'émotion qui émanait d'elle était telle qu'elle fit jaillir cette phrase magnanime que le règlement n'autorisait peut-être pas.

En deux pas, elle était devant le bureau, dont elle frappait la porte timidement.

 

 - Bonjour, excusez-moi de vous déranger. Je suis la thésarde de M. Pascal IKSE et je m’inquiète de son état, pouvez-vous me rassurer s'il vous plaît ?

 

- Le secret médical ne m'autorise pas à vous révéler les détails dont il souffre. Je peux simplement vous dire qu'il est dans un état très sérieux et qu’il fait l'objet de tous nos soins.

 

- Et il n'est pas possible de le voir ?

 

- Non, il vous faut une autorisation familiale.

 

Elle n'était pas plus avancée et le merci qu'elle laissa tomber était de pure politesse et non pas en remerciement à un service donné qu’elle n’avait pas reçu. Tête basse, avec le cœur qui semblait lui échapper, elle sortit des lieux et erra dans les rues avoisinant l'hôpital. En fait inconsciemment, elle tournait tout autour comme si elle attendait qu'on la rappelle pour enfin qu'elle puisse le voir. Sa tête était totalement vide, elle n'arrivait à penser à rien. Brusquement elle s'arrêta devant une composition florale qui enjolivait un petit square et se mit à prier. La paralysie de l'inquiétude ne l'avait laissée que rechercher des nouvelles ; pour la première fois elle lui donnait, par l'intermédiaire d'une prière à son Dieu. Elle se rappelait alors qu'il lui avait dit ne pas aimer la récrimination de la prière et qu'elle ne devait être utilisée qu’exceptionnellement. C'était bien là une exception et la ferveur qu'elle manifestait fût même remarquée des passants. Elle, qui avait si peur de ne pas suffisamment cacher la réalité de son cœur, se fichait bien désormais de ce qui émanait de son comportement. Elle était tournée toute entière vers lui, pour lui, seule sa survie avait un sens, il n'y avait plus d'apparence à sauver. Le cœur et l'esprit faisaient l'union sacrée pour raviver cette petite flamme de vie qui restait encore dans le cœur de celui qui lui avait dit tant de fois « je t’aime ». Et là, elle ne pouvait rien faire d'autre que de prier. Prier pour lui, pour qu'il revienne à la vie, prier pour elle, pour l'aider à trouver ce nouveau chemin qu'elle n'avait pas voulu prendre au temps de ses incantations d'amour qu'il lui faisait. Ce drame la mettait de force dans une situation qu'elle avait éludée jusqu'alors.

La première conséquence de ces prières a été de lui rappeler qu'elle devait aller chercher sa fille à l'école. Il était tard, très tard, qu’allait-on dire de ce retard inhabituel. Elle s’en fit excuser en donnant une explication dépourvue de détail qui suffit à la surveillante. Elle prit son enfant dans ses bras et la serra si fort que la fillette en fût surprise.

 

- Qu’y a-t-il maman, ne me serres pas si fort, tu m'étouffes ! Mais pourquoi pleures- tu ?

 

Elle n’avait pu retenir ses larmes. C’était la première situation relative au pur amour dont il lui avait parlé. Son esprit devait faire face à la victoire imposée du cœur. Elle devait se dédoubler sans se partager.

 

- Ce n'est rien ma chérie, je suis fatiguée et un peu triste aujourd'hui, mais tu vas voir, grâce à toi tout va aller mieux.

 

Devant le regard inhabituel de sa mère et malgré son jeune âge, la fillette se sentit  investit d'une mission : aider maman. Et la première chose qu'elle fit ou plutôt ne fit pas c’était de  trop parler. Son petit cœur avait senti que sa mère avait besoin de sérénité pour qu'elle retrouve son sourire si nécessaire au bien-être de ceux qui l'entourent. Sans presque rien se dire, elles rentrèrent par le bus comme à l'habitude. Mais contrairement à l'habitude où elle était heureuse de retrouver son foyer, un déséquilibre s’était installé en elle. Elle n'avait à cet instant aucune solution pour gérer cette situation nouvelle. Serait-elle capable de dominer ses sentiments ? Elle implora une nouvelle fois le ciel de lui venir en aide pour qu'elle puisse assumer ce pur amour. Ce n'était plus une formule facile à trouver, c’était la vie, c'était sa vie.

 

- Tu rentres bien tard aujourd'hui, que se passe-t-il, ça ne va pas ? lui lança Malik son mari.

 

- Maman est triste aujourd'hui, surenchérit l'enfant

 

- Encore des problèmes dans ton travail, cela ne va toujours pas comme tu voudrais ?

 

La jeune femme laissa égrener les questions, peut-être pour avoir l'inspiration d'une réponse idéale. Au beau milieu d'une énième interrogation elle laissa froidement tomber :

 

- Pascal est dans le coma !

 

Elle s'affala sur une chaise et mis sa tête entre ses mains pour qu'il ne devine par la rougeur de ses yeux.

 

- Suite à un malaise cardiaque ou cérébral, vu ce que tu m'as déjà raconté... À son âge, c'est souvent le cas…

 

Elle l’interrompit brutalement, légèrement agacée par cette allusion à son âge.

 

- Non, c'est un accident, il a chuté de vélo à cause d'un imbécile qui roulait à gauche.

 

Elle n'en dirait pas plus long pour ce soir, et alla se coucher sans souper.

 

La révélation

 

 

 

L'état de l'accidenté était stationnaire, il fallait attendre. Décidément l’attente serait son lot. Après une vaine attente d'une déclaration d'amour, il devait attendre dans l'antichambre de la mort avant peut-être de rendre des comptes sur le chemin de conscience qu'il avait choisi.

 

Dans cette chambre, le temps s'égrenait au rythme de ses battements cardiaques diffusés par l'appareil, lancinant comme la pendule de la chanson de Jacques BREL : Les vieux : « qui dit oui, qui dit non, qui dit : je t’attends ». Ces sons rajoutaient de l’angoisse à celle objectivement présente. Ses proches se succédaient parcimonieusement à son chevet pour ne pas altérer les soins.

Trois jours déjà qu'il était sur ce lit d'agonie. Un rythme de vie commençait à s'installer pour tous sauf pour Mouna qui n'avait pas eu encore l'occasion d'aller le voir. Elle se morfondait au grand dam de son entourage, elle n'assumait pas cette absence. De tendue qu'elle était avant à cause de son travail, elle était devenue secrète, imperméable, distante malgré tous les efforts qu'elle faisait pour ne pas faire apparaître ce qui lui serrait le cœur. Indirectement elle avait des nouvelles mais elle n'osait pas demander l'autorisation de visite. Elle venait au travail mais son efficacité était nulle, impossible de se concentrer. Alors qu'avant elle restait des heures assise sur sa chaise face à son ordinateur, elle avait maintenant mille prétextes pour sortir de son bureau et marcher dans les couloirs. Elle y croisait des collègues qui lui faisaient grâce de ne pas lui demander comment elle allait. Elle allait mal et chacun avait pu s’en rendre compte ; elle ne savait pas feindre, la douleur n'allait certainement pas lui faire gagner des habitudes qui lui seraient toujours étrangères.

 

Dany alternait les visites à son mari et au bureau pour y expédier les affaires courantes, elle était bien incapable d'aller au-delà avec cette peine qui lui rougissait  le cœur. La porte de son bureau était ouverte comme à l'habitude, elle vit Mouna passer devant, elle la héla pour lui parler.

 

- Mouna, je te vois aussi très marquée par ce qui nous arrive. Je sais, parce qu'il m’en avait parlé, les liens qui vous unissent. Je sais qu'il est pour toi un important soutien moral et je suis sensible à ce que tu partages notre tristesse. Nous devons espérer et unir nos prières pour lui. Je donnerai l'autorisation pour que tu puisses aller le voir, il a maintenant aussi besoin de toi. Il faut aller lui parler, lui parler beaucoup, ça va l'aider à nous revenir. 

 

Les deux femmes s’étreinièrent à l'issue de cette déclaration. Mouna se rappela ce que lui avait dit Pascal à propos de ses deux lumières, elle comprenait mieux le sens de ce qu'il avait voulu alors lui dire.

 

La nuit suivante, Mouna ne dormit pas. Après s'être couchée à côté de son mari, elle avait attendu qu'il s'endorme, puis s'était relevée. Elle avait ressorti le dossier contenant les écrits que, presque chaque matin, il lui donnait, avant l'accident. Elle les avait déjà lus en catimini, elle les relisait à la lumière timide d'une lampe de bureau. Comme par miracle, il lui semblait lire des choses nouvelles. Il lui avait bien dit que chaque phrase avait une force qu'elle devait trouver. Elle y avait trouvé beaucoup de poésie, de sensibilité, de sincérité, mais là, une dimension inattendue lui éclatait aux yeux et lui arrachait des flots de larmes. Les remparts venaient de définitivement céder sous la douleur. Pour la première fois son esprit concédait la défaite. Elle mesurait objectivement l'amour que Pascal lui portait et concevait que la réponse ne puisse être autre que l'amour. Les circonstances ne l’engageaient peut-être pas pour longtemps ! Elle sentit l'amour la pénétrer et l'envahir. Par-là même, elle sentait la force de l'espérance l'atteindre et lui apporter un peu de sérénité. Elle s’endormit sur la table.

 

Le lendemain, ayant pris soin de se renseigner sur le planning des visites que Pascal recevait chaque jour, elle déterminait le moment pour enfin le voir et pouvoir être seul avec lui quelques précieux instants. Son cœur n'avait jamais battu aussi fort. Elle désirait tant cette visite qu'elle en avait peur désormais. Qu'allait-elle découvrir ? La vision de l'inanimé allait-elle ruiner toute son espérance ?

 

En actionnant la poignée de la chambre de douleur, elle se rappela la parabole du mineur qui extrait le diamant des entrailles de la Terre, qu'il lui avait écrite. C'est en elle qu'elle alla chercher la force de la vision, l'acceptation de la scène et les gestes tendres qu'elle allait avoir. Elle ne fut point timide et se dirigea directement vers ses lèvres pour y déposer le baiser d'amour qu'il lui avait tant réclamé. Elle ne vit rien de toutes ces machines qui l’aidaient à survivre, il occupait tout l’espace de son regard malgré son inanition. Elle croisa ses doigts volontaires à ceux de son accidenté et prononça la phrase magique qu'il désespérait autrefois d'entendre :

- Je t’aime, reviens-nous vite.

 

Elle n'était pas préméditée cette phrase, et le « nous » signifiait bien qu'elle était désormais investit du pur amour tel qu'il l'avait défini maintes et maintes fois.

La porte de la chambre s’ouvrit, une femme en blouse blanche apparue et se dirigea vers le malade.

 

- Vous pouvez rester ! Son état est stationnaire mais grave. Surtout parler lui, parler lui beaucoup.

 

Elle ne s'était pas renseignée sur l'identité de la visiteuse, mais les mains nouées  lui avaient suffi pour comprendre la relation qui devait exister entre eux.

 

Mouna n'avait vu que l'espoir et s’était bien gardée de regarder la réalité. Elle ne pensait pas l’aimer ainsi, il fallut bien qu'elle le prenne en compte désormais.

 

Les jours se succédèrent ainsi, sans que le suivant apporte davantage d'espoir ; mais la vie était toujours en lui. L'infernale attente avait conduit Mouna à une sorte d'autisme. Elle restait quasi muette et enfermée dans ses pensées. Pourtant elle aurait voulu que ce qui la touchait n'ait pas d'incidence sur ses relations amicales, conjugales, professionnelles. Le résultat était tout autre malgré elle. Celui qui avait besoin d'elle était cloué sur un lit qui serait peut-être le dernier, toute son énergie inconsciente devait aller vers lui sans remords. Elle ne pensait même pas à l'après d'une issue heureuse, alors qu'avant l'accident, l'après amour qu'ils voulaient se donner lui faisait peur. Mais là, s'il devait avoir un après c’est qu'il survivrait, c'était bien là l’essentiel.

 

Chaque jour elle revenait le voir. Elle avait décidé de lui relire tout ce qu'il lui avait écrit. Elle faisait comme s'il s'agissait d'une conversation, elle lui posait des questions sur le sens de certaines phrases. À la longue, elle faisait les questions et les réponses. Sans s’en rendre compte, elle construisait son chemin de conscience qu'il appelait de ses vœux, avant... Son texte préféré était « le petit poisson ». À force de lecture et de questionnements elle avait ressenti tous les détails de sa pensée. Elle comprenait à quel point il avait dû souffrir de l'attente devant l'incertitude de l'issue, et c'est ce qu'elle vivait aujourd'hui. Elle lui pardonna même son comportement d'un matin de mal-être. Elle saisit les saignements de son cœur quand ses paroles lui laissaient peu d'espoir de vivre l'amour avec elle. Mais elle n'avait encore pas la force de se promettre du bonheur avec lui, cette question était toujours prématurée.

 

Malik ne savait plus quelles attentions il devait avoir pour  sortir sa femme de son état. Elle lui refusait toute relation sexuelle, prétextant que cela lui était impossible pour l'instant, mais qu’il ne devait pas s’en faire. Bien entendu qu'il s'en faisait de voir son épouse traumatisée à ce point par la santé de son chef. La situation était bien sûre très triste pour lui et pour sa famille, mais elle ne devait pas affecter à ce point sa femme. Il la savait très sensible mais découvrait à cette occasion toute la profondeur insoupçonnée de cette sensibilité. Après tout, ce n'était qu'une relation professionnelle et quand bien même elle lui avait dit toute l'aide psychologique qu'il lui apportait, elle n'avait aucune raison de se mettre dans un pareil état. Il fallait la raisonner. Mais quand on ne connaît pas le mal, tout remède est inutile. La sincérité de ses mots fut donc sans effet. Elle gardait l'amour qu'elle lui manifestait antérieurement mais l'exigence était ailleurs dans ce moment-là.

 

- S'il meurt, nous rentrons au Maroc, j’arrête tout !

 

- Tu ne peux pas  faire une chose pareille, tu ne peux pas perdre trois années de labeur. Il faut tenir et soutenir la thèse, après on verra. Tu ne peux pas sacrifier ton avenir !

 

- Avant tout ce que je perdrai, c'est lui ! ....

 

Elle ne pût s'empêcher de lâcher cette phrase, lourde de sens et dont il ne perçut pas l'entière signification. Afin d'en minimiser son effet elle en rajouta quelques-unes à son égard, plus banales, pour lui confirmer son amour. La dualité de l'amour lui était impossible en ces moments, mais elle la préparait inconsciemment, au cas où!

 

Plus le temps passait et plus elle passait de temps au  chevet de Pascal. Comme à chacune de ses visites elle commençait par lui baiser les lèvres puis entrelaçait ses doigts à ceux de sa main libre de tuyauteries, avant de lui lancer un « je t'aime ». Elle allait bientôt le rattraper pour le nombre de « je t’aime » prononcé. Ceux qu'elle lui adressait étaient-ils plus perçus que ceux qu'il délivrait et qu'elle avait peur d'entendre ?

 

Désormais, c'est elle qui posait des questions et attendait vainement les réponses, elle comprit alors le désarroi que pouvait engendrer cette situation. Elle comprenait pourquoi il disait avoir mal devant le mutisme à ses interrogations. Elle pouvait laisser échapper quelques larmes, il ne la voyait pas souffrir. Elle déposait alors sa tête au creux de son épaule, là où il lui demandait de venir pour un instant de sensation. Puis elle lui donnait de multiples baisers sur les endroits de son thorax laissés libres de capteurs. La peau lui semblait froide et elle s'en inquiétait.

Pas un clignement de paupières, pas un froncement de sourcils, pas de mouvements de lèvres, il ne sortait aucun message de celui qui était pourtant devenu si prolixe quand il lui parlait de leur amour. L'amour est un duo, lui avait-il dit ; ce n'était pour l'instant que deux partitions qu'ils répétaient l’un après l'autre : y aurait-il concert un jour ?

 

Arrivée plutôt que d'habitude, Dany avait saisi la quasi-totalité de la scène par le hublot de la porte de la chambre de son mari. Elle n’épiait pas, elle laissait s'accomplir les forces supérieures de la vie terrestre. En d'autres circonstances sa réaction aurait certainement été différente, mais la situation dramatique avait donné à chacun une vision avec beaucoup de relief. La réalité n'est pas manichéenne, elle est complexe et riche. Elle hésita à troubler cette intimité et resta en attente de longues minutes. Elle décida tout de même de rentrer dans la chambre. Elle le fit doucement, sans l'intention de vouloir surprendre, mais en désirant partager une scène forte de la vie. La jeune femme fût tout de même gênée, elle laissa tomber maladroitement la main qu'elle tenait et rougit de surcroît. Le visage généreux de l'autre femme la rassura d'autant qu'elle lui dit :

 

- Il a besoin d'amour.

 

Elles auraient dû être rivales, elles devenaient complices, la pureté de leurs âmes n'y était pas étrangère.

 

Le secret

 

 

 

Pendant les temps d’absence de son épouse, Malik recherchait la solution qui débloquerait une situation qui lui semblait certes dramatique mais aussi absurde. Comment faire pour raisonner son épouse et lui faire reprendre le cours de choses qui devaient être le leur ? Il se sentait totalement désarmé malgré tous les sentiments qui l'animaient. Il crut trouver le sésame en convainquant deux des sœurs de Mouna à venir quelques jours les visiter. Entre femmes, la conversation serait certainement salutaire.

 

Naïma et Leïla arrivèrent dans une situation qui semblait avoir figé le temps. Naïma était mariée et voilée, elle avait deux enfants qu'elle avait laissés à leur grand-mère le temps du voyage. Leïla était encore étudiante, habillée à l'occidental elle avait encore l'insouciance de ses vingt ans. Une effusion sincère anima les trois jeunes femmes, heureuses de ces retrouvailles. Aucune allusion au drame ne vint gâcher la fête familiale. La présence de ses sœurs avait libéré Mouna qui se mit à parler davantage. Quand elle avait un coup de blues, parfois une excitation verbale l'animait, comme pour exorciser ses inquiétudes.

 

Le lendemain midi, Mouna était revenue de l'hôpital pour déjeuner avec ses sœurs. Elles se retrouvaient seules pour la première fois.

 

 - Alors, comment va-t-il ? » lança l’aînée

 

Mouna fit semblant de ne pas comprendre. Elle était dépourvue devant la soudaineté de l'interrogation.

 

 - Ton chef, comment va-t-il ?

 

- L'état est stationnaire, il n'y a rien d'autre à dire sur le sujet.

 

Elle ne voulait pas se laisser entraîner sur un terrain qu'elle ne maîtrisait pas.

 

Après un long silence la jeune fille insista:

 

 -Tu parais bien soucieuse de son état de santé à ce que l’on en sait !

 

- C'est Malik qui vous en a parlé, peut-être même que vous êtes là pour cela !

 

- La famille, c'est un important dans ces moments-là. On peut t’aider ; répliqua Naïma avec l'autorité de son âge.

 

 - Il est vrai que je suis troublée, mais c'est normal, non !

 

- Juste troublée !

 

- Je ne vois pas ce que je pourrais être de plus ! Rien ne m'autorise à autre chose !

 

Cette justification non demandée interpella Leïla. Mais elles en restèrent là pour le moment.

 

Après le départ de Mouna pour son travail, Leïla convainquit Naïma d'aller au square avec sa petite nièce et aussi de faire quelques courses. Elle, elle ferait un peu de rangement dans la maison, elle n'avait pas envie de sortir !... La supercherie fonctionna à merveille et elle se retrouva seule dans l'appartement. Il n'était pas question de ranger, mais d'y trouver peut-être un indice qui permettrait de mieux comprendre le comportement de Mouna. Ce n'était certes pas correct de fouiller dans l'intimité de sa sœur, elle ne l'aurait jamais fait en d'autres circonstances mais là il fallait agir.

Malik respectait les affaires de Mouna et jamais il ne lui serait venu à l'esprit d'aller espionner ses papiers. Le dossier qui contenait les écrits de Pascal n’était nullement très bien caché et Leïla le découvrit rapidement. Il n'avait pas de signe extérieur particulier, elle l'ouvrit donc machinalement. Une cinquantaine de feuillets dactylographiés le composait avec un paraphe sur la première et la dernière page. On aurait dit un roman, son auteur avait semble-t-il prit un pseudonyme, tout du moins elle n'avait jamais entendu Mouna parler de ce nom. Elle en entreprit la lecture. Les premières pages lui parurent neutres et difficiles, elles ne semblaient pas la conduire vers l'indice recherché. Elle ne reconnut même pas sa sœur sur la photographie maquillée de la page de garde. Nulle part elle n'avait encore vu écrit le nom de Mouna, mais ce qui était écrit la troubla. Elle lisait avec avidité le texte, désirant comprendre l'origine de cet écrit. Les choses se dessinaient petit à petit et elle était de plus en plus persuadée que ces feuillets étaient écrits à cause de sa sœur, qu'ils étaient même écrits pour elle. Elle se relisait certains  passages à haute voix pour mieux se pénétrer de l'esprit du rédacteur. Elle ne tarda pas à pleurer tandis que ses commentaires se résumaient à ces mots : « ce n'est pas possible, ce n'est pas possible ». Plus elle avançait dans la lecture, plus elle pleurait de voir tant amour. Ses rêves de jeune fille seraient exaucés si on devait lui écrire un jour de tel texte. Cette histoire d'amour lui serrait la gorge et traumatisait ses glandes lacrymales. Elle était émue de cet amour donné à sa sœur, elle était brisée de l'amour refoulé par sa soeur. Elles avaient eu la même éducation, mais les quelques années de moins et son célibat donnaient plus d'autonomie à son cœur. Elle ne voyait que l'amour qui était distillé et perdu, elle en oubliait que de l'amour, Mouna en recevait déjà ! La désespérance de l'auteur n'avait d’égal que sa sincérité, elle l’avait bien compris et elle souffrait pour eux deux, ce qui attisait encore ses larmes.

Elle entendit des bruits dans l'escalier, c'était elles qui montaient. Elle rangeait fiévreusement les feuilles et replaça le dossier puis se précipita dans la salle de bains pour aller calmer son chagrin et en retirer les stigmates. Surveillant dans le miroir son état retrouvé, elle se demandait ce qu'elle allait faire de ce secret. Fallait-il le garder, fallait-il le partager avec Naïma, fallait-il en parler à Mouna ? La question restait sans réponse et le poids du secret était immense en regard de leur culture, de leur religion.

