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Le coin philo de PG
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  • Diverses réflexions à caractère philosophique de la part d'un non-philosophe, et qui ne sont pas des leçons ! Ce blog de Patrice GOEURIOT contient des textes originaux sur le thème de la philosophie qui demandent l'autorisation de l'auteur pour être cités.
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La mythologie:une modélisation du comportement humain

La mythologie : une modélisation du comportement humain
Quand on regarde un arbre, on admire le diamètre de son tronc, la majesté de sa ramure, la verdure de son feuillage en oubliant que tout ceci ne serait rien sans l’invisible réseau de racines qui lui est essentiel pour ne pas dire vital. La mythologie va nous donner les bases solides de la bonne observation de cet arbre.
La mythologie est enseignée au début des années-collège au cours des leçons des civilisations antiques sous une forme telle que l’enfant du moment n’en retient que le fantastique, le surnaturel ainsi qu’une ennuyeuse litanie des dieux et déesses. Alors qu’à un âge plus avancé le sens profond de la mythologie pourrait être abordé, l’enseignement l’oubli, comme pour les racines de l’arbre, et l’on parachute de la morale, de la logique, du droit, de l’esthétique qui apparaissent comme des catalogues de pensées philosophiques sans avoir conscience de leurs sources ni de leur architecture ; alors que l’on devrait s’émerveiller que voilà plus de trois millénaires, les humains aient élaboré ce que nous appellerions aujourd’hui une modélisation du comportement humain avec une grande finesse, même si l’emphase de la représentation pouvait cacher le sens profond des propos puis des écrits. Comme pour une étude scientifique, des comportements humains sont identifiés comme le serait la description expérimentale d’un phénomène physique puis vient l’explication des phénomènes décrits en paramétrant les variables identifiées. On obtient ainsi un modèle qui, s’il est correctement paramétré, collera au mieux aux expériences. Un modèle n’est en rien la Vérité, ce n’est qu’une façon commode et dans l’instant pour ce faire une idée de quelque chose. Bien sûr, des dieux vont aider à cette modélisation qui est en phase avec l’esprit humain de l’époque. Mais la philosophie viendra séculariser ces explications donnant un véritable sens à cette modélisation géniale. On ne peut qu’être admiratif devant tant de clairvoyance de la condition humaine et choquer que ces racines de la philosophie soient totalement oubliées dans les programmes des lycéens. Moyennant une armée de pédagogues enseignant la mythologie, à l’image de Luc Ferry, on peut penser que la jeunesse, nourrit de ces points de repères, aborderaient la société humaine avec plus de discernements et plus d’espoir aussi, certainement. Reprenons donc quelques exemples de la richesse architecturale de la mythologie pour illustrer ce modèle des comportements humains qui alternativement nous enthousiasment, nous choquent, nous désespèrent ; nous laissent sans voix ou nous insurgent ; nous conduisent à l’empathie ou bien à l’égocentrisme ; nous montrent l’innovation ou bien le refus du changement ; nous désignent pilote ou simple passager de la vie ; nous montrent aussi des cartésiens et des empiriques, des sages et des fous, des libres penseurs et des sectaires, des rebelles et des soumis, des êtres qui se pensent libres, d’autres prédestinés, et d’autres encore sans sens.
Le socle de ce modèle se compose de deux étapes dans la mythologie : la naissance de l’homme et le concours musical entre Apollon et Midas. Ces deux mythes vont créer le cadre dans lequel, l’Homme va développer tous ses talents. Pic de la Mirandole pour le premier avec la liberté prométhéenne et Schopenhauer et Nietzsche ensuite pour les mondes de la représentation et de la volonté pour le second viendront séculariser ces mythes par une interprétation purement philosophique. La compréhension précise de ces mythes va alors donner un éclairage particulier sur, vraiment ce qu’est l’Homme et donc aider à la compréhension de nombre de ses attitudes possibles dans les domaines du droit, de la morale ou de l’esthétique en particulier.
Son benêt de frère -Epiméthée- ayant tout donné au règne animal, parfaitement ordonné et où chaque espèce a un rôle spécifique et complémentaire des autres, Prométhée qui n’avait donc plus rien à donner à l’Homme qu’il devait façonner pour lui donner une véritable nature humaine, ira voler à Athéna les arts, c’est à dire l’intelligence, et le feu à Héphaïstos. Ainsi l’Homme se voit attribuer la liberté avec laquelle il doit se débrouiller pour créer sa vie ; ce pourquoi il n’y a pas de nature humaine malgré ce que l’on peut entendre ici où là. On voit déjà s’esquisser deux mondes : l’un bien ordonné et l’autre fatalement improvisé et plus flou. Ces deux mondes vont s’expliciter avec le concours musical entre Apollon et Midas, avec l’harmonieuse lyre d’Apollon et le chaotique son de la flûte de pan de Midas. D’un côté l’instrument qui permet de jouer plusieurs notes précises délivrées dans le même instant, de l’autre un instrument au son unique à un instant donné qui laisse l’incertitude de la suite. Schopenhauer puis Nietzsche ont donc interprété ce duel musical comme le duel de deux mondes l’un celui de l’ordre où tout a une place, a une raison d’exister et est complémentaire au reste. C’est le monde de la représentation ou encore de la quotidienneté. C’est l’harmonie cosmique voulue par Zeus à l’issue de ses victoires sur le Chaos, les Titans forces initiales de l’univers. On pourrait dire aujourd’hui que c’est ce qui s’est passé à partir du Big bang où d’une entropie infinie, l’univers commençait à s’organiser méthodologiquement dans une harmonie certaine. C’est le monde dans lequel nous vivons essentiellement, dans lequel les effets ont des causes, dans lequel l’harmonie est rassurante mais si ennuyeuse aussi, comme l’avaient remarquée les dieux qui ont alors demandé à Prométhée d’inventer des êtres pour les distraire. Il faut donc un pendant à cette harmonie sclérosante, c’est celui émanant du chaos initial qui ne possède que des potentialités désordonnées et floues. Ce monde baptisé de la « Volonté » par Nietzsche est le terreau fertile indispensable qui va nourrir notre vie de la quotidienneté. Comme les racines de notre arbre, invisibles, mais assurément vitales à l’arbre dans sa représentation aérienne. L’Homme est donc binaire. Imprégné de ces deux mondes il est harmonie et chaos tout à la fois. Il est ombre et lumière ce qui sera repris par le Taoïsme avec le Yin et le Yang. Mais ombre n’est pas synonyme bijectif de chaos néfaste. Dans cette obscurité l’Homme se déplacera hasardeusement et pourra extraire quelques joyaux innovants par exemple, qu’il fera remonter à la surface de son monde de la quotidienneté pour l’enrichir. Mais bien sûr dans cette obscurité il pourra aussi se tromper, commettre des erreurs, des maladresses à l’image d’OEdipe…Tout à chacun est soumis à ces deux mondes sans pouvoir s’en défaire. Certains seront plus à l’aise dans le monde objectif, d’autres trouveront leur voie dans plus de subjectivité. Aucun n’aura raison, personne n’aura tord ; c’est ce qui doit nécessiter beaucoup de tolérance dans les jugements réciproques.