 

Après quelques mots d'accueil, elles envoyèrent la petite fille jouer dans sa chambre, elles avaient à parler. Naïma avait ruminé tout l'après-midi, elle lui livrait ses conclusions.

 

- L'attitude de Mouna est vraiment bizarre, ce n'est pas son genre de se mettre dans des états pareils. Il doit y avoir une explication forte à tout cela. Ceci ressemble à une histoire de cœur, mais je connais bien Mouna, c'est inimaginable. Ses convictions religieuses sont aussi fortes que sincères et elle n'a pas pu s’écarter de la voie du prophète. Elle a la volonté et ne peut pas succomber à quelques tentations. Son sens de l'honneur ne lui ferait pas commettre une faute. 

 

Leïla resta muette, c'était la meilleure façon de ne pas faire allusion au secret, pas encore.

 

- Aucune explication plausible ne me vient à l'esprit. Crois-tu que l’on doit la questionner ? surenchérit Naïma.

 

- Si elle doit se confier, elle le fera sans qu'on lui demande, à moins que...

 

- A moins que quoi, tu disposes d'informations nouvelles ?

 

- Non, bien sûr que non. Je repensais seulement à ton histoire de cœur...

 

- C'est impossible ! coupa court Naïma. Tu vois, quand bien même tu me donnerais une information qui accréditerait cette hypothèse, je ne la croirai pas. Son éducation, notre éducation, nous interdit de telles dérives, il est impossible qu'elle ait pêché et je ne veux même pas me poser la question de la véracité de la supputation. L'honneur de Mouna sera gardé, quoi qu'il en soit, elle est pure et le restera.

 

Leïla ne chercha pas à débattre, l'axiome était lancé, rien ne pouvait le contredire, et puis la position tranchée de sa sœur était idéale pour qu'elle garde son secret.

 

Le dernier scanner montrait une légère amélioration, Mouna eut la primeur de la nouvelle et s'empressa de trouver sa nouvelle complice pour partager l'espoir naissant. Elle rentra aussi rapidement chez elle pour annoncer la bonne nouvelle. Elle n'y trouva que Leïla en train de préparer le dîner.

 

- Il va mieux !  s’exclama-t’elle.

 

Avant même de dire bonsoir, elle donnait la merveilleuse nouvelle qui faisait que la lumière était revenue sur son visage. Les deux femmes esquissaient quelques pas de danse. Mouna senti tout à coup qu'elle en faisait trop et interrompit son ballet.

 

- Alors, vous allez pouvoir vous aimer.

 

La phrase était lâchée bien trop brutalement par la jeune fille et médusa Mouna.

 

 - Tu es folle ! Que dit que là ? Comment peux-tu dire une chose pareille ?

 

Il sembla à Leïla qu'elle avait mis les pieds dans un marécage. Impossible de reculer, difficile d'avancer, sans que le fond mouvant ne l'emporte.

 

- Il te  faut casser le bocal !

 

Elle attendit la réaction de sa sœur. Elles se regardèrent intensément en silence. Mouna ne savait pas si elle devait la maudire d'avoir fouillé ou lui demander de l'aide.

 

- Tu n'as pas vu comment il t'aime ! T'es-tu rendu compte de la douceur de ses mots et de leur force ? N'as-tu pas reconnu le vrai amour ?

 

- Mais l'amour je l'avais déjà !

 

- Sans doute, mais celui-là était noble, pur, puissant...

 

- Et aussi interdit !... dit-elle en baissant les yeux.

 

- Peux- tu  m'avouer que l'on ne t'as jamais dit de si belles choses !

 

- Non, lui m'a dit autre chose.

 

- Comment as-tu pu repousser un tel amour ?

 

- Par fidélité simplement.

 

- Ton honneur est sauf et ton cœur malade car au fond tu l'aimes, évidemment ! Pourquoi ne pas faire confiance au pur amour que tu lui as aidé à trouver ?

 

- Par fidélité simplement.

 

- Mais aujourd'hui, tu es fidèle à qui ? Si tu ne peux pas aimer les deux ensemble, lequel aimes-tu en ce moment ?

 

Elle ne pouvait répondre, la question de la dualité de l'amour n'était toujours pas résolue en elle.

 

- II a raison, il n'est pas possible de laisser mourir un amour.

 

- Mais, c'est toi qui es amoureuse de lui, parbleu !

 

- Ne sois pas ridicule. Oui, je voudrais que l'on me dise de tels mots d'amour et j'espère que quelqu'un croisera ma route pour m'en dire. Mais toi, tu es bénie de Dieu qui t'offre un si bel amour !

 

- Ce n'est pas ainsi que s'est faite ton éducation, comment peux-tu parler ainsi, tu blasphèmes.

 

La jeune fille n’était nullement troublée par ce rappel à l'ordre. Ce sont plutôt les textes sur la religion qu'elle avait lus dans le document secret qui avaient interpellé sa conscience interrogative. Elle recherchait une autre  musulmanité, aussi exigeante, mais qui privilégierait la rigueur de la libre conscience à celle de l'obéissance programmée. Son caractère rebelle ressortait à cette occasion.

 

- Et çà changerait quoi si tu arrêtais de le faire souffrir et que tu lui donnes enfin ton amour ? À qui ferais-tu du mal ? Aimer sans renier, a-t-il dit. Eh bien, continue d'aimer celui qui est venu le premier dans ton cœur et entreprends d'aimer celui qui t’apporte un complètement d'amour inespéré.

 

- Et si cela s'apprend, je serai mise au pilori par tout le monde !

 

- Toutes les femmes rêvent d'être aimées, d'être vraiment aimées, et toi tu refuses  ce cadeau du ciel.

 

- Tu sais très bien que le ciel réprouve une telle attitude !

 

- Mais il y a attitude et attitude. Il ne t'offre pas une aventure, mais de l'amour, ce n'est pas pareil !

 

- Mais cet amour va me faire mentir...

 

- Et en ce moment, ne mens-tu pas ? Pour le moins, tu nous mens sur la réalité ce qui se passe dans ton cœur. Tu as beau refouler cet amour, il existe en toi et te transforme à ton insu. Tu es forcément différente à cause de cet amour même si tu ne l'avoues à personne.

 

- Oui je l'aime, mais je n'ai pas le droit de le lui dire ni de le lui montrer. C'est comme çà !...

 

- Je crois que tu fais une lourde erreur et que tu te prives d’une expérience extraordinaire. Je pense que tu fais une confusion entre la lettre et l’esprit du Prophète. Naïma pense comme toi, mais je ne suis pas sûre que vous ayez raison et pour ma part je me pose désormais de réelles questions. Au bilan il y a un être qui souffre de ce manque d’amour alors que si tu te rendais à l’idée du pur amour vous seriez tous heureux car comblés.

 

- Je ne pourrai plus regarder Malik en face.

 

- Alors ne va plus à l’hôpital car tu lui mens aussi en t’y rendant.

 

Les deux femmes tombèrent dans les bras l’une de l’autre et pleurèrent de cette situation dramatique. Leur conversation n’avait pas changé leur conviction, mais Leïla était désormais circonspecte sur la rigidité de leur éducation. Mouna avait résisté aux assauts de sa sœur mais ne pouvait pas nettoyer son cœur de tout ce qu’elle avait reçu de son agonisant. Il faudrait bien qu’elle trouve une solution au cas où il lui reviendrait.

 

- La dernière fois que nous nous sommes vus, nous nous sommes chamaillés. Je lui reprochais son insistance à me manifester son amour et lui demandais de ne pas être triste parce que je lui refusais de me donner. Bien sûr que c'est absurde, comment aurait-il pu faire autrement, mais je ne savais pas quoi lui dire pour le décourager d'espérer quelque chose que de toutes façons je ne pourrai pas lui donner. Tu sais qu'il m'embrassait…., ces baisers me faisaient à la fois tant de bien mais me créaient aussi tant de remords. J'aurais voulu répondre à sa tendresse pour partager avec lui, comme il disait. Il pensait que la force de son amour est telle, qu'il avait l'espérance un jour de me convertir à son idée d'amour, mais c'est impossible, je n'ai pas été élevée dans cette manière de faire. Et même si lui me disait s’y être converti, le chemin est impossible pour moi. Je ne suis pas capable de son pur amour.

 

- La force de l'amour est telle que l'impossible devient probable; moi j'y crois, répondit Leïla.

 

- Il a trouvé le chemin de mon cœur, c'est sûr, et mon inquiétude pour lui aujourd'hui montre effectivement qu'il y tient une place particulière, mais je ne peux pas me laisser aller à l'aimer totalement, c'est interdit par le Coran.

 

- Cette histoire installe chez moi des doutes puissants sur l'application de celui-ci. La sincérité de ton Roméo m'interpelle. Pourquoi cette sincérité aurait-elle tort a priori ? Personne ne détient la Vérité, la vie c'est peut-être essayer de la découvrir, et ce n'est pas forcément suivre, sans questionnement, le chemin imposé par la religion de l'endroit où l’on est né. Respecter tout le monde et honorer de son amour ceux qui vous aident à vous accomplir ne me semble pas être contraire aux principes du Prophète. Il ne voulait rien prendre, il ne voulait que te donner.

 

- Il aurait pris mon honneur !

 

- L'honneur est une valeur humaine, pas divine, qui est respectable mais pas absolue. Tu le vois bien, ce qui t’importe aujourd'hui c'est de faire tout ce que tu peux pour qu'il se sorte de ce mauvais pas, et tout ce que tu as fait est porté par ton amour pour lui et est même quasi-visible de tous. Plus fort que ton honneur, sa vie devait être défendue et c'est ce que tu as fait. L'amour que tu lui as enfin donné sur son lit d'agonie va peut-être le sauver. Voilà la force du vrai amour. Voilà une vraie valeur!

 

Mouna restait prostrée à l’annonce de ce verdict. Elle savait que sa petite sœur n’avait pas entièrement tort. Mais elle non plus, sauf à changer ce qu’elle croyait être son fondement, et c’était trop ! Elles relirent ensemble quelques passages des écrits, Leïla insista. Elle essayait de bien mettre en lumière ce qu’elle ne pensait pas être une tromperie pour personne. Mais pour Mouna c’était encore paroles d’Homme contre paroles de Prophète….Seul un signe divin identifié pouvait la faire changer d’avis, cela tenait donc du miracle.

 

- Il t’a dit que le prophète relirait le Coran pour y trouver les versets qui autorisent le pur amour. C’est le signe du destin, nous devons relire le Coran pour y trouver ce que nous cherchons.

 

- C’est stupide, les enseignements que nous avons reçus sont clairs !

 

- Si c’est le cas nous ne trouverons rien et tu auras raison, l’affaire sera entendue. 

 

Leïla se précipita sur le livre sacré, le feuilleta nerveusement en recherchant dans sa mémoire dans quelle sourate elle pourrait y trouver le verset référence.

Ce n’est que plusieurs heures plus tard que le hasard la conduisit au chapitre XII dans la sourate dite de « Joseph » esclave vendu par ses frères et désiré par Zuleikha la femme de Putiphar.

 

- Tiens j’ai trouvé, écoute Mouna : ‘’Haitalak. Me voici à toi ! Prends-moi, je suis follement amoureuse…’’ Tu te rends compte, dans le Coran il existe de tels propos. Ce n’est bien sûr pas ceux que l’on dit chaque jour !

Mouna lui arracha le livre pour vérifier le dire de sa sœur. La phrase était bien écrite ainsi. Mais le Coran parlait d’un amour adultère, qu’il réprouvait et Mouna invita sa sœur à poursuivre la lecture des versets suivants afin de lui retirer toutes ses illusions…… Le trouble était tout de même  grand dans l’esprit de Mouna qui avait du mal à se contenter de cet épisode pour le disperser.

La sonnerie du téléphone interrompit les recherches. C’était Dany :

 

- Viens vite, il s’est réveillé. 

 

Le sang de Mouna ne fit qu’un tour.

 

-  Il va vivre, incha Allah !

 

Elle prit son sac, embrassa rapidement sa sœur et s’engouffra dans l’escalier qu’elle ne descendit jamais si vite. Ce n’était plus le moment de se poser des questions, elle voulait être là quand il ouvrirait bien grand les yeux.

 

L’infirmité

 

 

 

Elle trouvait que le bus n’allait pas aussi vite que d’habitude, elle pestait à propos des embouteillages qui gênaient la progression du véhicule qui la conduisait vers l’espoir de vie. C’est toute essoufflée qu’elle arriva dans le couloir de la salle de réanimation dans laquelle Pascal se trouvait depuis son admission à l’hôpital, mais l’entrée de la chambre lui était interdite. Une seule personne à la fois et pour cinq minutes seulement. Il ne fallait pas fatiguer celui qui sortait d’une si longue nuit.

Elle ne pouvait rester assise et faisait les cent pas dans le couloir manifestant une impatience certaine. C’était bien normal que ce fût Dany qui ait la primeur des premiers mouvements conscients de son mari.

Enfin elle sortit mais son visage n’était pas aussi rayonnant que celui que Mouna pouvait attendre.

 

- Que se passe t’il ? Réclama Mouna inquiète.

 

- Tu aurais dû me dire que tu étais arrivée. Ce n’est pas très brillant, il ne se souvient plus de rien de sa vie antérieure. Il paraît que c’est normal mais c’est angoissant de ne pas être reconnue par son mari ! Vas-y vite ! 

 

Mouna pénétra délicatement dans la chambre de l’amnésique. Son visage montrait à la fois des signes de tension et semblait près à s’épanouir comme avant. Dans le lit l’homme semblait reposé, mais ailleurs.

 

- Bonjour Pascal, comment te sens-tu ? 

 

Il n’y eut pas de réponse, le ressuscité dévisagea sa visiteuse.

 

- Qui êtes-vous, une infirmière ? 

 

La blouse et le calot  de protection sanitaire pouvaient faire penser en effet à une soignante.

 

- Je suis Mouna ! 

 

Il n’eût pas plus de réaction ce qui glaça Mouna d’inquiétude.

 

- Je suis Mouna, ton amour ! 

 

Cet aveu qu’il avait tant attendu avant son accident venait de lui être affirmé et il ne réagissait toujours pas, ce qui effondra Mouna.

 

- Où est-elle ?

 

- De qui parles-tu ?

 

- Mais où est-elle ? 

 

Il ne cessait de réclamer une inconnue avec obstination. A qui faisait-il allusion et pourquoi cette réminiscence ?

 

Pour la première fois depuis son accident, elle ne lui avait pas déposé le baiser d’amour journalier, elle n’osa pas le geste de peur de le surprendre. Les cinq minutes s’étaient écoulées, il fallait le quitter, cela lui paraissait impossible, elle ne pouvait pas le laisser avec son infirmité. Elle fût rappelée à l’ordre.

 

Dany était restée dans le couloir pour savoir comment s’était passée la visite. Un médecin  rejoignit les deux femmes, leur demandant de les suivre.

 

- Il est très important que nous ayons connaissance de ses réactions  pour pouvoir anticiper notre action.

 

- Il ne m’a pas reconnue, lança Dany dépitée.

 

- Moi non plus,  confirma Mouna.

 

- C’est normal, mais vous a-t’il dit quelque chose ?

 

- Non, à part me demander qui j’étais.

 

 Une larme perla sur le visage de Dany.

 

- Si, il m’a posé une question, il a dit : où est-elle ? Ajouta timidement Mouna.

 

- Il n’a pas précisé ? s’enquérra le médecin.

 

- Non, mais c’était obsessionnel.

 

- Vous n’avez pas d’idée sur le nom de la personne à laquelle il faisait allusion ? 

 

Les deux femmes répondirent en cœur, non !

 

- Ne vous inquiétez pas trop, la situation est classique mais il est vrai que l’on ne sait pas les réels dégâts qu’a pu occasionner le choc.

 

Cette réalité, les deux femmes n’étaient pas prêtes à l’accepter. Elles quittèrent ensemble l’hôpital et firent le même constat, elles devaient encore prier pour lui. Il y avait une sorte de rapprochement religieux dans leur volonté de prières associées. Chacune savait la foi qui animait l’autre c’était pour cela qu’elles n’hésitaient pas à parler de prière.

 

Les jours suivants n’apportèrent pas d’amélioration. Désormais il posait sa question à toutes les personnes qui rentraient dans la chambre. Il avait droit à des visites plus longues et plus nombreuses. Il devait échanger un maximum pour pouvoir reconstruire son passé.

Mouna lui relut ses textes, mais il n’accrochait pas. Il lui laissait machinalement la main qu’elle prenait, mais sans jouissance particulière ; il était neutre. Elle lui parlait d’amour, de leur amour, mais sans succès.

 

Une nouvelle attente avait commencé, toujours de même nature. L’un interroge, l’autre n’apporte pas de réponse. Le mutisme de l’un rabote douloureusement le cœur de l’autre. Deux univers se touchent mais n’arrivent pas à fusionner. Peut-être que les épreuves qu’ils ne finissaient pas de traverser étaient là pour rendre leur amour plus fort, comme la fusée du feu d’artifice qui retient en elle toute l’énergie qui d’un seul coup se libérera pour faire un merveilleux panache coloré qui embrasera le ciel.


Retour de mémoire

 

 

 

Plus d’un mois maintenant que Pascal  avait eu son accident et l’inquiétude persistait quant à son état mental. L’amnésie résistait à tous les efforts déployés. Il semblait tourner en rond avec la personne qu’il recherchait et ne pouvait se sortir de ce cercle vicieux. Il semblait tout de même légèrement progresser dans sa recherche puisque maintenant il parlait d’amour. Ses propos semaient le trouble chez son épouse qui se retrouvait avec un mari sans mémoire et un puzzle imprévu auquel il manquait beaucoup de pièces. Elle se demandait s’il ne s’agissait pas de délire car pour elle son mari n’avait cessé de l’aimer et rien ne lui indiquait un secret quelconque bien gardé.

C’était toujours avec Mouna que des évolutions se faisaient sans que personne ne fasse de rapprochement entre eux. En apparence elle était toujours une étrangère mais peut-être que dans le subconscient du malade, un cheminement se faisait doucement. Il la regardait toujours avec beaucoup d’insistance et recherchait toujours son regard, même quand elle était au milieu d’autres personnes. Elle s’en trouvait gênée et se faisait du coup très discrète. Mais son cœur était toujours rongé d’inquiétude, elle ne pouvait se détacher de lui et reprendre la vie telle qu’elle était avant.

Elle avait obtenu un sursis pour rendre son mémoire et soutenir sa thèse, mais il fallait bien qu’elle termine son travail. Sans lui, sans son aide psychologique et surtout avec son angoisse du devenir de son chef, elle avait beaucoup de mal à s’y résoudre.

 

Ce fut un soir de pleine lune, la nuit était exceptionnellement claire. Elle regardait cette lumière un peu spéciale quand un éclair traversa sa tête. La petite flamme ! Mais oui, la petite flamme ; elle était depuis un mois si tendue par la santé de son amoureux qu’elle n’avait pas songé à la petite flamme.

 

« Quand tu auras un souci quelconque et que tu ne trouveras personne pour t’aider, alors retournes voir la petite flamme que j’ai mise dans ton cœur et une solution jaillira » lui avait-il dit.

 

A l’époque de ce dire elle n‘y croyait pas trop, elle pensait que c’était une jolie phrase poétique mais ne se faisait guère d’illusions sur la capacité d’une chose à résoudre un problème concret. Quand il lui disait que l’amour lui donnait à lui de la force et qu’elle pourrait en puiser aussi, elle préférait faire confiance dans ses propres capacités pour avancer et ne pas trop penser à cet amour qui plus est, était interdit.

Si le temps avait été de leur côté, il se promettait que la plus grande preuve d'amour qu'il aurait pu lui donner aurait été de transformer sa perpétuelle angoisse du lendemain en une confiance raisonnée en l’avenir. Seul un amour partagé et donc une confiance illimitée dans les capacités de l'autre pouvaient rendre possible cette mutation. Elle aurait mérité que quelqu'un use d'un tel amour pour lui transformer sa vie. Elle était si merveilleuse quand elle ne faisait pas de sa vie professionnelle un problème.

Elle n'entendit pas de voix. Elle ne vit pas d'apparition mais elle imaginait cette petite flamme dansant au gré  des mouvements de l’air. Elle se concentrait si fort sur elle, qu'elle sentit monter dans toutes les parties de son corps une grande marée de forces. Son regard portait loin  désormais, ses épaules redressées faisaient tendre ses seins vers à l'infini, une grande bouffée d'air pénétrait dans ses poumons comme un élixir d'espoir, la vie revenait en elle. Le sournois amour caché dans son cœur était libéré et diffusait en elle un message de volonté. Elle terminerait rapidement sa rédaction de thèse et lui offrirait comme cadeau de réveil. Cela créerait en lui, peut-être, sûrement, ce déclic pour le ramener à la mémoire. C'est ce qu'elle fit mais se jurait qu'il serait dans son jury le jour de sa soutenance, elle attendrait son retour pour en décider la date.

À part cette force nouvelle qui lui faisait terminer son travail, rien ne changeait en elle depuis l'accident. Elle se sentait toujours incapable de vivre ce double amour s'il lui revenait, mais d'un autre côté elle ne pouvait répondre à son devoir conjugal, bloqué qu'elle était de rechercher une jouissance dans de telles circonstances. Alors qu'auparavant elle  refusait d'aborder  la question de cette dualité, c'était interdit voilà tout, il n'y avait rien à réfléchir ; aujourd'hui un certain doute l'habitait. Elle n'avait pas eu l'attitude d'une étrangère dans cette histoire. Personne ne le savait totalement mais elle était au centre de l'histoire. Il allait retrouver la mémoire, c'est sûr, qu'elle serait alors sa conduite à son égard. Lui, ne saurait pas ce qu'elle avait vécu, il en serait toujours sur l'interdit, la non dénonciation de l'amour, et elle, elle aura perçu l'angoisse des questions posées et toujours sans réponse. Lui parlerait-elle de son amour désormais, même si elle le bornerait restrictivement ? Oserait-elle lui dire «  je t’aime » et irait-elle jusqu'à l'embrasser telle qu'elle en avait envie ? Mais ce baiser ne la conduirait-elle pas naturellement à se donner aussi, et cela n'était pas concevable. Elle irait jusqu'au baiser mais il  fallait qu'elle s'y prépare pour être capable de ne pas se laisser entraîner au-delà. La raison devait rester maître de la situation même s'il elle accordait un peu de liberté au cœur. L'instant suivant, elle n'était même plus sûr de se donner cette liberté, la culpabilité de cet acte était beaucoup trop forte.

L’état médical de Pascal était tout à fait satisfaisant à part son amnésie et ne nécessitait donc pas une prolongation de son hospitalisation. Il allait pouvoir rentrer chez lui et ne serait astreint qu’à des visites médicales régulières pour faire le point. En un sens cette nouvelle aurait dû réjouir Mouna, mais ce ne fut pas totalement le cas. En effet cela voulait dire qu'elle n'allait plus pouvoir le voir journellement comme elle le faisait depuis qu'elle en avait reçu l'autorisation. La séparation effective l’aiderait-elle à retrouver l'équilibre d’antan ? Peut-être, mais elle aurait voulu participer à cet éveil tant attendu ! Ces interrogations laissèrent vite la place au questionnement présent, la dernière visite se profilait déjà, qu’allait-elle en faire ? Le déroulement des choses l'obligeait, plus vite que prévu, à se décider. Un scénario se dessinait alors dans sa tête ; bien décidée de l'appliquer, elle entrait dans la chambre du malade. Il était face à la fenêtre et regardait nulle part vers l'extérieur. Sans se retourner, mais en ayant saisi la présence, il entama la conversation :

 

« - Bonjour, vous êtes musulmane n'est-ce pas ?

 

- Oui

 

- Moi, je crois en un Dieu créateur de cette fantastique harmonie de l'univers. Tout y est parfaitement ordonné, même si nous ne comprenons pas le sens de cet ordonnancement. Et dans cette perfection, Dieu a réservé un petit coin de l'univers à l'homme qui est lui aussi potentiellement parfait mais qui est la seule créature douée de liberté non programmée. Ses capacités peuvent lui faire prendre conscience de lui-même et de ce qui l’entoure, et le faire agir à sa guise. Sa mission est de symboliser le cheminement vers la perfection. Mais de la même manière que l'univers et le temps sont infinis, la perfection est comme cet horizon que l'on tente en vain d'atteindre. Chacun de nous à cette mission terrestre de découvrir quelques forces fondamentales qui conduisent à cette perfection, ainsi c'est l'humanité qui progresse collectivement.

Je crois en ce Dieu, mais je m'oppose aux religions, quoi qu'on en dise, inventées par l'homme pour mieux atteindre la lumière divine. Leurs objectifs sont assurément dignes et sincères mais appliqués aux hommes tels qu’ils sont, des résultats opposés à ceux visés sont corrélativement dégagés. Elles créent en particulier un sentiment d'appartenance, cultivé pour bien délimiter des zones d'influence, duquel découle, à des degrés divers, de l’intolérance. La vérité du dogme ne se transigeant pas, les religions opposent au lieu de rassembler. La religion devrait être universelle et l’œcuménisme devrait régner, mais la diversité de la pensée humaine conduit à des visions différentes du divin et chaque camp formé campe sur des positions bien trop rigides. »

 

Elle ne répondit pas à cette tirade, interloquée qu'elle était d'une telle déclaration. Il ne la reconnaissait pas, pas plus que sa femme et ses enfants, mais ses idées sur le sens de la vie paraissaient limpides, même si elle, Mouna, ne partageait pas totalement son point de vue. Le traumatisme avait rayé de la carte de sa mémoire les figures de sa vie antérieure, mais le fondement de son être était intact. Il ne reconnaissait pas celle à qui il avait fait cette déclaration, pourtant c'est à elle, dernière lumière reçue, qu'il avait choisi d'exprimer son être profond.

Alors qu'elle cherchait les premiers mots qui lanceraient son scénario, il  interrompit à nouveau sa réflexion.

 

« - Je ne me rappelle plus de leurs visages, mais je sais que j'avais deux lumières dans ma  vie, qui m'avaient complémentairement fait comprendre l'importance de l'amour sur cette terre. Bien que l'une fût chrétienne et l'autre musulmane, elles étaient identiquement mues par une grande pureté de cœur et leur religiosité était semblable et elles auraient pu échanger leur rôle tant était claire leur symétrie. Mais l'une était légitime, pas l'autre et l'acte de chair s'accomplissait  avec l'une et l'autre s'y refusait. Leurs religions respectives imposaient la fidélité dans le couple et pourtant chacune d'elles me donnait des raisons d'infidélité que moi-même je reprouvais initialement. Elles allaient me donner un sens aigu de l'amour qui me convainquait bientôt que le plus important était de donner, et peu importe si cela n'était pas conforme aux règles sociétales et religieuses. Encore une fois les religions se trompent en refusant l'essence même de ce qu'elles prônent. Sans même parler de sexe, mon amour pour la femme musulmane n'était que compris mais pas accepter par elle. Elle ne pouvait dire mot qui aurait été pour moi pris comme un encouragement à poursuivre l'interdit; elle ne voulut jamais dévoiler son cœur. Moi, je l'aime et je n’ai nulle honte à l'avouer. Mais où est-elle aujourd'hui ? » 

 

Tout en parlant, il était venu s'asseoir à côté d'elle sur le lit. Elle se rapprocha de lui, lui caressa délicatement son visage en ne quittant pas ses yeux. Enfin, elle posa sa bouche sur la sienne et l'embrassa avec une tendresse toute particulière. Assurément passif au début, il partagea ensuite la suavité de cet instant merveilleux. Alors que leurs bouches se séparaient elle lui dit simplement :

 

« - Elle est là devant toi ! 

 

La conjonction du baiser impromptu et de cette révélation eut l'effet d'un bulldozer dans le cerveau de Pascal. Durant de longues minutes des bribes élémentaires de mémoire naviguaient dans sa tête comme des fichiers que l'on restructure sur le disque dur d'un ordinateur. Ses yeux étaient rivés sur elle mais ne manifestaient qu'une sorte de terreur due au remaniement dont il ne savait pas l'issue.

Les chamboulements se terminant dans ses neurones, un sourire vint lui éclairer le visage et une phrase qu'il avait prononcée mille fois sortit de sa bouche :

 

- Mouna, mon amour ! 

 

Il voulut la prendre dans ses bras puis manifesta le désir de l'embrasser à nouveau, un index réprobateur s'abattit doucement sur ses lèvres.

 

- Non, il ne faut pas !... J'ai effectivement beaucoup d'amour dans mon cœur pour toi, mais je n'ai pas le droit de l'utiliser. Mais saches bien qu'il y est!... »

 

Au diable le scénario envisagé, mais la concession était énorme pour elle. Tandis que pour lui, un choc effroyable contre un chêne, un coma de plusieurs semaines et une amnésie d'une dizaine de jours plus tard, cet aveu ne pouvait le satisfaire entièrement. Il voulait partager avec elle des moments particuliers, bien à eux, elle n'y était toujours pas prête.

 

De retour chez lui, il entamait une reconstruction patiente de sa mémoire. Il remettait progressivement un nom sur les visages. Les choses qu'il voyait commençaient à lui parler du passé. Avait-il fait du ménage ? Il ne le savait pas évidemment, mais ce qu'il voulait bien retrouver s'ordonnait à souhait dans sa tête, qui lui semblait bien rangée maintenant.

Souvent seul à la maison, tandis que son épouse allait au travail, il avait entrepris la relecture de ce qu'il lui avait écrit. C'était la partie la plus récente de sa vie et de plus il l'avait écrite. Et puis Mouna, au cours de son coma, lui avait relu ses textes. N'avait-il pas, durant ces instants, reconstituer inconsciemment sa mémoire ? Et peut-être que c'est pour cela qu'elle eut la primeur de son réveil à la mémoire ! Il retrouvait sa fièvre d'elle et ne pouvait le lui dire que par de courtes conversations téléphoniques forcément épurées, elle n'était pas seule dans son bureau... Il voulait précipiter son retour s'estimant capable de retravailler mais surtout étant impatient de retrouver Mouna.



Mon amour,

 

 

 

Toute une vie n'aurait pas été de trop pour te donner tout l'amour que je voudrais te transmettre. Mais hélas, je n'aurais simplement que quelques heures au mieux pour te dire cet amour et partager les sentiments que nous nourrissons l'un pour l'autre. Et encore, faudra-t-il que tu te libères de ton sentiment de culpabilité qui te paralyse, pour que notre échange soit total.

J'ai le mal du temps qui passe, mais je suis comblé d'avoir envie de te donner et d'entamer chaque journée dans l'espoir de t'apporter un petit quelque chose.

Pourquoi ma volonté de t'apporter un peu d'amour ne peut être considérée pour la raison que je ne suis pas le premier à t'avoir dit : "Je t'aime"? Te priveras-tu de jouir d'un peu plus de bonheur parce que celui qui te le donne est arrivé un peu en retard dans ta vie ? Oserais-tu ne pas chercher en toi quelque sentiment à me donner ?

La vie n'est pas une course à la cocarde pour laquelle on ne se rappelle plus que du nom du gagnant. La vie se déroule devant nous avec ce que nous y mettons dedans. Les méandres de la vie se dessinent selon l'amour rencontré. Cueille celui qui t'est destiné pour tracer ton chemin. Aimer étant donner, jouis de ce que je t'envoie et de ce que tu peux donner aussi.

Pour honorer ceux qui nous l'ont donnée, la vie doit se dérouler dans l'action et aimer est l'action la plus noble que l'humain puisse entreprendre, à condition qu'il s'agisse du pur amour. Celui-ci est très rare car il demande exigence, il n'a rien à voir avec la recherche d'une jouissance égoïste.

Viens dans notre jardin d'amour, je t'y attends.

Viens dire avec moi qu’il n'y a rien de mieux que de donner, de se donner.

Au-delà de l'espace et du temps je t'aime mon Amour.

 

Libération

 

 

 

Patiemment je limerai les barreaux de ta prison d'esprit. J'utiliserai la lime de la sincérité pour ruiner l'édifice. Je laverai ton âme de la gangue de culpabilisation dans laquelle on l'a mise, soi-disant pour te protéger. Je dissoudrai le filtre de ton éducation qui transforme les sollicitations amoureuses en indifférence. Mais je te ferai aussi prendre conscience du pur amour afin de ne pas le confondre avec la tentation de la jouissance.

Si tes instructeurs avaient prédit que le temps épuise la patience du solliciteur, saches que je ne renoncerai jamais à te faire accéder à ce pur amour et que j'irai chercher en moi ce que je ne connais pas encore, pour nous amener enfin à nous aimer vraiment.

Notre amour mérite la tendresse promise, ose découvrir ta douceur latente pour construire avec moi cet espace d'amour. Tu n'y découvriras pas un avenir certain, mais l'immense joie de pouvoir donner de soi t'envahira sûrement. Voilà en quoi cet amour est permis. Voilà pourquoi je persévérai dans la persuasion. Que Dieu bénisse notre union !

 



Ode à un Amour

 

 Tu es belle, tu es femme et je te désire.

Tu es Lumière, je veux être miroir.

Ta peau est douce, je veux la faire frissonner.

Tu aimes mes baisers, je veux les redoubler.

Ils te troublent, je veux te rassurer.

Ce n’est que l’Amour que tu cueilles;

Et vient t’embaumer

De son parfum si frais.

Mon meilleur sera pour toi, je te le donnerai.

Je plongerai en toi pour m’y diluer.

Je te donnerai ma sève en signe d’abandon.

Nous ne ferons plus qu’un de nous être tant aimé.

Femmes et Hommes, il est de leur destinée,

De faire l’unité dans leur diversité.

Et le pur Amour que tu m’as instillé

Nouera d’un lien divin, cœurs et corps pour l’Eternité.



L’inexorable amour

 

 

 

Il ne sert à rien de ne pas vouloir regarder les évidences en face. Ce n'est pas parce que l'on cherche à ignorer un fait que celui-ci n'existe plus.

L'amour est un éther qui nous enveloppe parfois même contre son gré initial. S’il est là désormais, rien ne sert de ne pas vouloir le voir, l'admettre, donc le vivre.

Qui est capable d'avoir reconnu l'amour et faire comme s’il n'était pas là ?

Personne, car dès l'instant que l'on a identifié l'amour on n’est déjà plus la même personne, il n'est pas possible - au sens scientifique- d'être un observateur de l'amour. Forcément, et qu'on le veuille ou non, on est toujours acteur, par définition, dès que l'on admet qui est là. L'amour atteint sa plénitude non pas quand on se sent bien dans cet état mais quand on se sent bien d'avoir donné quelque chose à l’être choisi.

Mais avoir ressenti cet état d'amour et s'interdire de pérenniser est-ce possible ?

Si l’interdit est vainqueur, c’est que l’on n'a pas souhaité répondre aux appels initiaux du cœur ; en fait c'est s'interdire de penser que ces sollicitations existent. Elles doivent rebondir sur une carapace forgée sans même créer d'agitation interne momentanée. C'est l'indifférence totale!: « Tu me dis que tu m’aimes...peut-être, sûrement même si tu me le dis, mais moi je ne vois  rien, je n’entends rien, je continue ma route, pour moi il ne se passe rien !».

Est-il possible qu'un être sensible ne soit vraiment pas perturbé  par des manifestations amoureuses ?

Oui, si celles-ci sont banales, circonstancielles, intéressées, voir malhonnêtes. Mais si soi-même on veut rester dans la juste ligne de l'honnêteté que l'on doit aux autres et aussi à soi-même, il ne peut en être ainsi. Si l'on reconnaît la sincérité des sentiments avoués et si les ondes émises par l'autre se trouvent en harmonie avec les siennes, alors le frisson de l'inattendu événement doit saisir tout le corps et une résonance avec le système sympathique doit faire monter son taux d’adrénaline. Et le cœur bat la chamade comme l’on dit !

Quand je te parle de l'amour que je veux partager avec toi, je vois par de multiples manifestations de ton corps que mes mots choisis pénètrent ton être. A la salive que tu  avales comme on avale une couleuvre, à tes yeux qui s'éclairent merveilleusement, à ta joue qui accepte parfois un baiser, à ton regard tout d'abord baissé puis qui désire trouver le mien pour lui transmettre une douceur rarement rencontrée, je sais que ton cœur à discerner la sincérité de mes propos et qu'il est sensible à des déclarations qu’il n'avaient peut-être encore jamais reçues. Pour le moins, je sais que ton cœur est étonné quand on lui parle ainsi mais il est aussi ravi. Il a donc discerné le sens profond de mes dires et il se sent vraiment aimé. C'est là qu'intervient la raison de l'éducation pour faire croire qu'il ne s'est rien passé, mais les faits sont là; il s'est bien passé quelque chose en toi qui, sans que tu le veuilles initialement, te transforme déjà. L'amour est donc en toi et ton éducation n’y peut plus rien, elle ne peut que freiner tes répliques à mes sollicitations. Heureusement qu’il en est ainsi, nous ne sommes pas programmés par notre culture, nous ne sommes que guider par elle pour éviter les récifs sournois qui nous emporteraient au cas où un cap non fondamental serait suivi. Mais l'amour, le pur amour libère les hommes d’une partie de leur inconnu et de leur obscurantisme. Il les éveille au Bien en  leur donnant envie de donner. Voilà pourquoi il n'est pas contraire aux règles divines qui te gouvernent, quelle que soit son origine et le moment où il arrive.

C'est le plus profond de ce qui est en toi qui a généré mon amour ; ce n'est ni la merveilleuse ligne de tes seins, ni ton sourire, que j'apprécie évidemment, qui ont excité mon esprit. C'est l'expression de ton sourire que j'ai perçu et qui m'a donné la clé de ton moi profond. Seul un être mu par le pur amour est capable de cette découverte improbable. Le hasard de la vie a permis à deux êtres de s'apercevoir de leur harmonie, c'est pour cela qu'il s'agit d'une offrande. Nous nous sommes insensiblement enveloppés dans le filet de l'amour. Désormais il est là qui nous unit et nous ne pouvons nous en défendre. L’amour qui s’est déclenché n’était pas une destinée. Nous en avions l’un et l’autre tous les ingrédients en nous. Avant même de nous connaître, ce que nous sommes vraiment nous disposait à nous aimer, au cas où nous nous rencontrerions. La rencontre aurait pu ne pas se faire. Elle s'est faite vraiment comme une offrande, au gré du hasard, et ce qui devait arriver se produisit.

Lorsque je te réclame ces baisers d’amour, je te demande la seule chose que nous puissions faire aujourd'hui pour nous montrer l'un à l'autre l'état exceptionnel dans lequel nous sommes rentrés, celui de l'amour. C'est simplement dire à l'autre qu’il est remarquable et choisi et que ce baiser est le témoignage concret de ce que l'on est prêt à donner. Échanger ces baisers serait un signe de distinction qui ne serait  un pied de nez à personne. Ce serait la marque de l'attachement que l'on est prêt à avoir pour celui à qui on le donne. Je voudrais tant que nous nous montrions cet attachement.

 

Le Bien et le Mal

 

 

 

Dire: "je t'aime" n'est pas une preuve d'amour, c'en est qu'une condition élémentaire. C'est le mot de passe qui permet d'entrer en Amour. L'amour est un état dans lequel deux êtres munis de ce passeport viennent y échanger des choses spécifiques. C'est un état dans lequel le "je" n'existe plus, le "nous" doit y régner pour montrer que la diversité de chacun s'est unie pour créer une entité nouvelle. La création de ce duo pour chanter l'amour est la preuve qu'un nouvel état d'amour s'est crée et que deux ambassadeurs y ont été nommés.

À partir de leur seule volonté voilà comment deux êtres peuvent créer du Bien. Ils vont aller puiser tout le Bien qu’ils peuvent trouver en eux et qu'ils ne pensaient pas avoir, mais que l'autre a permis de découvrir.

Il voulait l'aimer pour lui signifier qu'elle lui avait permis de faire cette découverte. Tout d'abord en voulant la mieux comprendre, il mettait à jour le joyau qu'elle était. Puis en voulant la mieux aimer, il refaçonnait son propre moi profond pour le rendre meilleur. Voilà comment l'amour est une valeur humaine fondamentale, il est créateur de Bien.

Le Bien et le Mal sont des notions judéo-chrétiennes que les musulmans ont reprises en les radicalisant fortement. Les non-croyants n'aiment pas ces mots qu'ils trouvent trop marqués de religion avec leur co-notation de paradis et d’enfer. Quoi qu'il en soit, le Bien et le Mal  peuvent-ils être définis dans l'absolu ? Tous répondront que non, car la barrière qui les sépare se définit par rapport un code, forcément.

Le Bien et le Mal religieux, in fine, ne sont définis que le jour du jugement dernier au cours duquel Dieu par sa volonté et sa miséricorde tranchera pour qualifier nos actes de bons ou de mauvais. Il faut interpréter la miséricorde de Dieu comme une notion de relativité du Bien et du Mal. Et chaque cas traité sera un cas particulier qui sera évalué en tant que tel, et non pas selon un barème. Dieu est juste dans son jugement et deux faits identiques pourront être sanctionnés différemment, non pas par simple volonté divine comme cela est dit par les religions, mais par justice divine qui saura disséquer les faits pour apprécier l'état d'esprit qui régnait lors de leur exécution.

Que ce soit pour le Code civil ou bien les codes religieux, l'adultère est considéré comme une faute de comportement, il est réprouvé et est donc condamnable. Pourtant il n'est pas certain qu'il en soit ainsi le jour dernier. Qu'y a-t-il de commun entre des individus qui cherchent à pigmenter leurs appétits sexuels et ne pas se satisfaire de l'amour de leur conjoint, et ceux qui en plus du cadre du mariage vont chercher en eux ce qu'ils ont de meilleur pour l'offrir aussi à une autre personne ?

Dieu sait à chaque instant ce que nous sommes, donc ce que nous pensons. Il comprend mieux que quiconque les finalités des actions de chacun car il lit en direct dans notre âme.

Soyons certains qu'il saura séparer le bon grain de l'ivraie que l’on trouve dans le comportement humain. Tout dépendra de la manière dont se sera construit notre chemin de conscience qui aboutira à cet acte. Ou il n'y en aura pas ou peu, et il sera puni, ou patiemment et raisonnablement il sera édifié, et Dieu accordera sa miséricorde, incha Allah.

Dans leur questionnement, ils devaient non pas s'interroger si ce qu'ils voulaient faire est interdit ou pas, mais ils devaient savoir s'ils étaient capables d'aller au fin fond d'eux-mêmes chercher et générer plus de meilleur pour l'offrir dans le cadre de cet amour qu’ils désiraient vivre. C'est cela le pur amour qui serait reconnu ainsi le dernier jour venu.


La vraie de dimension  de sa religion

 

 

 

Ce ne fut pas tant le tonnerre qui le réveilla en sursaut, que les éclairs qui traversaient sa tête en lui apportant la lumière qu’il cherchait vainement quand il était éveillé.

Son « feeling » certes lui faisait ressentir des choses à propos de latitude de Mouna à son égard. Il  lui avait dit qu'elle ne devait pas le considérer comme Satan, pourtant il devait faire tache dans son esprit, il devait n’être qu'un épiphénomène pour elle, et il lui avait dit aussi qu'il limerait les barreaux de sa prison d’esprit. Il avait même été jusqu'à lui écrire une prière à faire à son Dieu afin qu'il l'aide à trouver la juste voie. Mais par ailleurs, il n'arrivait pas à comprendre ce mutisme permanent, ce refus de tout geste osé. Il ne saisissait pas non plus, quand lui disant qu'il ne devait pas savoir lui parler d'amour, elle ne lui répliquait que : « non, ce n'est pas  cela, ça n'a rien à voir » ! Elle avait beau invoquer la fidélité qu'elle se devait à son mari, il ne lui semblait pas que cela soit totalement suffisant pour expliquer son attitude. Il y avait en elle quelque chose de plus fondamental et cette fidélité n’en était qu'un sous-ensemble.

L'après-midi précédant le réveil brutal, il était allé surfer sur Internet pour trouver des informations avec un moteur de recherche pour lequel il avait tapé « incha Allah ». Ces trouvailles l’avaient profondément marqué. Il les rapprochait de ce qu'elle lui avait dit de sa religion. À l'époque il n'avait pas saisi toute la profondeur de ses propos. Mais sa recherche permanente pour la mieux connaître, afin de l'aimer mieux, le conduisit à prendre conscience de l'entière dimension religieuse qu'il y avait chez l’être qu’il chérissait tant.