Parfois, quand deux théories aussi fondées l’une que l’autre s’affronteront, la situation tournera irrémédiablement au tragique, car il n’y a aucune solution pour résoudre le litige puisque chacun a raison. A ce titre Antigone est le parfait archétype de ces conflits tragiques : la dualité de l’éthique de responsabilité et celle de conviction (M. Weber). Est-ce la loi de la famille (Antigone) ou celle de la cité (Créon) qui doit prévaloir ? Comme bien souvent et plus généralement de tels choix sont soumis à notre conscience et il faudra que l’éthique de la responsabilité –qui sera analogue au principe de réalité- sache trouver la voie pour satisfaire au mieux son éthique de conviction, de manière analogue au principe de plaisir par rapport au principe du réel. Ne pas comprendre ou ne pas connaitre cette dualité de la pensée ouvre sur un conflit tragique pour lequel les protagonistes ne trouveront donc pas d’issue, puisqu’il n’y en a pas dans son sens grec. Mais on pourra aiguiser sa capacité au compromis sans tomber dans la compromission dès lors que l’on sera instruit de ces principes et de ces éthiques. La tragédie d’Héraclès est celle de son balancement entre justice dans
l’ordre cosmique et violence du monde chaotique, le tout fortement inspiré par la notion de Destinée (laquelle parait difficile d’être justifiée rationnellement). Ce mythe rappelle le difficile chemin de l’esprit humain que Nietzche appelle « grand style » pour harmoniser nos forces intérieures, réactives celle du rationalisme, et actives celle de l’esthétique.
Le rapport de l’Homme à la Nature trouve ses racines dans les mythologies qui conduisent l’Homme à considérer la Nature comme sujet de droit puisqu’il en est issu (mythe de Gaïa et déluge selon Deucalion), ou bien la Nature est un environnement pour l’Homme qui est alors le sujet de droit (déluge selon Noé). Ces deux versions du rapport Homme-Nature vielles de plusieurs millénaires, détermineront les écologies, radicale et environnementaliste, qui ont émergées à la fin du XX ième siècle.
Créer pour distraire les dieux, l’Homme va être un élément perturbateur de l’ordre cosmique, mais pas trop n’en faut quand même et il sera puni s’il pèche par hybris et sera aussi inévitablement mortel de toute façon. Cette inexorable et mystérieuse finitude rejaillira inéluctablement sur son comportement au long de sa vie. A la manière d’Achille, il recherchera l’immortalité par son exemple héroïque sans cesse raconté. A la manière d’Ulysse il cherchera sa juste place dans le monde. C’est ainsi que certains –passablement vaniteux- pensant leurs actions tellement vénérables qu’ils voudraient donc être adulés de leur vivant et célébrés par la suite. Ou bien acceptant leur qualité de mortel, ils occuperont leur vie à s’accomplir dans un esprit religieux ou bien philosophique.
Enfin, a-t’on gravé plus fort que le « connais-toi toi-même, rien de trop » du fronton du temple de Delphes ? Il s’agit là d’une phrase universelle pour l’humanité qui scelle le comment l’Homme doit s’appréhender dans l’univers : chercheur invétéré à commencer par la recherche de soi, et de sa place, conscient de ses limites indéfinies. Certes il n’est plus question de s’accorder à l’ordre cosmique, ni à l’ordre des conventions sociales artificielles d’ailleurs, mais à trouver sa juste place ce qui créera corrélativement une harmonie dans le concert de l’Humanité. Le moteur de notre humanité n’est-il pas la réduction de l’entropie du système humain en sachant faire jaillir de l’harmonie à partir du chaos (monde de l’incertitude).
La pomme de discorde, les erreurs involontaires d’OEdipe, ouvrir la boîte de Pandore, la fidélité de Pénélope, céder au chant des Sirènes, voilà quelques exemples complémentaires et incomplets de comportements humains décrits dans la mythologie. Celle-ci nous narra donc des dizaines de comportements humains avec précision, justesse. Au-delà d’une simple description analytique de ces comportements, elle les lie pour en former une complexe interprétation de l’esprit humain. Certes de nombreux dieux sont mis en scène pour étayer l’édifice, mais ne sont-ils pas là aussi pour nous dire que l’on ne pourra jamais répondre au pourquoi du pourquoi ?

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