 

L'islam est d'une rigueur implacable et il veut faire peur à ces adeptes. « Ô les croyants ! Soyez endurants. Initiez-vous à l'endurance. Luttez constamment (contre l'ennemi) et craignez Allah afin que vous réussissiez (sourate Al Imran 200)

« Notre Seigneur ! Tu n’as pas crée cela en vain. Gloire à toi ! Garde-nous  du châtiment du feu » (sourate Al Imran  191)

Ô mon Seigneur Tu m'as donné du pouvoir et Tu m’as enseigné l’interprétation des rêves. Créateur du ciel et de la terre, Tu es mon patron ici-bas et dans l’au-delà. Fais moi  mourir en parfaite soumission et fais-moi rejoindre les vertueux » (sourate 3 Youssouf101)

Il craint Dieu. Il se garde de faire ce que Dieu interdit ou ce qui est contraire à Sa volonté (sourate 3 al Imran 102)

 

Pour un musulman, le seul sens de la vie terrestre est de montrer à quel point il doit être soumis, et surtout rien d'autre. «Ô mes fils, je ne peux cependant vous être d'aucune utilité contre les desseins d’Allah. La décision n'appartient qu'à Allah, en Lui  je place ma confiance. (sourate12 Youssouf 67)

 

Tout ce que l’on entreprend n'est que volonté de Dieu et toute relation avec des gens se disant d'autres religions ou bien des mécréants, est considérée comme une trahison à l'islam et les pires châtiments sont possibles, incha Allah.

« Combattez ceux qui ne croient ni en Dieu ni au jour dernier, qui n’interdisent pas ce  que Dieu et son messager ont interdit et qui ne professent pas la véritable religion, parmi ceux qui ont reçu le livre, jusqu’à ce qu'ils versent le tribu de leurs propres mains, en étant humiliés (sourate 9 le repentir verset 29)

 

« Quiconque recherche une religion autre que l'Islam, elle ne sera pas acceptée et sera dans l'au-delà parmi les perdants » (sourate 3 la famille d’Imran : 85)

 

Dans l’Islam chaque être créé par Dieu l’est  avec un destin préfixé.

 

Mouna savait que Pascal n'avait pas cette notion là de Dieu. Pascal allait au contraire lui expliquer le chemin de conscience de l'homme, libre de toute pensée initiale. Et pourtant ce mécréant lui posait un problème inattendu. Il avait une conscience forte qu'il interrogeait sans cesse, c'était un honnête-homme qui n’agissait jamais par intérêt, cupidité ou quelques vices de cet acabit. Son pur amour semblait vraiment modèle, elle en était troublée. Il voulait avancer, construire, trouver pour participer à l'avancée de l'humanité vers le meilleur, sans rechercher la gloire. La sincérité de ces actes et de ses dires était sans équivoque. Mais il n'adorait pas Dieu en le lui disant. Il ne lui manifestait pas directement sa reconnaissance pour sa vie, pour l’univers dans lequel il vivait ; il pensait que c'est la qualité de son chemin de conscience, la qualité de son émerveillement à la création, la reconnaissance de principes fondamentaux, qui étaient les fondements de sa croyance en Dieu. Il lui semblait qu'il était sans cesse en quête du Bien, mais il refusait la destinée et la volonté de Dieu.

Alors, recevoir des baisers, des caresses, des mots tendres et touchants d’un  tel être ne pouvait être que faute, peut-être inexpiable autrement que par l’Enfer. Plus il voulait faire Bien pour elle, plus il la précipitait vers les flammes avides de pécheresses, et elle craignait l’Enfer.

 

«Ô vous qui avez cru ! Ne prenez pas pour allié mon ennemi et le vôtre, leur offrant l’amitié, alors qu'ils ont nié ce qui vous est  parvenu de la vérité. Il expulse le Messager et vous-même parce que vous croyez-en Allah, votre Seigneur. Si vous êtes sorti pour lutter, de Mon chemin et pour rechercher Mon agrément, leur témoignerez-vous secrètement de l'amitié, alors que Je connais parfaitement ce que vous cachez et ce que vous divulguez ? Et quiconque d'entre vous le fait, s’égard de la droiture du sentier (sourate 60 al Mumtahama :1)

 

Alors qu'il aurait été facile de repousser des attitudes injurieuses envers elle, elle n’avait à faire qu'à des attitudes nobles de sa part. Elle ne pouvait lui reprocher que son manque de soumission à Dieu; hormis cela la voie était  droite comme celle que lui demande à elle, son Seigneur.

 

Pascal aurait pu se sentir abattu de cette découverte du fondement de l'attitude de son aimée. Il n'en fut rien car il se sentait fort de la sincérité de ce qu'il ressentait et surtout de celle qu'il voulait lui donner. Il se sentait amour et non pas péché ! Il fallait l’aider à traverser l'impossible et il y emploierait toute sa conviction, toute son énergie, toute sa croyance dans la force de l'amour. Il n’entamait pas un combat contre la religion, mais il voulait éveiller une conscience à la dimension transcendantale de l'amour quels que fussent son origine et le temps.

 

Et si elle considérait leur histoire telle une destinée, il fallait alors qu'elle la considère comme une épreuve de retour sur sa conscience pour savoir ce qu'elle devait faire de cet amour et comment le gérer : dans l’infamie de la jouissance égoïste ou dans l'honneur d’un acte pur ?

 

Le jeûne.

 

 À la différence du Carême pour les chrétiens, le Ramadan est obligatoire pour les musulmans. C'est un véritable effort sur soi-même qui permet de jauger son endurance réclamée dans le Coran. Pascal ne l'interprétait pas comme une dévotion à Dieu mais comme un moyen d'aller chercher en soi la force, non seulement de résister à la tentation, mais surtout pour se forger une capacité d'action future. Il pensait également que ce jeûne permettait de prendre conscience, pour certains, de la chance qu'ils pouvaient avoir et qui n'apparaissait pas comme telle, ordinairement.

 

Bien que n'étant pas musulman, Pascal se voyait, de fait, obligé de respecter certaines de ces règles religieuses par l'intermédiaire de l'amour qu'il vouait à Mouna. Il ne la voyait que le jour, et le jour est la période des jeûnes alimentaire et manifestations amoureuses. Il s'était engagé à respecter cette pudicité quoiqu'il en lui en coûterait.

 

Leur temps commun était déjà une inconnue ; la réalité du temps présent ne lui permettait pas de donner tout son amour et le Ramadan venait encore lui retirer du temps. Finalement leur interdit n'était-il pas d'avoir du temps ? Ce temps hypothétique de leur échange ne serait-il que virtuel ? Ce temps qu'ils ne veulent retirer à personne sacrifierait-il le temps de leur amour ? Il se sentait ronger de l'intérieur devant ce temps qui se perdait et surtout de cet amour, qui animait leurs cœurs, mais qui ne disposait pas de temps pour être vécu. Le temps, le temps... ce mot lui martelait le cœur et il se sentait devenir hypocondriaque. Chaque petit souci de santé lui semblait être le signe d'une maladie irrésistible qui ne tarderait pas à le soustraire à celle pour qui il pensait déjà manquer de temps. Alors, tout était prétexte à ce qu’il lui consacre tout le temps de ses pensées au cours desquelles il recherchait en particulier les arguments de pureté des sentiments qu'il lui montrait, afin qu'elle puisse les recevoir sans peur.

Cette force irrésistible d'aller vers elle qu'il avait senti monter en lui, se manifestait encore davantage en cette période de disette amoureuse. Comment pouvait-il lui montrer sa douceur sans même pouvoir la toucher ? Comment pouvait-il lui rappeler la chaleur de son cœur, si ses baisers ne pouvaient plus être donnés ? Avant même le Ramadan son amour ne pouvait être diffusé sans retenue, maintenant il allait perdre ce minimum d'échange qui existait; ce n'était plus un test d'endurance, c'était une entrave à l’avancée de l'un vers l'autre pour créer ce Bien natif du pur amour. Il en espérait naïvement tout de même qu'elle en sorte  lavée de sa culpabilisation et consciente de la force de ce pur amour.


Le nouveau prophète

 

 Il est temps, il est grand temps pour l'humanité que Dieu nous envoie un nouveau messager. La parole de Dieu aux humains doit être comprise dans l'instant. Elle est forcément adaptée à l'état de la conscience de l'Humanité au moment de son l'écriture. Cet état de conscience du XXIième siècle n'est pas celui du temps de Jésus-Christ ou de Mahomet et encore moins des prophètes de l'Ancien Testament. La finalité du message est absolue, mais pour éviter que d’aucuns ne le prennent qu’au pied de la lettre, sa rédaction doit évoluer pour permettre à tous les hommes qui ont une croyance en un Dieu, de se retrouver ensemble au lieu de se disputer « des parts de marché ».Voilà pourquoi un nouveau messager est attendu !

Dieu n'est ni chrétien, ni juif, ni musulman, il est Dieu le créateur de l'univers. La volonté divine a été de créer l’Homme, non pas pour être un adorateur de sa personne - ceci est beaucoup trop humain comme vision - mais comme chercheur de Lumière. L’Homme est la conscience de l'univers en route vers la perfection. Le chemin de l'Humanité, c'est le cheminement  individuel des consciences vers le Bien total. Un temps de vie est donné à chacun pour accomplir cette mission à l'issue de laquelle la Lumière sera à jamais donnée ou bien la quête dans le noir continuera pour ceux qui auraient oublié de chercher durant leur vie terrestre.

L'univers n'est pas le fruit du hasard. Des règles fondamentales, encore trop complexes pour l'esprit humain, régissent ce que l'univers devient à partir du Rien. Ces règles ont en elles le sens de l'évolution du monde et elles ont corrélativement permit l'avènement de l'Homme sur Terre. Voilà telle que l'on peut comprendre la Destinée. L'homme n'a pas été créé, mais il découle naturellement de la création initiale, laquelle ne pouvait pas faire autrement que de faire éclore un jour, un être qui allait pouvoir penser, décider, choisir. Un être qui allait pouvoir incarner la marche vers la perfection qui nous ramène à Dieu. La miséricorde de Dieu est aussi celle d'avoir fait en sorte que nous puissions exister, puis ensuite de nous exprimer.

Notre cheminement dans la compréhension du monde est plus avancée que celle des siècles antérieurs, mais l'infinité du temps et de l'effort reste devant nous. D'ores et déjà la bataille de l'unicité de Dieu a été remportée, il ne s'agit donc plus d'en faire la condition première de l'appartenance à une religion, sinon que l’on veuille perpétuer une vaine querelle de clochers, de synagogues ou de minarets ! Il n'est plus nécessaire aussi d'écritures allégoriques pour décrire la genèse ou les conséquences du jugement dernier. Il est par contre impératif d’expliciter la formule « aller chercher Dieu en soi », non pas comme aujourd'hui en la faisant apparaître comme postulat mais en faisant comprendre aux croyants l'importance du cheminement intérieur de sa conscience.

 

Dieu n'est pas un juge ni un censeur, c'est le Créateur. Il ne doit pas être craint car sa finalité n'est pas la répression. De la même manière que de l'amour entre humains naît un petit enfant, Dieu nous crée par amour en créant l’univers et ainsi nous offre la possibilité de nous accomplir en recherchant l’inaccessible perfection. Si donc la vie devait être bornée par la culpabilisation, elle serait amputée de cette recherche risquée certes, mais enrichissante dans la quête de la Lumière.

 

Deux évolutions fondamentales doivent se faire pour que la religion puisse être épousée par le plus grand nombre. Tout d'abord il faut cesser de donner une image humaine à Dieu, ensuite il faut cesser ces pratiques d'adoration issues des rites païens. Cesser de donner une image humaine de Dieu pour ne pas lui prêter des réactions humaines. Dieu insiste pour que les hommes s'éloignent de défauts tels la suffisance ou le nombrilisme par exemple, alors pourquoi Dieu se comporterait comme un monarque qui n'a de cesse de vouloir qu'on s'incline devant lui et que l'on se soumette à lui. Non, Dieu ne peut avoir dit qu'il faut l'adorer, et que ce serait de la qualité de cette adoration dont  dépendrait notre éternité. Devant un spectacle de la nature que l'on contemple, le religieux aujourd'hui remerciera Dieu d'avoir créé cette exceptionnelle beauté. Le religieux de demain contemplera dans le détail le paysage avec une intensité redoublée. C’est la qualité avec laquelle il ressentira l'émotion qui honorera le Créateur. De la même manière qu’il ne suffit pas de dire « je t'aime » mais qu'il faut le montrer, la dévotion à Dieu doit se trouver dans le comportement que l'on a, plutôt que dans le radotage d'incantations. Il est sûr que Dieu appréciera la variation de la dérivée de notre trajectoire plutôt que la trajectoire elle-même.

Comment penser que Dieu ne puisse demander seulement de l'obéissance, qui serait la première condition de la dévotion ? Si cela était impératif à une certaine époque pour stabiliser l'idée de Dieu, il faut désormais dépasser ce cas et se faire une autre idée de lui, une idée divine. L'abstraction n'est pas très ludique et l'on comprend qu'à l'origine elle ne pouvait être employée car comprise par trop peu de personnes, ce qui n’aurait pas créé le noyau élémentaire auquel devaient s'agréger d'autres humains pour que l’idée fasse son chemin. Aujourd'hui prenons garde que la religion ne soit réservée qu'à ceux qui n'ont pas les moyens intellectuels de se poser des questions, à ceux qui ont peur et qui ne veulent pas se poser de questions. Il est fort possible de croire en Dieu pour un être réfléchi, mais il ne faut pas le dispenser de penser et lui imposer des postulats alors que dans la tournure de ce qu’il entend ou lit, il croit y trouver une démonstration. La croyance n'a pas besoin de démonstration, alors arrêtons les sornettes comme celle qui dit que l’on sera sauvé selon notre vulnérabilité à la miséricorde; elles discréditent ceux qui pensent nous attirer à Dieu.

La plus grande dévotion que l'on peut rendre à Dieu n'est pas de se remettre entre ses mains, car nous ne sommes pas les jouets de Dieu. Par contre s’interroger sur le pourquoi de la vie humaine et sur le sens de cette vie et agir en conséquence, doit nous rapprocher de Lui. La vie n'est pas une épreuve, la vie est la chance donnée à l'homme de trouver les valeurs transcendantales du temps et de l'espace. C'est-à-dire que ceux qui découvriront ces valeurs auront le pouvoir de l'éternité. Ce n’est pas en se flagellant ou en disant que Dieu est grand que la solution de la Lumière sera trouvée. L'homme doit avoir une démarche de chercheur. Chercher c’est risquer  de se trouver devant des situations difficiles à gérer, mais  quelle progression pour notre conscience ! Effectivement alors il y aura finalement quelque chose à juger; mais se contenter de rester dans les clous et faire l'autruche en faisant semblant d'ignorer certaines situations  ne permettra pas à Dieu de jauger la conscience du parfait exécuteur. De plus, cette position de passivité ne permet pas d'enrichir l'humanité des expériences tentées, et quelle serait alors sa progression vers la perfection, qui elle seule, ouvre les portes de l'éternité ?

Le pouvoir de l'éternité est comme la présence de Dieu, un humain par définition ne peut s'en faire une image. La croyance est celle de la croyance de choses inexplicables pour l'homme mais qui doivent exister dès lors que l'on pense que la vie a un sens.

Le péché originel pour les uns, les risques du Mal pour les autres, voilà qui est bien facile de maintenir le peuple des croyants sous tutelle en leur faisant croire à la rigueur du châtiment. Est-ce en les menaçant du bâton et obtenir une obéissance sous contrainte que l'on permettra aux hommes d'accomplir leur mission terrestre ? Certainement pas, la vie que nous a donnée Dieu perdrait tout son sens. La chose primordiale qu'il faut trouver sur cette terre, c'est l'amour. Mais pas n'importe lequel, mais le pur amour, celui qui doit nous rappeler celui avec lequel Dieu nous a donné cette vie. Les Saintes Ecritures disent-elles ce qu'est le pur amour pour les humains, leur disent-elles comment trouver ce pur amour, comment le reconnaître ? Faute de le savoir, des croyants peuvent passer à côté sans le voir, obsédés qu’ils sont de leurs interdits.

 

L'acte d'amour est un acte fondateur pour un humain, non pas seulement parce qu'il peut conduire à la naissance d'un enfant  mais parce qu'il selle concrètement l'échange que deux êtres veulent avoir. L'authentique acte d'amour doit produire une jouissance du second degré. La jouissance spirituelle de l'autre doit initier sa propre jouissance spirituelle à savoir un merveilleux contentement d'être reçu et apprécié par l'autre ; ces jouissances spirituelles entraînant, dans le meilleur des cas, une jouissance physique qui ne doit donc être que le révélateur d'un état de bien-être total né de cette union. Le plaisir de l'amour est le plaisir issu de ce que l'on vient de donner.

Pascal appelait de ses vœux que Mouna soit totalement instruite de sa notion d'amour pour qu'elle puisse le mettre en balance avec  toute son éducation qui  avait posé nombre de filtres qui devaient écrêter sa sensibilité afin de la rendre imperméable à toutes les manifestations amoureuses qu'elle pourrait rencontrer. Les ondes amoureuses qu'elle pouvait recevoir devaient être totalement  réfléchies et au cas où certaines atteindraient tout de même leur cible à cause de leur qualité, toute ré-émission devait être annihilée de façon à éviter ce pompage par échanges de sentiments. Mais Pascal pensait également qu'il était possible d'élaborer des ondes dissolvantes de filtres à condition qu'elles soient émises par le meilleur qu'il devait aller chercher au fond de lui et qui lui donneraient aussi la perspicacité et l'endurance nécessaire à son exécution.

Les pessimistes pensent que seul le Mal sortira vainqueur de l'activité humaine car la faiblesse de l'homme le rend irrémédiablement vulnérable. Bien sûr que cette faiblesse existe  et que le Mal est moins coûteux en énergie que la recherche du Bien. Mais cette recherche du Bien ne doit pas être une finalité dans le but de la récompense du paradis. Sa finalité est de pouvoir apporter à quelqu'un du bonheur que nul autre ne peut apporter. Au travers de cette recherche désintéressée du mieux pour l'autre, transpire l’esprit divin du Bien. Les choses doivent se faire dans ce sens alors que les religions imposent le sens inverse. Mais l’acte libre est bien plus valorisant que l’acte contraint, et la recherche du Bien n’est pas avant tout pour faire plaisir à Dieu, mais doit servir à enrichir la création pour la rendre digne du pouvoir d'éternité que voudra alors lui accorder Dieu. Pascal  avait eu la chance de croiser cette femme musulmane forte de son esprit religieux. L'amour qu’elle lui inspirait le forçait à mettre de l'ordre dans ses idées et en particulier vis-à-vis de son approche du divin. L’amour renforçait son œcuménisme naturel et le forçait à se poser les questions fondamentales, et aussi d’y répondre. Il ne cherchait pas à vouloir une religion faite sur mesure pour satisfaire son désir d'amour, aujourd'hui interdit. Mais à nouveau la démarche était inverse, il recherchait comment devait être l'amour et quelles en étaient les conséquences sur l’évolution individuelle des consciences. Ceci le révéla à la force des intentions qui sont à la base des actes humains. Plus que l’acte lui-même, c'est le contexte qui a permis l’acte qui est important et qui amènera jugement.

La culture religieuse de Mouna n’était évidemment pas celle-là et Pascal voulait lui démontrer que leurs démarches différentes conduisaient pourtant au même résultat et qu’en conséquence leurs raisons individuelles de vouloir le Bien n'étaient pas identiques mais qu'au final c’est le Bien qui  triomphait et que cela était l’essentiel. Tous les deux honoraient Dieu, l’un par soumission qu'elle se devait à Lui, l'autre par la qualité de l'intention de ses actions. Ceci prouve que l’œcuménisme est bien possible à condition de ne retenir que l’essentiel de la démarche vers Dieu. Dans tous les cas il ne fallait pas que l'intransigeance des cultures prenne le dessus en imposant  l’interdit, et que leur amour ne puisse avoir la dimension méritée par son excellence.

Avant de connaître Mouna, Pascal pensait qu'il ne lui manquait rien. Et pourtant aujourd'hui il sait qu'il y avait encore un coin d’ombre qui l’empêchait de faire la synthèse de sa conscience de la vie. Le bonheur, il l’avait depuis qu'il avait rencontré son épouse. Une formidable évolution de son être en avait découlé. Mais il ne savait pas qu'il manquait une dimension à cette vie heureuse, quand Elle vint sans ne rien dire et sans vouloir se faire remarquer. ! Elle était la lumière qui lui manquait, il sut la reconnaître. Grâce à elle il avait entamé la fin de la construction de son être et cela sans qu'elle ne bouge le petit doigt. Il y avait là plus qu'un signe, il y avait la marque de l’esprit de la vie. Pascal se servait de cette marque pour se convaincre de la réalité de ce qu’il ressentait et pour inviter Mouna à partager cette extraordinaire connaissance qui s’était révélée à lui. C'était bien de l'amour, c’était bien du pur amour.

 

La force des intentions on la trouve également dans le choix de la difficulté sans pour cela être masochiste. « A vaincre sans péril on triomphe sans gloire » écrivait Corneille. S'il n'est pas question de rechercher la gloire, l'accomplissement d'un être ne peut se faire uniquement dans la facilité. Si aucun effort n'est consenti pour obtenir quelque chose comment peut-on apprécier à la juste valeur ce que l'on vient d'obtenir ? Mieux même, où en serait l'amour de Pascal si Mouna lui avait dit oui dès le début de leur histoire ? Ne se serait-il pas contenté d'un amour superficiel donc fragile. Au contraire, l'épreuve cruelle que lui faisait subir Mouna en gardant un silence lancinant avait obligé Pascal à aller plus profond en lui-même. Contrairement à l'allégorie du chercheur de diamants, que les religions disent que nous avons en nous et qu'il faut  trouver, l'homme qui est fait à l'image de Dieu est aussi un créateur. Ce diamant il doit le créer à partir du Rien de sa conscience initiale. Le Bien n'est pas en nous a priori, nous devons le créer. Pour apporter de l'amour à Mouna il devait créer du Bien et devant le refus de Mouna à répondre à son amour, il devait faire en sorte d'affiner davantage ses pensées afin de générer du mieux pour le  lui offrir. Sans cette nécessité de créer du Bien, l'amour de Pascal n'aurait pas été aussi solide, aussi pur, aussi volontaire et certainement pas aussi durable.


La conscience et la prière.

 

 

 

Réduire Dieu à une créature destinée à la dévotion est une vision humaine qui date de l'époque à laquelle les écrits de la vision de Dieu ont été faits. Dieu est considéré dans ces conditions comme une sorte de super Roi.

Dieu qui incarne l'infinité du temps et de l'espace n'est pourtant pas imaginable. Les musulmans d'ailleurs s’interdisent  sa représentation.

Il est dit que nous sommes faits à l'image de Dieu, mais la réciproque n'est pas vraie. Dieu n'est pas un homme parfait doué de pouvoirs extraordinaires. Dieu est Dieu et nous, humains, nous ne pouvons pas comprendre ce qu'il est et nous avons tort à chaque fois  que nous le découvrons au travers d'un raisonnement humain. Dieu est un mystère inexplicable par la pensée humaine mais dont on suppose la présence, non par ignorance et crainte, mais pour trouver un sens à la vie.

Dieu n'a ni passé, ni avenir, ni présent  et il est partout à la fois disent les religions. Cela fait dire qu'il prédestine les hommes puisqu'il connaîtrait leur futur. Mais le futur est une notion humaine pas divine. La prédiction issue de la connaissance du futur imaginée par certains, ne peut donc exister. Dans ces conditions les difficultés que nous pouvons rencontrer ne peuvent avoir de solution qu’en nous. Notre conscience fait des choix parmi les solutions qui lui sont proposées et ses choix vont conduire vers d'autres carrefours d'orientation desquels les individus choisissent à nouveau leur chemin, et ainsi de suite. Mais parfois, nous ne nous sentons pas suffisamment fort pour prendre seul une décision et certains font appel à la prière. L'aide de Dieu est demandée devant l'angoisse du mauvais choix. Or Dieu n'est pas là pour choisir à notre place, il nous a mis sur terre non pas pour nous éprouver, mais pour que, dans l'extraordinaire labyrinthe de la vie, on sache trouver, in fine, sa Lumière. Ceux qui y arrivent garderont cette lumière, les autres continueront à chercher dans le noir. Quand donc il semble qu'une solution soit trouvée grâce à Dieu, c'est en fait un examen inconscient de sa conscience qui est réalisé, mais on ne veut pas s'avouer que c'est bien soi qui a fait le choix.

Cette prière est faite pour devoir expliquer sa demande avec la plus grande sincérité et le fait de s'adresser au Tout Puissant réclame de la clarté dans l'expression du dilemme. Temps que la clarté n'est pas atteinte, la formulation doit être refaite. Et puis un jour jaillit la solution donnée par notre conscience; mais qu'il est beau, car on veut être reconnaissant, de l'attribuer à Dieu ! En fait  cet examen inconscient de sa conscience fait inconsciemment rechercher Dieu en nous et c'est bien là ce qu’il nous demande de faire.

Les croyants de toutes les confessions font une erreur fondamentale d'interprétation de la prière. La prière est l'instrument qui permet d'éclairer notre moi profond pour le révéler au mieux possible. La révélation du Bien étant faite, c'est la révélation indirecte de Dieu qui transpire donc au travers de cet examen ;… et la lumière fut.


Le savais-tu ?

 

 Quelle est cette tempête qui me conduit vers toi?

Des profondeurs établies tu as jailli de l'onde.

Dans cette obscurité tu m'as donné le cap.

De ta lumière tu m'as éclaboussé.

Désormais détenteur des clés du mystère,

Je te ferai savante des règles de l'amour.

Sur l'océan apaisé ensemble nous voguerons

Et,  portés par la vague du Bien, nous irons prêcher

Que l'amour ici-bas doit être recherché !



La dualité

 

 

 

Leur dernière conversation a été d'une richesse inouïe. Elle a permis à Pascal de lui décrire la notion d'amour qui est désormais la sienne et dans laquelle Mouna s'inscrit particulièrement. Pour la première fois il ne s’est pas imaginé ce qu'il y avait dans le cœur de Mouna, pour la première fois il pouvait, grâce à l’attitude de Mouna, voir son cœur. Elle a exprimé  par cette expression une émotion immense et un trouble certain. Pour la première fois il savait que ses mots ont été pris exactement pour ce qu'ils étaient, c'est-à-dire des mots d'amour. Pour la première fois il a compris que sa sincérité était récompensée de la réflexion de son aimée, elle n'entendait plus simplement des mots, elle les distillait. Il avait attendu longtemps cet état d'émotion, il s'est produit; et il a vu qu’elle était tout près de lui et que cette situation elle ne l'ignorait plus, elle la vivait. La pureté de son cœur ne pouvait la conduire à autre chose et il était sûr qu'un jour viendrait où elle n'entendrait plus seulement mais qu’elle écouterait désormais. Ce jour est venu, il y a un homme merveilleusement heureux sur cette terre, et c'est elle qui l’a mis dans cet état exceptionnel.

Elle lui disait ne pas avoir le temps de réfléchir à eux, mais Pascal savait que, jusqu'alors, elle évitait de se poser réellement la question de leur relation vraie, il y avait bien trop d'interdits pour qu’elle s’y autorise. Et puis il y a eu ce long monologue où il est allé plus loin qu’il n'avait jamais été dans son moi profond pour exprimer le réel de l'état de ses pensées et de ses pensées d'amour. Alors qu’elle le regardait avant cette tirade avec des yeux qui signalaient déjà une grande attention et des sentiments à peine voilés, d'un seul coup sa tête s'est baissée, sa gorge a, de nombreuses fois, avalé sa salive, son esprit faisait confiance aux mots reçus et, l'émotion et le trouble étaient grands surtout quand il lui a parlé des deux amours de sa vie à elle. Pour la première fois sans qu’elle le dise, il savait qu’elle avait concédé que ces  deux amours existaient et qu’elle voulait les faire vivre ensemble. Il la remerciait de la confiance qu’elle lui faisait en lui accordant  son amour.  C'est un geste fort et fondamental de sa vie qui serait générateur de Bien.

Ce jeudi fut donc un jour remarquable qui marquera un basculement de la vie de Pascal. La veille encore, il était sûr d'avoir reçu une lumière qu’il devait comprendre, qu'il lui fallait cultiver. Le lendemain, cette lumière lui a envoyé un nouveau signal indiquant qu'elle-même avait reçu et accepté son message d'Amour. Cette tête baissée écoutant  son discours, puis cette petite phrase a priori anodine : « c'est dur, c'est très dur» étaient les signaux de son acceptation de cet amour dual. Il y a quelques jours encore, elle n'aurait rien dit ou elle aurait rappelé son impossibilité de suivre Pascal. Là, elle prenait la véritable dimension de sa situation : elle était aimée par deux hommes qui lui vouent un amour aussi certain que différent, aussi sincère que complémentaire, et cette petite phrase signifiait qu’elle acceptait finalement cette dualité, même si elle savait qu'il serait dur de concilier ce qu’elle était désormais prête à donner à chacun d’eux.

 

De la pureté qui rencontre une autre pureté ne peut engendrer qu'une situation pleine de pureté, c'est pour cela que Pascal était aussi sûr que ce chemin était le bon, et qu’elle comprendrait  que ce qu’il lui offre est une merveilleuse épreuve humaine dont l'exercice  les rapproche un peu plus du chemin idéal qu’ils doivent trouver sur cette terre.

 

La dualité, elle s'était imposée à Pascal depuis longtemps et il n'en avait plus peur. Toutefois il ne s'était pas posé toutes les questions s'y rattachant, même si les réponses à ces questions ne pouvaient plus mettre en cause la réalité vécue de la dualité qui s'imposait à lui.

Il se disait maintenant orchestré grâce aux deux amours de sa vie qu'il plaçait au même niveau de qualité de ses sentiments. Mais alors, si son amour premier était si bien, comment se faisait-il qu'il eut besoin d'un second pour lui faire comprendre la nécessité de la pureté de l'amour dans les échanges humains ?

Ces réflexions l'avaient conduit à penser que l'amour n'existait que s'il était constructeur des deux amants, lesquels s'enrichissent de ce que l'un donne à l'autre. Le couple ne doit pas être une simple addition, il se doit être à l'origine d'une fusion. Comme deux charges électriques de signe opposé qui s'attirent, l'altérité homme-femme engendre leur attraction qui va conduire, par la constitution d'une communauté d'âmes, d'esprits et de corps, à la diminution du gradient d'imperfection de l'Humanité, et l'enfant pouvant naître de cette communauté incarnera le nouveau point  initial à cette imperfection. Le moteur de la vie humaine est la réduction du gradient d'imperfection de l'Humanité et le pur amour est la valeur fondamentale qui permet de réaliser cette réduction.

 

Comment se faisait-il que cette inspiration à propos du sens de la vie ne lui ait pas été communiquée par son premier amour ? Comment se faisait-il que ce soit une femme, qui ne cherchait pas à gagner son cœur, qui lui avait permis de comprendre qu'il manquait une dimension à sa notion d'amour ? Pourquoi n'avait-il pas puisé dans les dons d'amour de son épouse, la solution de l'existence ?

Au bilan il savait que ce premier amour était bien pur car il lui avait apporté un éclairage de son moi profond qui avait ainsi évolué ; mais cette évolution, aujourd'hui constatée, s'était imposée sans dire son nom. Ce n'est que confronté aux tempêtes de sa conscience produites par la venue de Mouna qu'il réalisait tout le chemin que lui avait fait parcourir son épouse et dont il se félicitait rétroactivement. Sans cette apparition dans sa vie, il n'y eut pas pleinement conscience de ce cheminement et il n'aurait pas aussi entièrement pris conscience que des réponses existentielles doivent être impérativement trouvées. Pourtant il se posait des questions à ce propos, mais il y avait une telle confusion  dans son esprit ! Sans agir directement, Mouna avait été un ordonnateur de ses pensées, obligé qu'il était d'effectuer ce rangement pour répondre à l'attirance de la pureté qu'il avait rencontrée. Cette rencontre avait été signifiante pour lui, elle l'était grâce à ce que Mouna était. C'est pour cela aujourd'hui qu'il voulait avoir du temps pour lui dire tout ce qu'elle est, et le trésor qu'elle représente pour l'Humanité tout entière avec les conséquences engendrées par sa pureté. Il fallait bien que quelqu'un le lui dise ! Pascal voulait être celui-là avec l'amour qui lui remplissait le cœur, et Mouna devait prendre conscience de la réelle nature de ce flot d'amour pour finaliser sa propre acceptation de la dualité d'amour.

Mais de la pureté, son épouse en avait aussi, pourquoi n’en avait-il pas usé, pourquoi celle de Mouna avait été efficace ? Il n’avait pas de réponse et pourtant ce n’avait pas été faute d’interroger sans concession sa conscience. L’amour de Dany avait été sensible à sa sincérité mais elle n’avait peut-être pas été forcée de ressentir toute sa sensibilité. Il n’avait en effet pas eu besoin d’aller piocher en lui davantage, il n’avait pas eu à aller si loin en lui pour recevoir l’amour de son épouse. Et c’est son extraordinaire sensibilité à la pureté de Mouna qui lui révéla sa trouvaille. Il y avait là un mystère que son cartésianisme n’arrivait pas à vaincre totalement. Les raisons profondes des rapports entre homme et femme soulèvent toujours de nombreuses questions et c’est tant mieux qu’elles soient aussi complexes et donc inattendues et fructueuses. Il trouvait d’ailleurs la légitimité de son amour dual dans cette complexité enrichie des avancées fondamentales qu’il avait faites sur sa manière d’aimer, et sur le sens de la vie et donc du divin.

 

Leçon

 

 Tes professeurs t’avaient pourtant bien dit

Que mariée tu n’aurais plus de sentiments avoués.

Et qu’il fallait lutter pour ne point faire penser

Que ton cœur vivait, mais ne devait être trahi.

 

Ecouter, mais ne pas entendre le messager douteux.

Ne rien dire qui puisse entretenir l’espoir.

Repousser tous les assauts fougueux.

Et exorciser les mauvaises pensées dans la prière du soir.

 

Placée ainsi dans cette culpabilité

Obéissant par atavisme respectueux

Mais oubliant que tu as un cœur pour aimer;

Dans le marbre figé tu te refuses l’aveu.

 

Savaient-ils seulement d’où l’amour perlerait

Pour transformer le désert en une verte oasis ?

Au coin d’un œil que furtivement elles mouillaient

Sorties des larmes d’un cœur qu’elles trahissent.

 

Plus qu’un long discours tu m’as ainsi dit m’aimer.

La force du pur amour l’un vers l’autre nous conduit,

Et en dépit des instructeurs, ton cœur s’est épanché.

La Vérité doit être révélée pour que l’Amour ne fuit.

 

Amour et interdit

 

 

 

Cela faisait de longues semaines qu'ils ne se voyaient guère. Ils communiquaient davantage par téléphone ou par courriel que lors de rencontres. Cette séparation en pointillé venait même d'être totale. Elle était partie quelques jours pour se reposer après l'épreuve de la  finalisation de son mémoire. Toute cette période fut très difficile pour Pascal qui supportait mal cette situation qui ne lui permettait pas de lui dire son amour. Enfin de retour, Pascal espérait que quelque chose aurait changé et que le mutisme dans lequel elle se protégeait allait voler en éclats. Il n'en fut rien. Il lui avait donné des textes fondateurs de sa pensée et de sa pensée d'amour afin qu'elle médite maintenant qu'elle en avait le temps. Au contraire ses premiers mots avaient été de lui rappeler qu'elle n'était pas prête. La formulation  était habile, elle n'était pas prête aujourd'hui et elle laissait planer le doute pour l'avenir. Pascal savait bien de quoi cet avenir serait fait ! En dépit de la force de son amour, il ne pouvait pas lutter contre l'éducation qu'elle avait reçue et qui l'empêchait même de lire ses écrits avec une indépendance d'esprit qui n'aurait pas manqué de la mettre en porte-à-faux. Il ne fallait surtout pas qu'elle prenne le risque de désirer comprendre la finalité de ses textes. La moindre  fissure de la carapace et elle aurait sombré dans ce qu'elle pense être le Mal. Il ne fallait surtout pas qu'elle essaie de le suivre dans ses raisonnements, elle deviendrait vulnérable. Elle ne se rendait pas compte qu'elle ne vivait pas totalement sa vie et avait certainement honte des sentiments qui parfois s'installaient sournoisement dans son cœur. La force de l'homme est de pouvoir faire évoluer ses pensées. La force de sa religion était de l'avoir placée sur une orbite inéluctable qui ne peut être remise en cause ni même méditée. À trop laisser aller la pensée, risque que le doute s'installe, et après rien n'est plus contrôlable. Il faut donc dès le début, faire peur, faire douter; la réflexion sur la vie n'est pas permise et seules les Ecritures donnent la voie à suivre;  en conséquence rien ne sert de se remettre en cause au risque de se faire rattraper rapidement par le Mal. La notion du Bien par l'amour que Pascal prônait, elle pouvait la comprendre intellectuellement uniquement mais surtout elle ne devait pas l'admettre après réflexion. C'était impie voilà tout ! La vie l'avait conduite vers une personne qu'elle s'était choisie, elle s'était engagée pour elle et par définition elle ne pouvait plus donner à personne d'autre, fût-il détenteur d’un pur amour. La rigueur est une vertu de l'Islam, elle ne pouvait faire mieux !

Pourtant tout ceci n'était qu'une façade parfaitement campée qui ne devait jamais laisser voir l'intérieur de l'édifice. Mais Dieu a donné de la sensibilité aux Hommes, elle n'en était pas dépourvue au-delà de cette façade. Tandis que Pascal était parti dans une longue tirade sur la sincérité, ses yeux se mouillèrent de larmes qu'elle voulut vite effacer. Mais elles avaient bel et bien été versées même si elle ne voulait pas communiquer sur le sujet, il fallait rester pudique….. Il y avait deux origines possibles à ce débordement lacrymal. Ou bien les manifestations amoureuses de Pascal étaient tellement empreintes du Mal, que de les avoir reçues était déjà une faute grave. N'y avait-il pas là un viol de sa personne qui pouvait lui tirer des larmes ? À moins qu'un conflit interne, bien caché jusqu'à présent, manifeste aujourd'hui l'absurdité d'une situation qui lui apporte un amour qu'elle n'avait pas encore connu sous cet aspect et qui était authentiquement identifié comme de l'amour, tandis  que l'intransigeance de sa culture empêchait son cœur de dire ses sentiments.

En fait il n'y a aucune raison pour que l'une de ces hypothèses soit vraie et l'autre fausse. Ces larmes pudiquement versées prenaient certainement leur source dans chacune des raisons.

Pascal ne voyait pas un viol de la conscience de Mouna par ses manifestations amoureuses fussent-elle viriles. Il n'y voyait que le désir de lui ouvrir les yeux sur une autre manière d'être consciente. Ces larmes étaient, pour lui, la manifestation d'une absurdité paralysante de conscience et le constat de l'immensité du vide auquel conduisent des interdits rigides.

La fureur de Pascal envers les religions enflait chaque jour en voyant tant d’amour gaspillé. Pourtant, elles en parlaient de l'amour, mais toujours au travers d'un code social. Une donation doit-elle être codifiée ? Avant de donner, je vérifie que je peux le faire ! "Dommage, j'en ai bien envie, mais je n'ai plus le droit de donner". Et dire que ce sont des religions qui font parler ainsi, quelle tristesse, quelle hypocrisie, quelle imposture!

 

Pour se structurer, toute société doit élaborer des règles  de vie commune qui sont à la base de la cohésion du groupe. Les sociétés civiles, inspirées il est vrai des sociétés religieuses, ont émis des lois fondamentales en ce sens dont les interdits font partie.

 

La famille a constitué longtemps et constitue heureusement encore une brique élémentaire de la construction des sociétés avec des rôles pour chacun de ses membres. La religion chrétienne pour mieux faire la liaison avec les Hommes, parle même de Dieu le père et de Jésus le fils. Ce que les musulmans  réfutent, avec il faut le reconnaître justesse, car il ne faut pas donner au divin une dimension humaine au risque de confusion. Cette notion fondamentale de famille qui se veut être un exemple était-ce judicieux de la présenter ainsi ? Dieu  s’autoriserait-il un droit d’ingérence sur l’Humanité au point de nous envoyer de temps à autre des messagers ? De la liberté de l’humanité voulue par Dieu naît des difficultés qu’il convient de corriger. Non pas un élu, mais un clairvoyant peut venir éclairer parfois notre route et il n’est pas nécessaire de le faire naître par volonté divine dans le sein d’une vierge éternelle, comme le conteste d’ailleurs certains chrétiens eux-mêmes. Pourquoi ce besoin d’histoire romanesque pour faire adhérer le mécréant ? L’image est ainsi brouillée au point de donner des arguments à ceux qui ne sont pas enclin à croire et l’image familiale peut être, elle-même, fragilisée par le mythe.

 

La solidité d'un édifice dépend en partie de la solidité de ses unités élémentaires le constituant, il faut donc que la famille soit soudée au point de ne pas porter en elle un germe de fragilité pour la société. À un mari une épouse qui donnent ensemble une éducation unique à leurs enfants. Et si pour l'Islam la polygamie est acceptée uniquement pour les hommes, c'est vraisemblablement parce que cela était au départ le meilleur moyen de générer plus d'enfants et de rapidement créer une masse critique évitant l'évanouissement de cette nouvelle religion. À la fois comme exemple à suivre pour les enfants et pour une structuration plus forte de la brique élémentaire, la fidélité entre les époux est donc un impératif indiscutable; l'adultère étant châtié lourdement dans toutes les religions. Les lois de l'amour sont donc dictées afin de structurer la société, les individus devant s'y conformer.

 

Mais l'amour, est une relation particulière entre des personnes et sa finalité est l'échange de dons entre ces personnes. Si interdit il y a, alors il y a annulation  a priori de tout acte de communication entre des êtres dès lors qu'ils seraient déjà engagés dans une structure. Mais l'amour est le comblement d'une altérité, il n'est pas là pour structurer.

 

Pascal avait fait éclater cette bulle transparente d'interdit dans laquelle il était et cherchait par tous les moyens à faire éclater celle dans laquelle Mouna était enfermée. Grâce à la transparence de la bulle ils se voyaient mais leurs voix exprimant leurs désirs rebondissaient sur la carapace sans parvenir à l'autre. Pascal ne comprenait pas que l'institution puisse se permettre d'échafauder de telles barrières dont le simple but est de se pérenniser elle-même au détriment de la volonté d’aimer que deux êtres peuvent avoir. Comment le Bien recherché par eux pouvait-il ne pas être prioritaire devant ces écrans frileux mais si efficaces ? Pourquoi Pascal ne pourrait-il pas dire à Mouna toute son admiration pour elle ? Pourquoi Pascal ne pourrait-il pas mettre en oeuvre tout ce qu'il peut pour trouver du Bien pour elle? Au nom de quelles valeurs fondamentales ne pourrait-il pas lui avouer son pur amour et désirer un échange de sentiments nés de ce pur amour ? Qui pourrait interdire à son cœur de ressentir l’envie de donner de l’amour ?

 

Bien sûr que l'interdit est aussi là pour éviter les faux amours, mais prenons garde à ce qu'il ne soit pris au pied de la lettre et que la généralisation de son application ne fasse mourir de vrais amours, ce qui  appauvrirait d'autant l'Humanité tout entière.

 

Puisque l'amour est la faculté de pouvoir donner et aussi de savoir recevoir l'autre, cette donation et  cette réception sont en dehors du temps, de l'espace et indépendantes de l'environnement dans lequel on se trouve. Il n'y a pas plus d'âge requis pour aimer, que de  lieu pour cela, et rien ne doit entraver l'élan qui pousse l'un vers l'autre ceux qui se désirent purement. Bien entendu que l'humanité progresse par cette volonté d'amour car chaque amant se sent pousser par le désir d'apporter du mieux à l'autre pour lui prouver qu'il a bien reconnu quelque chose de spécifique de lui. Cette progression vaut bien toutes les structures sociétales imaginées par l'homme pour organiser la vie du groupe. La lumière que chacun diffuse et qui est recueillie par le cœur de l'autre après la traversée de tous ses filtres, doit être accueillie comme une chance, puis renvoyée vers son émetteur avec une intensité redoublée qui ne doit jamais être atténuée par des conventions d'ordre organisationnel. L'amour est un sentiment, c'est un éther particulier dont les seules lois sont celles de donner du Bien à l'autre. En quoi un sentiment aussi purement ressenti serait la raison d'un interdit ! L'altérité Homme -Femme contient en elle le besoin d'amour  dès lors qu'une harmonieuse différence les pousse à l'union.

L'amour est authentiquement naturel et son accomplissement n'est rien d'autre que l'enrichissement de ceux qui échangent cet amour.


Mon Amour….

 

 

 

Mon amour, mon amour, mon amour... Pascal ne cessait de lui répéter ces mots qu'il prononçait selon diverses intonations. Du murmure dans l'oreille au presque cri  les bras écartés attendant vainement qu'elle vienne se blottir contre lui. Il voulait qu'elle entende la poésie de son amour. Il semblait parfois qu'elle ne l'entendait pas, elle semblait rester hermétique à ce mot qui devait plutôt lui faire peur. Mais parfois, un sourire illuminait ses lèvres et son regard devenait complice, ce moment était délicieux. Pascal profitait alors de cette conjoncture  favorable pour en rajouter un peu, il prononçait ce terme en voulant l’interpeller: "mon amour ?" et là elle lui laissait tomber un petit "oui" timide qui lui avouait qu'elle se reconnaissait comme étant bel et bien un amour pour lui. C'était son don suprême; voilà dix mois maintenant qu’il lui avait dit son amour, mais elle n'en donnait pas plus; cette attitude était encourageante, elle lui concevait être bien son amour même si elle voulait rester encore aveugle sur les conséquences de celui-ci.

 

Le premier  des deux mots gênait beaucoup Pascal, cet adjectif possessif ne lui convenait pas. Elle n'était pas sa possession et il ne voulait pas qu'il soit en sa possession. Il se sentait seulement dépositaire de sentiments amoureux à son égard et il cherchait à lui apporter quelque chose qu'elle n'avait pas encore reçue. Sa notion  de pur amour ne semblant pas être familière pour tout le monde, il voulait donc  que Mouna s'en empare pour accéder à un sentiment d'existence particulière: l'existence  par le don de soi à quelqu'un qui sait le recevoir. Être n'est pas suffisant pour exister, il faut être capable de se transcender. L'amour offre la possibilité de cette transcendance. Pascal sentait en lui cette transcendance et il eût voulu qu'elle en soit également imprégnée. Mais sa volonté dans la réussite de ses objectifs était si forte qu'elle pensait pouvoir à elle seule, être capable de les remplir sans qu'il soit besoin d'une quelconque aide, fût-elle celle de l'amour. Ce n'était pas de l'orgueil, c'était une mission, c'était samission, et la réussite de celle-ci ne lui apportait aucune vanité. Certes satisfaite du résultat mais jamais revendicatrice  d'une nouvelle position due à cette réussite. Il aimait ce détachement qu'elle avait vis-à-vis des actes qu'elle faisait naturellement. Il ne faut jamais agir pour se faire valoir, il faut agir pour participer à l'action humaine voilà tout, et il se retrouvait bien là en elle. Il voulait qu'ensemble ils en fassent le constat  pour sentir davantage cette union qui s'était créée presque à leur insu, en découlant simplement de leur personnalité.


Me donner à toi….

 

 

 

A la lumière de l’aube, tes charmes dévoilés,

Admirant ta beauté faiblement éclairée,

Je guetterai ce sourire que tu me donnerais

En guise de bonjour et d’accueil en ton cœur.

Ebloui de la lumière par tes yeux distillée,

Mille bulles en ma tête me feraient tout léger

Pour venir sur ton corps doucement m’appuyer,

Et me donner à toi par des signes de bonheur.

 

 

 

 


Bilan

 

 

 

L’année se terminait, s’était une année riche. Elle avait apporté à Pascal la plénitude de sa vie. Après le labourage de sa conscience, le sens des actes de la vie avait germé et s’était développé en lui. La lumière nécessaire à ce développement lui avait été apportée par Mouna et une irrésistible puissance se dégageait désormais de ses pensées.

Avant cette rencontre il avait connu du bonheur et de grandes tristesses aussi. La naissance de ses enfants, sa fabuleuse histoire d’amour avec son épouse actuelle, mais aussi le chagrin à cause de ses enfants séparés de lui un temps, avait été son lot. Mais maintenant grâce à cette lumière récemment reçue il avait atteint une dimension particulière qui lui faisait toucher du doigt la transcendance de la vie.

Il était devenu capable d’aimer sans renier ; il pouvait apporter aux deux femmes qui comptaient dans sa vie, un amour aussi personnel que fort et sincère. La réussite dans cette dualité d’amour lui était apportée par la lumière dernièrement reçue, celle de Mouna, et Dany son épouse profitait sans le savoir de ce nouvel état de cœur.

 

L’exemple le plus expressif de cette force qu’il puisait dans l’amour, avait été l’épisode suivant la soutenance de la thèse de Mouna. Il avait réussi un discours d’une ambivalence osée qui ne parlait que de l’amour que lui inspirait Mouna, cela devant un public qui ne comprenait que la partie émergée des mots. Il cherchait un exemple de cette force qu’il pensait tirer de son amour, cette occasion en avait été une démonstration.

 

Pas un mot, pas un geste, pas un regard, le mutisme de Mouna a certainement dépassé toutes ses espérances de ne rien faire apparaître de ses sentiments inavouables. Personne n’a décelé l’indice qui l’aurait trahie, mais tout le monde a pu ressentir l’humiliation à laquelle Pascal s’était exposé. Devant tous il avait imploré son pardon pour les erreurs commises, devant tous elle n’y avait pas répondu donnant ainsi par son silence un refus public de pardonner. Ils auront tous compris que ses efforts étaient vains devant une rancune nourrie par de justes raisons.

 

Au nez et à la barbe de tous, l’amour qu’elle lui inspire lui a donné la force de trouver à lui dire publiquement « je t’aime » sans même que quiconque ne s’en rende compte. C’était une audace et aussi un défi qu’il s’était lancé pour savoir à quel point pouvait être efficace cette force. La démonstration en avait été faite et il était encore plus conscient de cette certitude d’amour.

 

Pour elle, prisonnière dans sa prison d’esprit, malgré son cœur, aucun mot n’a pu sortir de sa bouche, aucun mot n’a pu sortir de son cœur. Les contraintes qu’elle s’imposait lui ont cousu les lèvres et l’ont fait apparaître résistante devant l’inadmissible adversité qu’il lui avait demandé de pardonner. Il était, plus que jamais, décidé de lutter pour la libérer et de lui faire voir qu’il est si beau d’aimer.

Son prochain conte allégorique pourrait s’appeler : « l’Etoile et la poussière ». Lui, l’insignifiante poussière amoureuse d’une inaccessible étoile. Lui, ce grain de sable qui vient déjouer l’ordre établi des choses, qui vient déranger les idées reçues, qui vient troubler les consciences et que l’on a honte de fréquenter, il l’aime. Lui, ce grain de sable placé sur l’autoroute pré tracée de sa vie, il vient, de manière inattendue, changer le décor, et oblige la conductrice à l’improvisation, à la réaction, à la décision du choix de la nouvelle trajectoire.

 

Ce papier est désormais mouillé des larmes de ses mots. Rien, hormis la présence de Mouna, ne pouvait arrêter ce chagrin.

S’il ne connaissait pas sa situation, il pourrait lui en vouloir, mais non, il choisissait de la sauver de sa prison afin qu’elle ressente dans son cœur tout son amour et qu’elle soit heureuse d’avoir choisi de donner à son tour.

S’il n’avait pas vu le trouble de son âme et les millions d’étoiles qui brillaient dans ses yeux, quand il lui avait dit : « je t’aime », aurait-il pu le lui redire? S’il se l’était permis puis l’avait redit des milliers de fois, c’est qu’à chaque fois renouvelée, la confiance qu’elle avait en cet aveu lui était inspirée par son être profond; la voix muette de Mouna le disait à Pascal.

 


Démonstration

 

 

 

Comment être sûr que Mouna  comprenait le pur amour ? Pascal s’en inquiétait et il entreprit de lui faire une démonstration. L'amour ne se démontre peut-être pas, mais le pur amour doit être justifié pour qu'il puisse être identifié en temps que tel.

 

- Mouna, mon amour, je voudrais te démontrer que l’amour que je dis avoir pour toi n'est pas un amour de convenance personnelle et que tu dois avoir confiance en lui.

Bon, considérons deux êtres que je vais nommer P et M. Pour des raisons diverses P nourrit des sentiments qui  un jour lui font dire « je t’aime » à M.

Que se passe-t-il  alors ? Dans le meilleur des cas M reçoit le message, celui-ci pénètre en son coeur, qui à son tour envoie un message d'amour que P reçoit donc. Rien ne peut indiquer s’il s’agit d'un pur amour car P  heureux de ce retour va entretenir le « système » en renvoyant un autre message ce qui le mettra dans un état de bonheur. P n’attendait-il pas simplement ce message pour ressentir une satisfaction  personnelle ? Et l'amour peut ainsi continuer à être échangé, avec pour chacun un sentiment d’amour. Certains penseront que c’est là l’essentiel !

Mais le message initial d'amour peut recevoir un autre sort. P émet le message et il ne reçoit rien en retour. Des essais multiples restent infructueux. P peut rester sur ce constat : M peut se passer de cet amour ! Lui ne recevant rien  il n’arrive plus à entretenir le sentiment et il abdique. Ou bien P se pose des questions à propos de ce non-retour. Il y a en effet deux hypothèses qui peuvent expliquer cela. Si un filtre d’entrée a été posé sur M, le message ne peut  pas l’atteindre, M ne peut donc répondre et ne répondra jamais. Maintenant posons plutôt un filtre de sortie sur M. Le message a pénétré le cœur de M qui réagit mais l’onde est arrêtée en sortie ; P à nouveau n’a pas de retour.

Le pur amour c’est alors pour P de continuer à envoyer des messages d’amour à M dans l’espoir que ce ne soit qu’un filtre de sortie qui lui avait été posé. Car cet amour elle le reçoit alors, elle en dispose pour son bien-être, même si elle ne peut l’afficher. P n’a pas de retour certes, mais il donne à M de l’amour qui lui fait du Bien et donc il continue, malgré ce non-retour, à manifester la tendresse issue de son amour. Il s’agit bien de pur amour car P n’attend pas d’être payé de retour, il donne voilà tout.

 

Tu vois Mouna, dans le premier cas, qui paraissait idéal, seul le temps aurait permis de savoir s’il s’agissait d’un pur amour.

 

Moi je crois au filtre de sortie, je perçois le contentement de ton cœur et je continue à te donner mon amour, je sais qu’il n’est pas perdu. Bien sûr que je serai rassuré si tu me disais « je t’aime moi aussi », rassuré que tu reçois tout mon message, et pas seulement rassuré de pouvoir recueillir l’amour que tu m’enverrais.

 

Aimer, ce n’est pas rechercher sa propre preuve d’existence, c’est montrer à l’autre qu’il existe, et de façon vitale pour soi. L’Humanité ne se définit pas par l’ensemble des femmes et des hommes vivant sur terre, mais par cet ensemble enrichi des relations qui existent entres ses membres. C’est pour cela que l’Amour, le pur, est une valeur fondamentale pour l’Humanité. 

 


La fin d’un monde…

 

 

 

Les débuts d'année sont toujours l'occasion de vœux et de bonnes résolutions. Pascal avait en lui un pressentiment, il redoutait ce qui l'attendait. Il avait fait en sorte pour que Mouna puissent travailler avec lui encore quelques temps supplémentaires, mais il pensait que ce début d'année serait prétexte à mettre les choses au point, et évidemment pas comme il l'aurait souhaité. Il avait peur de la voir renoncer à ce temps si elle ne lui coupait pas son élan amoureux, de peur de ne pas pouvoir ou savoir le contenir ensuite.

Alors que préludant une réunion de travail qu'ils avaient ensemble par un rappel de son amour et du sens qu'il voulait lui donner, la phrase tomba brutalement :

 

 - Moi, je ne peux rien te donner, ma culture et ma religion me l'interdisent et ce serait une trahison de mon mari, je ne peux rien te donner.

 

Son visage était autant fermé qu'il avait pu être rayonnant dans d'autres circonstances. Précédemment elle laissait toujours une porte ouverte mais là, c'était péremptoire et donc sans appel. Il n'osait pas pleurer, il ne voulait pas qu'elle pense qu'il cherchait à l'influencer, mais ses larmes remplissaient tout son cœur et sa respiration était difficile. Malgré ses dires antérieurs, elle refusait dorénavant catégoriquement la dualité d'amour, elle se disait en être incapable, c'était bien au-dessus des forces de toute musulmane croyante. Elle avouait même qu'elle ne voulait pas se poser de questions sur ce problème, qu'elle était seulement tenue au respect de sa ligne de conduite. C'est bien ce qu'il craignait : la force de la religion ! Rien ne pouvait y faire, désormais elle était résolue à ne pas se laisser entraîner sur ces chemins interdits. Elle était troublée mais résiliente et résolue. Tout le flot des mots qu'il lui avait écrits n'avait donc servi à rien pour elle.

 

Le cœur de Pascal était entièrement à l'ombre désormais, rien ne semblait pouvoir l'en sortir. Il n'était pas sûr qu'elle comprenne ce mal qui le rongeait maintenant, elle n’avait peut-être pas pris toute la réelle dimension de l'amour dont il parlait.

 

Mais pourquoi donc n'avait-elle pas été aussi péremptoire dès le départ puisque rien ne pouvait la  faire changer d’avis ? Pascal avait-il commis une erreur ?

En tout état de cause, tout s’effondrait autour de lui; tout n'avait donc été qu'illusion ? Non, pas pour lui, car cet effondrement montre bien qu'il avait fini de construire sa conscience à partir d'elle et qu'il voulait désormais partager avec elle; mais dès lors qu'elle refusait de partager, le monde s'écroulait sous ses pieds. Lui, le battant, était paralysé par l'annonce, comme un père à qui on vient d'apprendre le décès de son enfant. Il était en deuil de cet amour mort-né et rien ne pouvait le consoler de voir qu'au nom d'une religion, un amour avait été vaincu.

 

Trop de couples se trompent en se disant : « Je t’aime ». En fait, l’amour qu'ils disent avoir pour l'autre, c'est leur amour-propre qu'ils recherchent. Dans l’altérité homme - femme, ils puisent juste  l'assouvissement de leur libido.  Ils se complaisent simplement dans la situation d'un être qui a attiré l'attention d'un autre. « Tu me plais », « je te désire », « tu me fais du bien » sont les expressions qui montrent qu’avant tout, il est recherché dans l'amour une satisfaction personnelle. L'état d'amour suffit alors pour être comblé. On conçoit dès lors que le divorce des cœurs peut être rapidement atteint et que seuls les interdits ralentissaient  tous les divorces de corps que l'on compte aujourd'hui.

Mais, l'amour de Pascal, le pur amour dont il se référait, n’était nullement celui-là. C'est l'autre qu'il fallait chercher à aimer. Avant tout, c’est l’autre que l'on doit vouloir enrichir de son amour. La satisfaction que l'on peut puiser dans cet acte ne peut être que la satisfaction d'avoir permis à l'autre de se sentir plus serein, plus fort, plus joyeux, plus heureux, plus fier d’être l'objet d'attention. Alors, l’amour a un sens et est un acte spécifiquement humain. Il peut, il doit être alors un don total sans calcul, c'est pour cela que Pascal disait vouloir se donner corps et âme à Mouna. La  partie mécanique de l'acte d'amour, la sexualité, ne peut à elle seule être un acte d'amour contrairement à l'expression utilisée : faire l’amour. C'est dans le premier sourire du réveil matinal au crépuscule d'une nuit partagée, que l'on peut se rendre compte de la force de ce que l'on a pu partager, de la perception par l'autre de l'amour donné. L'amour est dans la volonté du partage quel que soit le temps ou le lieu. Y avait-il là  une trahison fomentée ? Il eût fallu que Mouna veuille bien s'autoriser une réflexion sur le sujet pour réaliser la vraie dimension de l'esprit d'amour de Pascal. Mais elle se refusait à cette analyse qui lui aurait sûrement fait perdre le contrôle de la situation. Elle ne voyait donc que trahison et adultère  de recevoir l'amour de Pascal. Pourtant il n'y avait qu'un acte gratuit et sincère qu'il fallait vivre résolument sans l’idée de vouloir nuire à quiconque.

Bien sûr qu'il s'agissait avant tout d'un choc culturel. D'un côté la conscience fondée primordialement sur l'obéissance, de l'autre la conscience dans la liberté d'esprit sans que cela ne soit du libertinage. La conséquence première était que l'amour ne pouvait s'exercer transculturellement sans être contrôlé par les fourches caudines de la religion. La force de l'amour que Pascal avait  trouvée n’existait pas pour Mouna faute  de pouvoir émerger à cause des interdits préalables. L’amour que Pascal nourrissait pour Mouna aurait voulu lui faire saisir que la manière de penser au travers d'une culture pouvait être réfléchie et infléchie sans pour cela que la conscience universelle ne puisse être trahie. Mais que pouvait être la conscience universelle pour Mouna qui, comme l'autruche avec la tête cachée dans le sable, ne voulait surtout pas risquer de déraper de ses convictions religieuses, et donc ne souhaitait pas se poser la question. La fête du mouton venait tout juste de se terminer, on voit pourquoi cet animal est si important dans l'Islam, il symbolise le peuple des musulmans marchant de concert dans l'unique soumission à Dieu. Mais le peuple chrétien n'est pas en reste, il parle aussi de brebis ! Les  religions engendrent et veulent le suivisme, en se trompant certainement sur la finalité divine de l'existence.

Pourquoi un tel excès d'intégrisme à un moment où du vrai bonheur aurait pu être partagé ? C'était simplement le reflet de la frilosité pour tout ce qui n'est pas sûr de plaire à Dieu.  C'est aussi penser qu’une faute au regard de la religion ne peut entraîner que des situations catastrophiques pour le restant de l'existence. Forcément, accepter de recevoir l'amour de Pascal et avoir la vision d'une tromperie ne pouvaient lui faire entrevoir que le spectre d'une rupture avec son mari, et elle ne voulait pas gâcher sa vie, comme elle disait, par un dérapage. Placée dans une autre logique de conscience cette aventure frivole ici, s'appellerait pur amour là, et il n'y aurait rien à y redire ; tout dépendait si la finalité  désirée se voulait être la frivolité ou bien si l'intention  se voulait digne et constructive. Pourtant il s'agit bien du même acte qui serait perçu comme trahison pour un état de conscience donné et partage dans un autre. N'y avait-il pas là réflexion pour le moins ? Il eût fallu qu’elle s’y résolve !

 

Maintenant qu'elle avait débarrassé son esprit de l'encombrante  présence de Pascal, elle était libérée, mais était-elle heureuse ? Elle ne pouvait qu'avoir réprimé son cœur pour qu'une si rapide évolution ait lieu ; qu’en disait-il, lui ? Heureuse, elle devait l’être de ne plus être tentée, d'être sûr que son mari n’aurait jamais à lui  reprocher son attitude. Mais auparavant, son cœur n’avait-il pas dit, par instant, le contentement de ce qu'il s'était permis de recevoir ? Il était maintenant écrasé par l'esprit, et l'assurance retrouvée de l'obéissance avait une dimension extraordinaire devant les jérémiades vite calmées de ce cœur. À l'inverse de Pascal, sa culture l’avait faite esprit, irrémédiablement. Les tentatives de Pascal étaient désespérées, elles n'avaient aucune chance de réussite. Pourtant Pascal avait ressenti les soubresauts de ce cœur réprimé en permanence. Pascal ne pouvait concevoir les conséquences traumatisantes d'une culture inhibitrice. Mouna venait de croiser l'occasion rare de se forger une conscience alors qu’elle subissait celle qui était conçue pour être le lot de toutes bonnes musulmanes; c'est surtout cela qui  rendait Pascal profondément malheureux. Il avait échoué lamentablement, elle ne faisait même pas le constat qu'elle avait bien reçu quelque chose, tellement elle avait peur. Elle récusait même l'allégorie du petit poisson parfaitement heureux dans sa prison de verre. Elle ne s'était pas rendue compte que, au fond de l'océan, le petit poisson aurait pu s'échapper par l'ouverture naturelle du bocal. Elle faisait comme si elle ne l’avait pas vue et soutenait qu'elle était parfaitement heureuse ainsi. Pourtant c’est exactement comme le petit poisson qui ne connaît que son aquarium et s'en contente, quand bien même il a l'opportunité de s’en échapper pour se réaliser totalement et le moment venu se présenter à Dieu en ayant agi dans l'amour, c’est à  dire dans le don de soi à un être choisi.

 

Profondément meurtri par cet échec de l'amour,  il n’en voulait pas à Mouna tant son amour était vrai, mais il ne supportait plus la violence passive dont étaient productrices les religions. L'islam par son intransigeance  radicale et son puissant pouvoir d’intimidation maintient dans la soumission la femme musulmane. La femme voilée n’est qu’en fait qu'une femme violée par sa religion qui force impunément l'intimité de son cœur dans des conditions insoutenables pour la liberté de conscience humaine. Bien sûr que l’Islam ne se résumait pas à cela, mais Pascal ne pouvait accepter qu’il y ait aussi cela, non pas parce que ses désirs étaient entravés, mais que cela empêchait Mouna de laisser vivre son cœur et ainsi qu’elle ne pouvait s’accomplir davantage dans un autre don d’elle-même. Une partie de sa vie était amputée de ce qu’elle aurait pu être et l’occasion d’aiguiser sa conscience n’était pas autorisée. Bien sûr qu’il faut donner un sens à l’existence de l’Humanité mais ce sens ne doit pas se retourner contre les Hommes. S’il devait en être ainsi, Dieu ne donnerait pas le vrai sens du mot amour, et cela est impossible !

 

À la douceur avait succédé l'âpreté, à la complicité l'adversité, à la pudeur la rigueur, au sourire un regard froid. Il semblait à Pascal qu'elle voulait décourager son amour en lui faisant voir une autre Mouna, la vraie selon elle, celle qui libérée de son angoisse professionnelle avait fait le point sur sa relation avec lui. Bien sûr que pour  lui, il ne pouvait s'agir là que d'une posture pour respecter un rappel à l'ordre à propos de son attitude envers lui. A moins donc que l'esprit ait repris en main la situation sur le cœur; mais le résultat était là, elle ne voulait plus se montrer la même, elle ne voulait plus lui entendre dire son amour. Le cœur de Pascal était broyé. Il avait cru que l'amour allait réussir à vaincre, que la musulmane et le chrétien allaient pouvoir s'aimer en dépit de ce que le Coran interdit. Ils étaient passés si près de cet état idéal ! Ce monde imaginé s'écroulait sous ses pieds et Pascal perdait prise. Il ne pouvait admettre cet assassinat de l'amour. Il ne pouvait pas admettre cette soumission du cœur à l'esprit. Il ne pouvait admettre que le libre arbitre soit banni par certaines cultures. Il ne pouvait pas admettre que la religion puisse interdire à ses disciples de se poser toutes les questions que l'Homme  rencontre au hasard de sa vie. Il ne pouvait admettre tant d'inhibition pour réaliser cet impératif de soumission. Il ne pouvait admettre que des créatures, ne puissent réaliser leur vie en ne se réalisant pas elles-mêmes, et qu'elles ne soient que des obéissantes, et finalement que de simples figurants dans l’extraordinaire théâtre de l’humanité. Haro donc sur les religions déshumanisantes puisque retirant à l'Homme la liberté donnée par Dieu.

Qu'allait-il devenir maintenant ? Il avait, moyennant un effort colossal, réussi à se faire un cœur dual, mais maintenant une partie venait de lui en être arrachée; il en ressentait  une véritable douleur cardiaque. Il lui semblait que ce cœur, grossit de cet amour, allait maintenant imploser suite à cette impossible nouvelle. L'ordre neuronal qui s'était imposé à lui en recherchant l'amour de Mouna lui semblait être désormais un brouillard dans lequel il se perdait. La lumière venait de s'éteindre. L'aiguille de la boussole s'affolait comme aux pôles. Son Atlantide sombrait dans des flots religieux hostiles. Mouna et l’amour qu’elle portait avec elle, s’enfuyaient. Où donc en était la force de son amour ? Elle se retournait contre lui en le convainquant de respecter la volonté de Mouna pour qu’elle ne nourrisse ni inquiétude, ni angoisse, ni peur pour son avenir. Il abdiquait donc. Il voulait un amour pur, il le resterait jusqu’au bout, même s’il n’avait jamais été réellement consommé. Peut-être que par-là il lui semblait que Mouna, avec la manifestation en négatif de ce pur amour, en serait davantage touchée.

 

Désirant finaliser le texte d'une publication, ils s'étaient assis du même côté d'une table dans le bureau de Pascal. Contrairement à l'habitude un large espace avait été laissé entre eux par Pascal. Jusqu'à présent, dans de telles circonstances, leurs chaises se touchaient pour que de temps à autre ils puissent avoir un contact physique entre eux. Pascal voulait lui transmettre par de petits gestes toute la tendresse qu'elle lui inspirait. Mais désormais, Mouna refusait ces manifestations, et Pascal  laissa donc délibérément un espace entre eux pour ne pas être tenté de lui donner ce peu de chaleur.

Alors qu’ils venaient de se mettre d'accord sur les dernières corrections, Pascal lança :

 

- Il y a une dernière modification que je voudrais que tu fasses, sur la première page, tu vas maintenant rayer mon nom.

 

- Mais….

 

- Il n'y a pas de mais, nous devons revenir à l'honnêteté sur la propriété intellectuelle de ce travail. N'ayant pas eu d'influence majeure sur lui, je ne dois pas apparaître en tant qu'auteur, voilà tout.

 

- Mais…..

 

- Si j'ai accepté pour le dernier papier, cela avait pour moi une signification. Je désirais qu'une fois nos deux noms soient associés en mémoire de cet amour que j’ai essayé de te donner. Comme les corps de deux amants, je voulais que nos noms soient côte à côte sur une publication. Même si tu ne voulais pas l’appeler ainsi, cela était de l'amour et il restera gravé ainsi sous le titre d’un article scientifique. Pour mieux t’expliquer, au point où nous en sommes, je vais te faire une analyse psychologique du déroulement de ta thèse.

Pour des raisons variées et objectives durant les deux tiers de sa durée, tu as accumulé une angoisse, une peur qui t’ont conduit à une quasi-dépression. Quand, à la lumière des sentiments qui s’étaient développés dans mon cœur, je t'ai écouté et j'ai choisi de t'entendre ; j’ai perçu une personne, qui, entrée dans le noir d’une nuit sans fin, n’était pas  prête de retrouver la lumière. Tout était prétexte à être noir, tout était noir et quel que soit le début de la conversation que nous avions, elle virait toujours au noir de la dépression. Tu étais aspiré dans cette spirale infernale qui allait te conduire nulle part. Malgré ton courage, ta volonté, ton énergie ne te faisait que tourner en rond. L’échec était inéluctable car malgré tes qualités intellectuelles et ton esprit, ta dépression  était si forte que tes chances de succès étaient infimes. C'est à ce moment que j'ai compris que les sentiments qui avaient germé en moi devaient être exploités pour t’aider. Il fallait patiemment prendre la spirale à l'envers, positiver tout ce qui était possible, te faire reprendre confiance en toi, croire encore au succès, faire en sorte que tu ailles chercher en toi encore plus d'énergie pour vaincre le noir. Il fallait retrouver une confiance en toi en te faisant aller vers des résultats encourageants. En un mot, j'ai compris qu'il fallait t’aimer. Ce n'était qu'une petite flamme que j'ai d'abord déposée dans ton cœur pour y mettre un peu de chaleur et de lumière, pour éclairer ce que tu ne connaissais  pas encore de toi et que personne manifestement n’avait su éclairer.

Nos doigts mêlés, c'était pour symboliser un échange de flux, je voulais transférer sur moi une part de ton angoisse et ainsi t’en décharger petit à petit. Mes caresses et mes baisers, c'était pour te faire sentir que j'étais bien présent près de toi, pour que tu sentes que quelqu'un te portait de l’affection, de la tendresse qui s’opposait à ton cycle du désespoir. Voilà ce qu'est un pur amour, donner à l'autre, apporter à l’autre tout ce qui lui manque dans le temps présent, c'est transformer l’autre. C'était te sortir de cette spirale du désespoir. Cela personne n’avait su le faire jusqu'au moment où j'entreprenais de te dire : je t'aime. Tu croiseras certainement beaucoup d'hommes qui voudront profiter de toi, moi j'ai simplement voulu que tu profites mieux de toi en t’apportant ma petite lumière. Et ne penses surtout pas que je crois avoir été ton sauveur. Pas du tout, ce qui t’a sauvé c’est toi avec aussi l'amour que tu m'as inspiré et qui a permis la métamorphose de la dépression en espoir. D'ailleurs tu ne t’y es pas trompé et tu as  accepté les manifestations amoureuses malgré quelques réticences rémanentes.  Par trois fois tu as été dépitée par l’annonce de mon renoncement. Indirectement certes, pudeur oblige, tu m’as  fait savoir que tu avais besoin de cet appui amoureux ; ce qui m’a rassuré ! et que dire de ce baiser au crépuscule de mon amnésie ?

Mais voilà, alors que je pensais que tout allait vraiment commencer après que tu aies réussi à soutenir ta thèse, tu as choisi de me laisser choir comme ce kleenex que l'on laisse tomber après usage et tout cela sans ménagement. Tu as choisi de ne plus vouloir porter l’amour que j'avais choisi de te donner.

Comme tu as une peur maladive des conséquences de notre association, tu crois toujours que tous les yeux du monde se retournent sur nous pour nous juger, lorsque nous sommes  ensemble, alors pourquoi voudrais-tu que nos deux noms soient associés pour une publication ? Il y a la honte dans ton esprit quand je suis avec toi. Dans ce travail que tu veux  publier, je n’y ai participé qu’avec mon amour donc mon nom ne doit pas apparaître, ce n'est qu'honnêteté. 

 

- Non je refuse. Ou bien je laisse ce nom ou je n’envoie pas le papier. 

 

Pascal se retrouvait coincer, mais là n’était pas l’essentiel pour lui. L’essentiel c’était le ton et les mots choisis pour sa démonstration. Elle reniait le passé, son passé, leur passé. Elle transformait en une aide psychologique ce qui était amour. Elle disait ne pas avoir été dans un état qui lui permettait la réflexion et voulait se dédouaner de ce passé embarrassant. Il fallait rompre définitivement pour qu’aucune résurgence ne vienne à nouveau troubler sa conscience.

Elle voulait se renfermer dans sa citadelle dans laquelle elle disait bien se trouver, et tout était bon pour le dissuader d’en entreprendre à nouveau la conquête.

Le moment fut cruel, chaque mot faisait mouche dans le cœur de Pascal. Elle voulait cristalliser leur différence pour justifier cette rupture. Leurs cultures étaient soi-disant bien trop différentes, leurs approches professionnelles aussi. Elle se voulait résolument pour la démarcation du travail et des sentiments, lui il répondait ne pas savoir ne pas appliquer ses convictions personnelles dans le cadre de son travail. Ainsi elle ne supportait pas qu’il lui ait dit qu’il n’y avait de lui que son amour dans la publication.

 

Lui dire qu’il ne suffisait pas de dire halte à la rivière pour en assécher son cours, ne servait à rien. Lui dire que la source continue à verser l’eau pure en dépit de ses incantations était d’un effet encore plus néfaste car son objectif était de ne plus jamais être sensible à lui. Elle ne le regardait plus dans les yeux et en avouait la raison.

La fureur contre ce qui avait transformée ainsi Mouna venait grossir le malheur de Pascal. Oui, elle était toute autre que celle dont le regard avait attiré son attention et qui lui avait transmis le contentement de son cœur.

Il ne l’avait pas inventé, il ne lui avait pas arraché certains de ses mots, il ne l’avait pas forcée à croiser leurs doigts, sans parler de l’intensité de son regard au point que Pascal disait que c’était une fenêtre ouverte sur son cœur, elle ne le niait pas alors. Et ce baiser donné à son réveil de mémoire ! Qui était-elle avant ? Un être fragilisé qui n’avait pas la capacité de penser, de choisir, disait-elle maintenant. Mais elle avait été douce, délicate, quasi aimante, et surtout pure. Etait-ce maintenant un dédoublement de sa personnalité à laquelle Pascal assistait ou une sévère remise à l’ordre religieux ?

Bien sûr qu’elle ne lui avait rien promis, mais ne pas accepter le factuel d’hier, et rechercher systématiquement leur trop grande différence pour mieux se persuader qu’elle avait raison, était insupportable à Pascal. Ces derniers temps elle n’avait rien lu avec son cœur quand il lui transmettait des textes ; il était donc inutile de continuer à lui écrire. Elle n’avait pas compris qu’il voulait lui dire simplement que l’amour que veulent se donner deux êtres n’est pas illégitime dans certains cas; ce n’était donc pas nécessaire de le lui redire, elle n’avait pas envie d’entendre tout simplement.

 

L'eau du robinet n'est pas pure, elle n'est que potable. Pour qu'il en soit ainsi, après avoir été puisée, elle doit être traitée. Pour être chimiquement pure, elle doit être distillée, ensuite elle pourra se mettre en équilibre avec son milieu en s'enrichissant de divers solutés qui la rendront bénéfique à la santé ou bien impropre à la consommation à cause de certaines matières polluantes. Il en est ainsi de la conscience humaine, angélique à la naissance, elle sera façonnée par la suite et se mettra en équilibre avec le milieu culturel dans lequel elle grandira. Peut-être sera-t-elle saturée par ces condiments absorbés et ne pourra que très difficilement se mettre dans un nouvel équilibre au contact d'autres cultures ! Pourtant, l'histoire de l'humanité, c'est cette permanente évolution de la conscience humaine; ceux qui s’y refusent n'auront pas pris leur part dans ce processus d’évolution qui conduit au raffinement de la conscience. L'osmose est une loi fondamentale qui régit des équilibres de la matière dans l'univers. Les religions, qui impriment un caractère identitaire fort, s’opposent à ce phénomène pour ne pas risquer la dilution de leur message. Elles diabolisent même ces interfaces perméables et mettent en garde leurs croyants de la pollution de leurs âmes au contact de cette diffusion possible. Pour peu qu'elles les intimident sur leur sort s'ils ne suivent pas à la lettre leurs règles, elles conduisent à la paupérisation de l'action humaine et finalement le sens de la vie terrestre ne semble même être plus très clair dans ces conditions.

 

Mais en quoi refuser la tentation serait appauvrissant ? Ne pas enfreindre les règles sociétales est au contraire très louable et d'ailleurs riche d'enseignements pour tous ceux qui sont en perte de repère. La position nouvelle de Mouna était donc tout à fait remarquable finalement ! Elle ne faisait que de se mettre en conformité avec le bon fonctionnement d'une société structurée et ainsi ne mettait pas en péril de déroulement programmé de sa vie familiale, il n'y avait rien de scandaleux à cela, bien au contraire. 

 

La loi du talion, la peine de mort étaient la normalité hier,  plus aujourd'hui. Alors en quoi donner de l'amour interdit mettrait aujourd’hui  en péril la société dès lors, comme déjà précisé, qu'il ne s'agit pas d'un caprice et que l'objectif est de donner pour enrichir l'autre sans appauvrir quiconque ? Refuser d'affronter la question reflète un manque de force morale. Se poser la question, n'est pas forcément y répondre favorablement, c'est l'honnêteté vis-à-vis de la liberté mise à notre disposition, c’est choisir à dessein. C’est plus l'intention que l'on développe qui sera jugée que l’acte lui-même. Quel sort réserve t’on maintenant au don refusé ? En quoi un don pur est-il sacrilège ? Il n’est pas possible de dire simplement : parce que c’est l’ordre des choses, sans que sa conscience ne soit pas  interpellée !

 

Mouna qui ne cessait de mettre en avant des différences de culture entre eux, refusait en fait cette osmose que le coran condamne violemment. Elle ne voulait plus se risquer à trop prendre en considération les questionnements de Pascal, elle préférait ne pas prendre le risque de faire entrer le loup dans la bergerie. Un amour en payait de sa vie, c’était le prix pour que la sienne reste vivable avec un sens qu’elle croyait prédestiné.

 

Moyennant un examen de conscience approfondi et une interrogation à propos des filtres qui anéantissent le questionnement possible ou bien ne permettent pas de laisser apparaître la réponse venue de son moi profond, Pascal en était arrivé à s'autoriser ce qu'il appelait la dualité de son cœur, en l'occurrence il s'agissait d'une dualité positive. Il s'autorisait à montrer son amour à Mouna dans la mesure où celui pour son épouse n'en était pas éprouvé, et il en était ainsi depuis des mois. Il donnait à l'une ou à l'autre, il donnait même davantage qu'auparavant, car il était bien plus sensible à l'importance  de ce caractère donateur. La joie de donner à l'une le mettait dans un état qui favorisait ce qu'il donnait à l'autre. Mais aujourd'hui, il faisait face à une dualité négative. La rupture que lui avait demandée Mouna le minait totalement et Pascal se rendait bien compte que son comportement général était entaché de cette mélancolie  et cela en dépit de ce qu'il continuait à donner à son épouse. N’apparaissait-il pas triste et susceptible à cause de ce qu'il vivait ? Si bien sûr. La dualité négative était beaucoup de plus délicate à vivre que la positive. Si cela n'avait été que son amour-propre qui avait été blessé, il en serait sorti très rapidement mais là c'était la faute de  la culture, pour ne pas dire la religion, et ils étaient certainement deux à souffrir dans leur for intérieur. Cet amour lui semblait si prometteur ! La moitié de son cœur avait fondu en larmes, il ne pouvait pas sauver la face et faire semblant. La douleur s’en accroissait encore et devait être perçue par son entourage.

 

Le temps passait sans que rien y fasse. La vie lui avait apporté un joyau. Pour renvoyer l'éclat du bijou, Pascal avait poli  sa conscience et s'était débarrassée des filtres devenus obsolètes; mais l'émetteur de cette lumière a renforcé sa défense, la citadelle s'est reconstruite et l'obscurantisme religieux a repris le dessus. La lumière devenue noire n’avait plus besoin de miroir.

 


 

Un cœur brisé

 

 Elle aurait eu un an demain,

Elle voulait éclairer ton destin,

Mais le féroce aquilon l’a soufflée

La petite flamme que j’avais allumée.

 

Tu crois ton âme tâchée de cette suie

Et veux rester dans le noir de la nuit.

A tâtons retrouveras-tu l’amour

Qu’en ton cœur j’avais posé un jour ?

 

 Au pied de la forteresse, tel un soldat gisant

Ecoute ce cœur brisé dans un si bel élan.

Par un baiser fatal rends-lui tous les honneurs,

Il voulait battre pour toi, mais tu en as eu peur.

 


 


Pourquoi la création ?

 

 

 

Selon Albert Einstein  la matière  n’existe que si sa vitesse est inférieure à celle de la lumière, sinon tout est énergie, E=mc2. Avant le Big Bang tout devait être énergie, après tout devint matière. Chaque élément de matière n'est donc que la conversion d'une partie de l'énergie initiale. Si l'on identifie maintenant Dieu à l'Energie, Dieu est maintenant partout en même temps dans l'univers qui s'est créé à partir de l'énergie qu'il était lui-même. Une énergie n'a pas de visage et il ne faut donc pas chercher à représenter Dieu. Désormais Dieu est tout ce qui est palpable dans l'univers et en particulier il est en nous, mais pour quelle raison  en est-il ainsi ?

 

Tout n’est pas matière dans l’univers, une partie de cette énergie initiale ne s ‘est pas transformée en matière, il s’agit de l’énergie spirituelle destinée à une partie de cette création : l’Homme. Il n’est pas le fruit du hasard mais il est l’une des conséquences de l’évolution écrites dans les lois du Big Bang, et il a pour mission de cristalliser cette énergie spirituelle pour aider l’humanité à retrouver la perfection divine en trouvant toutes les lois (physiques et spirituelles) du mystère. Arrivera t’il à les trouver avant que l’expansion de l’univers ne fasse exploser le soleil et ainsi fasse disparaître l’humanité ?

 

Qu’est ce que Dieu voulait prouver par cette création ?

 

Le mystère est l’allié objectif du mystique et les religions n’aident pas l’humanité à mieux galvaniser l’énergie, car elles ont fait de Dieu un Etre Suprême tout puissant qui, pouvant tout, doit engendrer la fois la crainte et la miséricorde. Dévotion voir soumission sont les maîtres mots des religions qui oublient de se demander pourquoi Dieu a voulu la création. Pourquoi Dieu aurait-il crée et donné une vie terrestre ? Pour mériter une vie éternelle, répondent les religions. Encore une fois, pour quoi faire ? Pourquoi un test probatoire avant la récompense définitive ? Les religions ne nous renvoient qu’à la toute puissance de Dieu et à la crainte et à l’espoir qui s’y rattachent pour nous stimuler, tout ceci apparaît bien réducteur.

 

Ce chien couché face contre terre au pied de son dresseur, sans pouvoir bouger une oreille, est-ce là l’image du croyant face au Tout Puissant ?

Ce n’est pas possible qu’il en soit ainsi car notre chance terrestre n’aurait aucun sens et il y a forcément un sens à notre passage terrestre si l’on croit en Dieu. A nous peut-être de créer ce sens si nous ne sommes pas capables de nous imaginer le dessein divin, c’est cela la construction de sa conscience.

La crainte et l’espoir font osciller le comportement humain mais, contrairement à ce que l’on pense, n’aident pas à l’élaboration d’une conscience ; tout du moins celle-ci ne s’établit alors que par défaut. Le vrai progrès de la conscience humaine n’est pas dans la repentance.

 

Se repentir, c'est choisir de ne plus recommencer et peut-être aussi débarrasser sa mémoire de tout ce qui a concerné une faute pour ne pas être tenté une nouvelle fois. Quelle joie dans le ciel de voir ce pêcheur repentit ! Peut-être, mais sur terre, ne vaut-il pas mieux louer les 99 justes qui s'efforcent à la recherche du Bien que celui qui se repend de s'être trompé ?

La repentance de Mouna était exemplaire au titre de l'interprétation de l'Ecriture, mais cynique par la mauvaise foi qu'elle y mettait pour ne plus être tentée de retomber dans le péché. Comment pouvait-on tirer un trait sur le passé ? Comment pouvait-on travestir la réalité pour aider à se remettre dans la bonne ligne ? Il y avait là une hypocrisie qui ne ressemblait pas à la pureté que Pascal  avait trouvé en elle. Qu’était-elle devenue ?

Dans la mer agitée de ses sarcasmes professionnels, Mouna avait découvert des îlots de sa profonde nature habituellement submergés par sa culture. Une Mouna authentique  était découverte, car son esprit capté pour résoudre sa problématique professionnelle, elle  laissait entrevoir trois piliers fondamentaux de sa vraie nature: la sensibilité, la sincérité et la pureté qu'elle n'aurait jamais dû laisser à la vision d'un cœur qu'elle faisait battre à son insu. Pascal l'avait aidée à surmonter ses difficultés et en retour elle ne lui renvoyait maintenant que l'image d'une Mouna façonnée, celle qu'elle aurait toujours voulu être pour ne pas déroger à ses principes. La pudeur aurait dû voiler son cœur pour qu'il ne puisse pas, presque succomber à l'amour de Pascal. La femme musulmane ne doit pas montrer de sentiments et pour mieux les cacher, le voile lui rappelle ses obligations, à moins qu'il ne s'agisse du tchador dont l’opacité  l’a fait alors totalement transparente. C'est bien peu avoir de respect  pour la femme que de l'emprisonner ainsi. Et pourtant elle l’accepte avec fatalité et ne veut surtout pas que l'on en parle comme d'un acte dégradant, légitimité religieuse oblige !

L'amour de Pascal s'était cristallisé autour de sa sensibilité, de sa sincérité et de sa pureté, sans cela il n'y aurait pas eu d'amour, Mouna ne se serait pas démarquée et elle n'aurait jamais franchi les filtres de la conscience de Pascal. Mais étant revenue dorénavant sur la base de ses principes religieux et culturels, la mer, calmée  de ses soubresauts, noyait à nouveau ce qui n'aurait jamais dû émerger. Au diable la sensibilité qui ne lui faisait pas reconnaître Satan derrière les traits de son bonimenteur. Au diable la sincérité qui lui a  fait admettre à mi-mots la douceur qui l'avait bercée quelque temps. Au diable la pureté qui ne sert qu'à être faible dans l'adversité sournoise d'un mécréant. Islam veut dire soumission à Dieu et pour ne pas déplaire à Allah, la repentance était indispensable. Pour espérer sa miséricorde mieux valait nier l'évidence trompeuse de la réalité des faits, et tant pis si les mots choisis faisaient mal à l'autre; Pascal n'était que l'autre et peut-être même pire, et elle, elle jouait son salut.

Le choix de cette attitude était d'une naïveté incroyable et même d'une incrédulité dans la mesure où toutes les religions disent que Dieu devine tout ce qui a de mieux cacher en nous et Dieu avait vu le manège de Mouna, et elle aurait pu maintenant se repentir sans s'obliger à falsifier les faits. La pureté  était perdue par un excès de culture et une interprétation drastique de sa religion, et elle n'en était pas consciente, bien au contraire.

 

Elle croyait exister pour seulement remercier Dieu. Elle suivait son Destin qu’elle pensait immuable puisque donné par Lui et cela lui convenait. Mais alors, pourquoi la création et pourquoi l’Homme dans la Création ? Le petit poisson, heureux dans son bocal, ne se posait pas non  plus cette question fondamentale.

 

 

 

Les départs

 

 

 

Le temps s’égrenait sans que rien ne puisse cicatriser la blessure de Pascal. Mouna avait inscrit involontairement son prénom dans la chair de Pascal et désormais  rien ne pouvait transformer cette gravure qui était maintenant une partie à part entière de lui-même

Leurs rencontres étaient maintenant un supplice pour lui. Il admettait de moins en moins la situation de séparation, et se demandait comment elle vivait cet épisode de sa vie, quelle trace resterait de cette expérience interrompue ? Il lui avait refusé sa démission, elle devait donc être sûrement troublée pour en arriver à une telle extrémité.

Les mois défilaient, le temps passait  donc et il  semblait qu'il était  incomplètement utilisé et que les futilités de la vie reprenaient l’ascendant qu’elles ont chez les humains. Le contrat de Mouna touchait à sa fin, bientôt elle allait repartir dans son pays. Je serai en deuil lui avait-il écrit ! Son deuil  avait anticipé ce départ et la séparation de chair n'apporterait rien de plus à celle du cœur qu’il  subissait depuis tous ces mois. Mais tout de même, comment allait-il lui dire adieu ? Peut-être avait-elle choisi de lui donner ce baiser d’amour avant de partir ! Ce serait sans risque pour elle, mais tellement inutile maintenant.

Elle s'en alla après un petit cocktail d’adieu qui lui avait été préparé. Il n’y avait pas eu de discours, un « bonne chance » lui avait été lancé en guise de conclusion. La volubilité de Pascal était  entamée depuis longtemps et il se faisait donc oublier au milieu des invités. Et puis il fallut prendre congé, ils se retrouvèrent face à face en se donnant une banale poignée de mains. Il eut voulu capter son regard, mais il fuyait. Au quasi même moment ils avalèrent difficilement leur salive, enfin leurs yeux se croisèrent une dernière fois.

 

« - Bon et bien au revoir et merci pour tout » lui lança t’elle banalement. »

 

La gorge coincée de tant de manque d’amour il lui fallut la racler avant qu’un son à peine audible puisse en sortir :

 

« - En attendant l’Eternité, Mouna sois heureuse ! »

 

Qu’il était loin ce discours enflammé qu’il lui avait sorti le jour de sa thèse ! Là il était incapable de penser, incapable de s’exprimer. Il aurait voulu lui dire devant tout le monde : «  Ohibuki Mouna », il ne l’osa point. Avec regret ses yeux devaient définitivement quitter ceux déjà baissés de Mouna. Le hasard avait fait croiser leurs routes, leurs êtres profonds avaient permis qu’ils se reconnaissent leurs particularités; la religion remettait les choses dans l’ordre juste. La conscience de l’humanité était privée d’un exercice de comblement de différences. Tout était fait pour les unir, la religion a déchiré l’espérance.

 

Quelques minutes après le décollage, l’avion qui l’a ramenait chez elle survola les environs du lieu de vie de Pascal. Le ciel était encombré de nuages ce jour-là sauf au-dessus de cette immense forêt. C’était certainement celle qui accueillait Pascal pour ses promenades méditatives, du moins c’est ce que pensa Mouna en laissant tomber une larme qu’elle s’empressa de faire disparaître.

 

Le chagrin de Pascal n’avait d’égal que sa volonté de communiquer son expérience de construction de conscience qui s’était produite au travers d’un amour interdit. Il s’empressa devant son ordinateur pour rassembler tous ses écrits et de  compléter son analyse pour proposer son histoire à un éditeur. Non qu’il se reconnaisse des talents d’écrivain, mais il voulait faire partager ses questionnements et ses découvertes.

Etait-ce à cause du contexte politico-religieux de l’époque ? Son histoire fut assez rapidement considérée par une maison d’édition et un livre sortit en librairie. Les médias, friands d’alimenter les interrogations à propos des chocs culturels, s’en emparèrent et en firent une promotion inespérée.

Pascal n’avait pas écrit pour être vu, mais pour être lu et il refusait les plateaux des émissions télévisées qui lui offraient une tribune, ce n’était pas dans sa nature et il redoutait une analyse littéraire de son texte alors qu’il ne s’agissait que d’un cri du cœur d’un être humain. Il finit tout de même par se laisser convaincre, car il pouvait ainsi toucher davantage de monde et diffuser sur les ondes quelques idées bien à lui.

Un cri du cœur, ce n’est pas une œuvre structurée, enrichie d’une culture littéraire ou philosophique. Un cri du cœur c’est fragile et un débat spécialisé pouvait lui faire perdre pied. Il refusait des rencontres avec des détracteurs qui pouvaient lui rabattre son caquet par leur érudition. Il n’accepta donc que des émissions durant lesquelles il répondait seulement à un journaliste.

 

 « - Vous dites ne pas être un écrivain, mais qui êtes vous alors ?

 

- J’ai une autre idée de l’auteur que celle que je peux donner par l’intermédiaire de ce livre. Ce livre n’est qu’une réaction en temps réel d’un homme libre. Ce qui est intéressant c’est de savoir que je suis incapable d’écrire une histoire et que là, ma main a couru sur le papier à une vitesse folle et avec une inspiration chaque jour renouvelée. C’est ce phénomène qui tout d’abord est intéressant. Le deuxième point c’est le questionnement existentiel induit par une histoire d’amour.

 

- Justement, vous n’êtes pas tendre avec les religions et particulièrement l’Islam, pourtant vous parlez de Dieu ?

 

- Le seul postulat que je pose est que si la vie humaine a un sens alors il a un dessein divin. Les religions, qui devraient nous aider sur cette question existentielle, ne rajoutent que d’autres postulats et des contraintes de dévotion et de soumission. Pour moi ces contraintes – et en particulier celles liées à l’amour - sont contraires au sens de l’humanité, même si elles sont à la base d’une organisation sociale. Quant à l’Islam, je crois ne pas avoir encore assez été virulent. Nous vivons dans un monde dans lequel on ne peut pas appeler un chat, un chat. Exemple : quand un ministre parle de l’existence de canailles dans les banlieues, le nier serait comme nier que la mafia n’existe pas en Italie. Mais, personne ne dit que les italiens sont tous des mafieux ! Quand le pape fait allusion à la violence de l’Islam, il y a effectivement de la violence dans l’expression de certains versets du Coran, mais ce n’est pas dire que l’Islam n’est que violence, bien entendu. Ceci étant, cette violence ne s’affirme pas uniquement par le terrorisme intégriste. Le Coran contient des sources de violence et en particulier de violence individuelle en voulant terroriser par la crainte inspirée de Dieu laquelle paralyse l’esprit critique du croyant. Celui-ci évacue un certain nombre de questionnements pour ne pas risquer ses foudres. Cette peur est palpable et inhibitrice, elle engendre une inactivité humaine en dehors de la prière et là, le sens de la Création nous renvoie la question : ne sommes-nous là que pour être soumis ? Dieu n’a pas pu dire cela. Nous sommes là pour accomplir une mission donnée implicitement par la Création. Nous sommes là pour participer à la reconquête de la perfection.

 

- Et la femme musulmane dans tout cela ?

 

- Les femmes ont souvent du mal à trouver leur place dans les religions. Elles ne sont que la côte d’Adam. Elles doivent être réservées, on les cache donc comme si on n’avait pas confiance en elle et pour que les hommes ne soient pas tentés. C’est pour cela que le titre de ce livre est double : femme voilée, femme violée. Il existe des passages humiliants pour les femmes musulmanes dans le Coran qui montrent le peu de considération que cette religion leur réserve ; et pourtant elles sont résignées et quand vous abordez avec elles le sujet de leur condition, elles se montrent très virulentes en disant que c’est toujours la même chose, que l’occidental pose toujours cette question alors qu’elle ne se pose pas. En fait elles ne se la posent pas, elles font l’autruche, tout cela leur parait normal. Elles se disent différentes de l’homme, certes…mais on sent tout de même la fatalité d’une réelle infériorité, et donc elles acceptent leur condition sans que cela ne les interpelle. Rentrées au pays, elles remettront le voile parce que c’est comme cela !

 

- Cela ne vous fait pas peur d’être aussi direct ?

 

- Si vous faites allusion à des menaces, je n’en ai pas encore reçues, mais je vous ai parlé de liberté de penser, tout acte me nuisant montrerait clairement que des interprétants de cette religion voudraient qu’elle soit radicalement liberticide. Je vous laisse l’opportunité de développer ceci au cas où !

 

- Et l’amour alors ?

 

- L’Amour est le mot le plus important du vocabulaire de l’Humanité. Mais cela doit être autre chose qu’un mot. L’Amour ce doit être donner sans même le moindre soupçon d’espérance de recevoir. Mais quand il y a à la fois donation et réception puis donation en retour, c’est que deux êtres ont émoustillé leur capacité d’amour, c’est alors bien sûr l’accomplissement total.

De plus l’Amour, c’est comme l’écologie ou bien la religion, je crois qu’il n’est pas nécessaire qu’il ait un temps spécifiquement dédié à cela, chacun de nos gestes peut en être imprégné.

 

- Mais l’amour peut déranger ?

 

- Dans votre question, le mot important est « déranger » qui vient de rangement, donc d’ordre. L’Amour est-il un facteur d’ordre ? A cette question je réponds sans ambages : non. L’Amour ne doit pas être considéré sous l’angle de la structuration de la société ; à condition qu’il s’agisse bien du vrai amour, de l’amour pur comme je l’appelle dans le livre. Si les sentiments que ressentent deux êtres relèvent bien de ce pur amour alors celui-ci doit vivre et permettre aux deux amants de cheminer vers ce qu’ils ont de mieux en eux pour l’offrir à l’autre ; voilà comment l’Amour est constructeur, il est d’abord constructeur de conscience ensuite il peut être constructeur de société, mais pas a priori ! 

 

- Et la bonne conscience, c'est quoi?

 

- Voilà la bonne question. L'origine de ce livre était une réflexion sur les échanges: le moi-profond, nos filtres. Mais devant les particularismes de cette histoire d'amour, la question de la conscience morale s'est rapidement posée. Je n'ai pas voulu y répondre en philosophe, et n'ai pas cherché dans mes cours de philo la pensée des maîtres, j'ai simplement laissé faire mon esprit critique.

Il y a deux modes de fonctionnement de l'individu humain. Ou bien il se considère dans un repère au sens mathématique du terme avec comme axes le Bien et le Mal qui ont chacun des unités bien établies par des conventions, des cultures, des religions. Ou bien la conscience morale c'est une construction de soi, c'est la responsabilisation de ses actes, c'est l'ensemble de ce qui se passe en nous pour se donner une trajectoire de vie. Le Bien devient tout ce qui permet de donner un sens réfléchi à ses actes et ainsi de déterminer cette trajectoire. Mais une trajectoire, ça doit conduire quelque part et l'objectif visé est alors de se donner une perception du sens de l'existence. Ses actions conscientes  alimentent alors notre sens de l'existence. La difficulté, il faut bien l'avouer est pour un être jeune, comment peut-il se repérer alors ? Et l'on voit aujourd'hui les conséquences non assumées de la libéralisation des esprits qui s'est  faite sans désir d'établissement d'une conscience ! Je ne dis pas que certains  repères ne puissent pas  être donnés à l'enfant, mais surtout on doit le former à l'esprit critique et l'inviter, le plus rapidement possible, à réaliser qu'il doit trouver le sens de son existence. Personnellement je pense que le sens de la vie c'est la réduction de l'imperfection de l'Humanité. Tout est parfait autour de nous, sauf nous; il faut donc le devenir, c'est le sens de l'histoire de l'Homme. 

 

- Quel est actuellement votre état d’âme ?

 

- Personnellement je ressens quelque chose de parfaitement contrasté. Je me sens écartelé entre l’immense bonheur d’avoir réussi à donner, le bonheur d’avoir progresser dans ma vision existentielle, et le malheur non pas d’être un amoureux éconduit, cela serait égoïste et antinomique avec ma perception de l’amour, mais de savoir qu’il existe tant et tant de personnes qui ne s’autorisent pas à laisser libre-cours à leurs justes sentiments. Leur religion bâillonne une envie de don et de partage, c’est évidemment un comble ! Cette religion impose un factuel reniement de l’esprit critique et ne réclame qu’une inclinaison soumise. Vivre, même soumis, ce n’est pas suffisant pour Exister. L’exercice de la liberté accordée donne seul une perspective à la vie terrestre. En effet, le seul être vivant de l’univers vraiment libre, c’est l’Homme puisque c’est le seul à même de pouvoir penser. Ce don a un sens qu’il ne faut pas oublier d’utiliser au nom de l’impératif, dicté, de la soumission. Tout ce manque ne peut donc engendrer qu’un immense chagrin, bien sûr. »

 

L'émission venait de se terminer, les journalistes et les invités poursuivaient un peu la discussion autour d'un verre avant leur séparation. Pascal avait finalement trouvé une certaine confiance, non il n'était pas devenu un pilier mondain, mais il jubilait de pouvoir avoir de telles tribunes pour pouvoir faire se poser des questions au plus grand nombre. Même au niveau intellectuel le débat était repris et forcément cela ne pouvait conduire qu'à parfaire la conscience humaine. Avait-il été lu dans le monde musulman? Outre des réactions indiquant qu'il n'avait rien compris au Coran, il n'y avait pas plus de réaction afin sûrement de ne pas solliciter la curiosité des croyants. Pourtant c'est bien là un cheminement à faire, surtout à l'intérieur de cette religion.

 

Tandis qu'il sortait des studios dans lesquels s'était déroulée l'émission, il se heurtait à une nuit lourde. De gros nuages orageux avaient envahi le ciel de la capitale, une atmosphère suffocante stagnait dans les rues. Pascal devait traverser une place et marcher quelques centaines de mètres pour rejoindre son véhicule qu’il avait garé dans une petite rue où il avait trouvé une place. Quelques pas seulement après être sorti de l'établissement, une ombre apparue dans son champ de vision. Encore quelques pas et une voix surgit de ces ténèbres:

 

 - Pardon monsieur, pourriez-vous me signer votre livre s'il vous plaît ?

 

- Oui bien sûr, répondit-il au  personnage dont qu'il percevait mal le visage. Et comment avez-vous reçu ce livre, si je puis me permettre ? 

 

Alors qu'il ouvrait sa veste pour trouver un stylo : une pointe effilée lui pénétrait le corps non loin du sternum avec un mouvement vers le haut pour atteindre immanquablement le cœur. Il entendit les premiers mots de la réponse de son agresseur avant de rejoindre l'Eternité : « Ton livre est une insulte au Prophète et à... »

 

La mort de Pascal n'était qu'un fait divers, il fut tout de même signalé vue l'émulation qui s'était formée autour de son livre. La nouvelle ne traversa tout de même pas la méditerranée et Mouna continuait la vie sur cette trajectoire qu'elle pensait incontournable.

 

Quelques mois plus tard Mouna recevait l'une de ses élèves qui était partie faire un stage en France. Au retour, les deux femmes discutèrent  des travaux relatifs au stage, puis pour la remercier la jeune étudiante lui tendit un paquet bien enrubanné.

 

«  - Je me permets de vous offrir ce livre que j'ai trouvé dans une librairie à Paris, vous qui avez eu la chance de faire votre thèse en France, c'est comme dans ce livre….. Par ailleurs le sujet traité est celui de l'amour et je l'ai bien aimé, alors je vous en souhaite une bonne lecture. »

 

Mouna ouvrit le cadeau et en extrait le livre de Pascal. Elle savait qu'il voulait écrire mais elle ne savait pas qu’il était allé jusqu'au bout de son intention. Sans le savoir, la jeune fille venait de remuer mille souvenirs que Mouna avait enfouis volontairement pour que le regret ne vienne pas gâcher sa vie.

 

« - Et puis, je dois aussi vous dire, l'auteur a été assassiné par un fanatique; c'était au tout début de mon stage et cela a eu un écho dans les médias. »

 

Mouna, debout devant une chaise, la serra infiniment, sa salive restait bloquée dans le fond de sa gorge mais, comme l'enfant au renardeau caché, elle laissait manger son foie sans que rien n'y paraisse. Un cri muet de son cœur meurtri lui arrachait les entrailles mais ne voyait pas le jour et la jeune fille ne remarqua rien de particulier suite à cette annonce funeste.

 

Epilogue



Lettre de l’au-delà

 

 Mes deux amours,

 

Je ne puis vous parler à propos du Grand Passage, le mystère doit persister pour que l’Humanité continue à rechercher le sens de son existence. Mais je suis devenu porteur d’un message.

 

Je voudrais vous remercier chacune pour tout ce que vous m’avez donné. Chacune à votre manière vous avez contribué à l’élaboration de ma conscience en m’apportant la pureté que vous aviez en vous. Je vous dois à toutes les deux de m’avoir permis de trouver le sens transcendantal de l’amour par la confection de cette conscience, clé d’entrée dans l’Eternité.

Ce qui est grand, c’est de rechercher sans cesse le meilleur de soi pour l’offrir à l’être choisi, vous l’avez fait à mon égard de diverses manières et je vous ai aimé et je vous aime pour la nuit des temps. Grâce à vous j’ai pu accéder à une lecture intuitive du Grand Livre. Il est bien vrai, comme je le pressentais, que Dieu surveille, non notre obéissance ni notre soumission, mais la manière dont nous utilisons notre temps terrestre pour progresser vers Lui. Il y a mille et mille chemins qui nous y conduisent. Mais si nous n’avons pas su aiguiser notre conscience, une ombre planera sur notre éternité car nous n’aurons pas suffisamment servi l’Humanité à se réformer sur le chemin de la perfection. Finalement, les religions n’enseignent qu’un minimum pour ne pas se retrouver dans l’obscurité totale, elles oublient de prêcher qu’il faut que chacun se forge une conscience et ne soit pas seulement un obéissant et un serviteur. La conscience n’est pas un barème auquel on se réfère, la conscience c’est la construction de la vie que nous a prêtée Dieu. La vie ne doit pas se dérouler selon des principes, elle doit être l’objet de la découverte du principe de la vie. Le bonheur, contrairement à ce qu ‘en pensent les humains, ce n’est pas cet état dû à ce que l’on reçoit d’agréable, c’est celui qui découle d’avoir trouvé ce que l’on pourrait donner à l’autre. Sachez aussi recevoir ce que l’autre vous donne, l’appréciation avec laquelle on sait recevoir est une louange faite à la capacité d’amour des Hommes. Recevoir la beauté, recevoir une caresse, recevoir des mots tendres, et apprécier justement l’intention de celui qui donne, voilà ce qu’il convient de faire.

 

Ici il n’y a ni chair, ni os, ni maison. Tout est Rien et vis et versa, et le temps ne s’écoule plus. L’infini est le complément du monde fini dans lequel vous êtes encore. La liberté ne se mesure plus en degré, elle est, tout simplement, mais limitée en amplitude par ce qu’on a hérité de son passage terrestre. Ainsi, je suis désormais une sorte d’ectoplasme invisible, indéfinissable par des mots d’humains, qui a réussi à réunir le cœur et l’esprit, union si difficile sur terre. Cœur et Esprit font leur synthèse après le Grand Passage, à partir de ce que notre vie terrestre a apporté à notre conscience. Mon logis c’est désormais vos cœurs que j’ai définitivement conquis et par lesquels vous semblez m’entendre.

A toi, Mouna, seconde lumière de ma vie terrestre, qui a refusé d’écouter son cœur, je te prédis qu’au soir de ta vie, quand toute ta viscérale peur sera épuisée, alors tu méditeras avec justesse et justice. Là, enseveli sous la mousse de ta vie, tu redécouvriras mon amour, gravé dans ton cœur tel un fossile magnifique. Alors te reviendra la vérité de notre histoire dans les moindres détails malgré le temps passé. Et tu seras surprise de t’apercevoir que ce don que tu as refusé était l’événement le plus pur de ta vie, celui dont la sincérité te fait aujourd’hui venir les larmes.

 

A vous mes deux amours, dites bien autour de vous que l’amour ne doit pas être seulement désir ou conceptualisation mais qu’il doit être avant tout vécu quand il se présente.

Ici, le temps ne s’écoule plus, il n’y a plus d’âge. Je vous attends ardemment pour qu’enfin la dualité de nos amours s’épanouisse.

 

Adieu donc…

 

                                       Votre infini Amour


Sommaire

 

 

 

Avant-Propos                                                 9

Le moi profond                                              11

Les filtres                                                        15

Trajectoires croisées                                        19

Premier aveu                                                   25

L’inaccessible étoile                                         29

L’Ange, le messager de Dieu                           33

L'impasse                                                        37

L’émoi                                                            45

Preuves d’amour                                             47

L'envie d'elle                                                   49

Dieu, la religion et le chemin de conscience    53

Mon Amour                                                   57

L’impossible                                                   59

Le cri                                                              63

L'espoir                                                          65

Dépression                                                     69

Le baiser                                                         73

Le deuil                                                          77

Le cœur et la raison                                        81

Quand tu reviendras !                                     89

Le petit poisson : conte allégorique                 91

Aimer pourquoi faire ?                                               95

Que la vie est belle !                                        97

Ombres et lumières                                        99

Le destin ?                                                      107

Je t’aime….                                                     113

Le vide                                                            115

Explications                                                    121

Ombre et Lumière, la cruelle désillusion de la vérité                                                                          129

L'accident                                                       131

La révélation                                                  141

e secret                                                           151

L’infirmité                                                      167

Retour de mémoire                                         173

Mon amour,                                                    185

Libération                                                       187

Ode à un Amour                                            189

L’inexorable amour                                         191

Le Bien et le Mal                                             195

La vraie de dimension  de sa religion               199

Le jeûne                                                          205

Le nouveau prophète                                      209

La conscience et la prière                                221

Le savais-tu ?                                                  225

La dualité                                                        227

Leçon                                                             233

Amour et interdit                                           235

Mon Amour….                                              243

Me donner à toi….                                         247

Bilan                                                               249

Démonstration                                                           253

La fin d’un monde…                                      257

Un cœur brisé                                                 279

Pourquoi la création ?                                     281

Les départs                                                     287

Epilogue

Lettre de l’au-delà                                           303

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Résumé :

 

 

 

Au rythme de ses rencontres avec Mouna, la musulmane, ombres et lumières s’alternent dans le cœur de Pascal. Conscience et interdits se battent dans son esprit. Il en ressort un cri d’amour et la construction d’un chemin de conscience qui nous amène vers une vision existentielle qui reconnaît Dieu, mais accuse les religions.

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